jeudi 26 septembre 2013

Les devoirs du Jeudi de Maître Christian




Allez, une fois n'est pas coutume, je vous balance les consignes d'entrée de jeu ! Bon, je ne vous cache pas que Maître Christian avait choisi la solution de facilité en me proposant pour la troisième fois l'exercice de la 1ere et de la dernière phrase imposées et que je me suis rebellé comme un beau diable pour qu'il me donne du neuf, de l'inédit ! Je n'ai pas été déçu du voyage, jugez plutôt :

"Choisir 3 lieux spécifiques de ton enfance qui gardent une valeur particulière dans ton souvenir. Les décrire en quelques lignes. Ensuite, raconter pour ces lieux une histoire anecdotique, un récit qui s'y rattache en y impliquant le lecteur."

Voilà, voilà, voilà... On y va ?

Ami lecteur (Hannibal ?), je ne te cache pas qu'il est bien difficile pour moi de choisir trois lieux spécifiques de mon enfance. Déjà, en trouver trois n'est pas simple. Je ne saurais expliquer pourquoi, cela a toujours été un mystère, mais j'ai finalement assez peu de réminiscences de mon enfance. Des flashs, quelques moments gravés, mais pas de souvenirs à la pelle comme ma femme, par exemple, pourrait en avoir. Je me demande souvent si "ma bulle" que je revendique à tout-va ne résulte pas d'une enfance que je n'aurais pas assez vécue, trop occupé à combler des manques plutôt que de profiter pleinement. Mon enfance n'a pas été malheureuse mais, à moins de ne pas en avoir conscience, je n'en ai pas retiré grand chose. Je n'en ai pas beaucoup de nostalgie. Paradoxal quand on sait que je suis quelqu'un de nostalgique par ailleurs. Va comprendre...

Heureusement, des lieux incontournables, il y en aura eu quelques-uns. Assez pour que je puisse m'acquitter de cet exercice périlleux émanant de l'esprit tordu de ce maître Christian que tu as appris à connaître au fil des semaines, cher lecteur. Tiens, puisque nous en sommes à parler de mon ami Christian, cela tombe bien. Car s'il y a eu un endroit dans lequel l'enfant que j'étais aura baigné, c'est bien la maison qu'il occupait avec sa maman. J'y passais la plupart de mon temps libre, sitôt sorti de l'école. Il faut dire qu'aller chez eux n'était pas bien compliqué, il me suffisait soit de descendre l'escalier de notre propre appartement (dont ils étaient propriétaires), soit, plus fréquemment, de passer par la fenêtre de notre salon que j'enjambais pour me retrouver dans leur cour arrière. Madame Rustan,  comme je l'ai toujours appelée, était ma grand-mère de cœur et elle me rendait au centuple l'affection que je lui portais. Tu m'aurais vu, ami lecteur, échanger pendant des heures avec elle et mon ami Christian. Dès la fin de l'école, pendant que ma mère travaillait encore, je passais la voir chaque soir, invariablement, pour boire l'orangeade, boisson madeleine de Proust par excellence, pour faire mes devoirs et regarder les cultissimes dessins-animés de mon enfance. Moi, l'enfant timide et solitaire, j'étais si bien en compagnie de cette dame si bienveillante qui me trouvait toujours des qualités même là où il n'y en avait probablement pas. Avec Christian, j'ai eu très tôt le goût de la lecture et j'ai pioché plus que de raison dans ses livres de poche. J'étais véritablement comme chez moi et si je n'ai pas une anecdote en particulier en tête, c'est vraiment dans le salon de Madame Rustan que j'aurai passé de merveilleux moments des années durant. Elle me manque.

Autre lieu lié à l'enfance : Emerainville, en Seine-et-Marne. L'allée du temps qui passe. Quel beau nom de rue, tu ne trouves pas ? C'est dans cette maison que j'ai passé mes plus belles vacances de Noël. J'étais déjà ado ou pré-ado en ce temps là et je ne te raconte pas quelle frénésie c'était à chaque fois dans ma tête lorsque j'arrivais en gare d'Austerlitz. Là, je retrouvais mon oncle Christian, ma tante Christine, mes deux cousins Christophe et Guillaume et le chien (Christmas puis Gipsy puis Huchka dite "La Huche", j'espère ne pas en avoir oublié en route). Et c'était parti pour deux semaines de malade où j'étais comme un coq en pâte au milieu de gens que j'aimais plus que tout. Dans la tête du gosse que j'étais, c'était un peu "Noël à Paris", quoi, c'était pas rien ! Les grosses bouffes en famille, les apéros à répétition dès que je fus en âge de les apprécier, les cadeaux, les vrais, ceux qui s'offrent sans chichis et qui émerveillent encore, les huitres, l'esprit de fête et les grasses matinées réparatrices qui vont bien. Jean-François, Chantal, Mémé Lapin et les filles, que du bonheur. Nathalie, adorable gamine, trop vite disparue. Simone, Papi Brossard. Tant de gens qui m'ont ouvert leur porte et leur cœur.
Bon, pour la petite anecdote (et pour rester en phase avec le sujet du maître), il faut quand même que je te parle de Claire. Bon, j'étais ado en ce temps là et cette fille me faisait clairement de l'effet. Une fille sportive et lumineuse qui voulait, rêve avorté entretemps, devenir pilote de ligne. La revoir chaque année était un vrai plaisir et une vraie attente. Et une vraie déchirure lorsque les vacances s'achevaient. Enfin, pour moi. Je n'ai jamais su quels étaient ses "sentiments", je crois qu'elle m'aimait bien vu le temps que nous essayions de passer ensemble à chaque fois mais bon, c'est quoi deux semaines dans une année ? Le reste du temps, nous correspondions. Ca a duré un certain temps puis nous avons perdu contact, il faut dire que je ne venais plus sur Paris aussi systématiquement et que nous grandissions chacun de notre côté. Au final, nous n'avons même pas réellement flirté mais Claire restera pour moi un excellent souvenir. Elle aura pleinement contribué à rendre ces périodes déjà joyeuses de Noël heureuses.

Tu me suis toujours ami lecteur ? J'espère que tu ne t'ennuies pas. Le problème, dans les souvenirs que l'on remue, c'est qu'il peuvent n'intéresser que la personne qui les a vécus. Donc, si c'est barbant pour toi, tu me le dis, surtout. Ou mieux. Plains-toi directement auprès de Christian qui a tant insisté pour que je te mêle à cette séance rétrospective et introspective si passionnante. En attendant, il est temps de nous rendre dans le troisième lieu qui a baigné une partie de mon enfance. C'était chez l'une de mes tantes, pas celle dont le mari m'enfermait dans la cave, non, une autre, plus gentille et qui me laissait vaquer à mon occupation favorite : le dessin. Ma tante habitait (et habite toujours aux dernières nouvelles d'il y a une bonne douzaine d'années) une ferme isolée de construction plutôt récente. Il y avait là une grande terrasse ombragée et une table longue qui n'attendaient que moi. J'amenais des tonnes d'encyclopédies animalières émanant des bibliothèques de la maisonnée et je passais les après-midi de mes vacances d'été à reproduire toutes sortes de mammifères. Je me demande bien quelle gueule cela pouvait avoir au final mais je me régalais. Le dessin a d'ailleurs eu une place prédominante chez l'enfant que j'étais. Dommage que certains adultes aient cru bon par la suite de m'en détourner mais bon, on ne réécrit pas l'histoire. Dommage aussi que ma centaine de vieux cahiers de dessins se soit volatilisée au détour d'un grand "nettoyage de printemps". J'aurais tellement aimé avoir un regard d'adulte sur tout ce que j'avais griffonné étant gosse. Les parents qui ne gardent rien, c'est quand même terrible...

Voilà. Difficile de conclure ce type d'exercice. On prend des bribes de vie, on se les rappelle à notre bon souvenir, on y revient sans trop savoir ce qu'on en a véritablement gardé au fond de soi. Merci à toi lecteur de passage ou de tous mes écrits d'avoir compulsé avec moi quelques pages du livre de ma vie, aussi pompeux que cela ait pu être. Bien à toi.
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jeudi 19 septembre 2013

Les devoirs du Jeudi de Maître Christian




Il prit son crayon, l'affuta avec précaution, recentra la feuille blanche devant lui et d'un trait ferme traça les premières lignes de ce qui allait devenir le Monde.
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Enfin, le sien. Il devait être à la hauteur de ce qu'il représentait, lui, le fils d'un Dieu.
A défaut de créer un monde, il créa une ville. Ephyra qui devint Corinthe. Une ville qu'il fit fructifier grâce au commerce essentiellement maritime. Il organisa des compétitions sur le modèle des Jeux Olympiques pour asseoir la notoriété de son nouveau domaine tout en rendant hommage aux Dieux.
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Astucieux et travailleur, il ne rechignait pas pourtant à tromper son monde lorsque les affaires l'exigeaient, voire même à tuer pour son profit certains des voyageurs qui faisaient escale. Mais il lui arrivait aussi d'être dupé à son tour comme le jour où son voisin Autolycos lui substitua plusieurs bêtes de son troupeau. C'est par la ruse qu'il parvint à confondre le voleur, en marquant les sabots de son propre cheptel tant et si bien qu'ils laissaient des traces sur leur passage. Il n'oublia pas, au passage, d'enfanter Anticlée, la fille du dit-voleur qui donna naissance quelque temps plus tard à l'un des héros grecs les plus célèbres : Ulysse. Sa paternité reste sujet à caution. Mais c'est une autre histoire...
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Toujours est-il que celle de notre personnage prit une tournure dramatique. Pour avoir révélé le secret divin entre Zeus et Egine (le premier avait enlevé la seconde) en échange de la source éternelle Pirène désormais installée au centre de Corinthe, il se heurta à la colère des Dieux. Bien qu'il ait dans un premier temps adroitement manœuvré Thanatos, personnification de la Mort à la solde d'Hadès, en le gardant prisonnier, il paya cher sa rébellion et son refus de rejoindre les Enfers.  On ne se soustrait pas à la volonté des Dieux, aussi fils de Dieu que l'on soit. Son châtiment fut exemplaire. Il fut condamné à faire rouler un immense et lourd rocher jusqu'en haut d'une colline dans le désert du Tartare. A chaque fois qu'il était sur le point d'arriver au sommet, il cédait sous le poids écrasant du rocher et devait recommencer sa besogne. Tel était désormais le fardeau de Sisyphe.

Jamais plus il ne prendrait de repos mais il ne le savait pas encore.


Voilà pour cet atelier du jeudi qui reprenait les mêmes contraintes que le précédent, à savoir une première et une dernière phrases imposées. J'ai pas mal galéré car j'avais deux orientations en tête avant de finalement partir sur tout autre chose de moins créatif mais de plus historique.
Au départ, j'avais songé rester dans le prolongement de l'exercice d'il y a 15 jours, à savoir ce que pourrait être un monde composé uniquement de gens sourds. Mais les possibilités sont excessivement vastes et complexes et le format de l'atelier d'écriture ne me permettait pas de le faire sereinement, sans parler du temps qu'il m'aurait fallu.
J'avais ensuite pensé à une variante, axée sur le rêve, un monde où la réalisation des rêves serait possible mais c'est un domaine que j'évoque finalement assez souvent (récemment encore avec la bulle flétrie) donc je rechignais un peu à y revenir. La rédaction aurait, de plus, été là-aussi laborieuse tant il aurait pu y avoir foisonnement d'idées.
Donc, j'ai finalement opté pour une approche plus mythologique, certainement plus classique car la dernière phrase m'a tout de suite fait pensé à Sisyphe, fils du Dieu Eole, condamné par Zeus à pousser éternellement un rocher sans aucun espoir de réussir sa mission. Un travail peut-être moins personnel qu'à l'accoutumée mais j'ai décidé de varier un peu les plaisirs. Et puis la mythologie grecque a longtemps marqué l'étudiant que je fus, alors...

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jeudi 5 septembre 2013

Les devoirs du Jeudi de Maître Christian





Ce matin-là, en me réveillant, j'ai tout de suite ressenti que quelque chose était différent mais quoi exactement ?

Le lit. Je m'étais retourné et il n'avait pas grincé. C'était bien la première fois qu'il ne grinçait pas au moindre mouvement. Mais il n'y avait pas que ça. C'était autre chose... Plus qu'une intuition...
Je décidais d'en avoir le cœur net et me levai précipitamment. Le lit ne broncha pas davantage. Pas plus que l'escalier en bois lorsque je descendis les marches quatre à quatre après avoir négligemment enfilé ma robe de chambre. La vérité était que... je n'entendais aucun son ! Je ne comprenais pas... étais-je devenu sourd en l'espace d'une simple nuit ?

J'ouvris la porte d'entrée et je n'entendis pas non plus le cliquetis si caractéristique des clefs dans la serrure. La lumière matinale inonda immédiatement le hall d'entrée. Tout aurait semblé normal s'il n'y avait eu ce silence. Quelques oiseaux virevoltaient déjà dans le ciel mais pas le moindre chant. La nature était tout autant silencieuse.

Une voiture passa au loin sans émettre le moindre son. Je ne savais pas ce que j'avais exactement mais mon ouïe s'était volatilisée en quelques heures.

Je remontai me doucher dans un silence effrayant, m'habillai en quelques secondes, chaussai de vieux baskets et ressortis. Deux voisins étaient à présent dehors et se regardaient avec des airs terrifiés tout en faisant de grands gestes. Je ne comprenais rien à ce qu'ils se racontaient mais visiblement cela n'avait rien de marrant. Ils m'aperçurent alors et accoururent vers moi sans cesser de gesticuler. Je leur expliquai que j'étais bien incapable de les entendre et que j'irais voir un spécialiste dans la matinée mais au lieu de se calmer, leurs yeux s'écarquillèrent encore plus. L'un des deux griffonna sur un bout de papier et me le tendit. Et c'est là qu'horrifié je compris qu'ils n'entendaient pas davantage que moi. Ou nous étions tous sourds ou tous les sons avaient disparu.

Quelques minutes plus tard, nous étions tous les trois dans mon salon à nous échanger des bouts de feuille pour communiquer. Une chape de plomb semblait nous être tombé dessus. Pour ma part, j'étais extrêmement las, malgré la douche. Des dizaines de questions se bousculaient dans ma tête. Mes voisins n'étaient guère mieux, complètement hagards. Nous fixions sans vraiment les voir nos tasses de café. Par la fenêtre, je voyais désormais d'autres personnes affolées et courant dans tous les sens. Les chiens de ces bâtards du 1 aboyaient tout en restant inaudibles, c'était vraiment bien le seul avantage de cette situation.Visiblement, nous étions tous concernés par le phénomène. Je n'osais pas imaginer jusqu'où il pouvait s'étendre mais j'espérais vraiment que l'épisode serait aussi bref qu'il était douloureux mentalement.
La situation était si incroyable que je n'avais plus le moindre doute quant au fait que j'allais forcément me réveiller. Je n'avais qu'à me montrer patient. Mais en attendant, ce cauchemar portait bien son nom.

Bon... quelques mois plus tard, après que je me sois réveillé des dizaines de fois dans le même état, je m'étais fait une raison. Un cauchemar certes, mais tout éveillé et sans limitation de durée. Aucun changement depuis ce fameux matin. Pas un son. Pas le moindre bruissement du vent. Pas le moindre clapotis de l'eau qui vit dans les rivières. Pas un rire d'enfant. Pas un aboiement au milieu des chiens qui dansent.

Un silence absolu et sans fin. Certains s'y étaient résignés, d'autres n'y parvenaient pas. Communiquer était devenu un chemin de croix. Papiers échangés de visu, mails à distance, langage des signes approximatif et à portée forcément réduite pour les plus vaillants, on avait vite fait le tour des solutions. Dans la vie de tous les jours, les désagréments n'en finissaient plus, des plus anecdotiques (comment diable se faire réveiller le matin, comment avoir une pintade bien cuite sans minuteur ?) aux plus tragiques (fermetures d'entreprises dues aux difficultés insurmontables de fonctionnement, diminution drastique des véhicules dans les rues pour cause d'accidents à répétition, malades qui décèdent dans les hôpitaux du fait d'infrastructures sonores désormais caduques). A la télévision, les dépêches étaient uniquement écrites et l'information était distillée au compte-goutte. De nombreuses chaines avaient cessé d'émettre. Il n'y avait plus de chanteurs et on parlait déjà d'un retour au cinéma muet. A l'échelle internationale, car telle était l'ampleur du phénomène, les guerres n'avaient rien perdu de leurs atrocités mais se déroulaient dans le plus grand silence. Pas un son ne sortait des bouches des civils décimés ou des troupes balayées. Les tanks dégueulaient leurs obus sans un bruit.

La vie économique ronronnait au ralenti dans un monde qui n'était plus fait pour elle. Quelque part, c'était le chaos. Certains retireraient probablement leur épingle du jeu dans ce flot d'incertitudes du lendemain tandis que d'autres sombreraient forcément faute d'avoir su ou pu s'adapter. Pour ma part, j'avouais avoir peur au quotidien. Soit nous étions tous sourds, soit tout ce qui était autour de nous avait perdu toute résonnance. La distinction n'avait guère d'importance. Tous nos acquis avaient volé en éclat. Nous, si puissants, désormais si impuissants.

Après reste l'inexplicable...


L'exercice était on ne peut plus simple niveau consignes : on me donnait la première phrase et la dernière du texte. Entre les deux, c'était à moi de jouer. J'ai fait ce que j'ai pu mais j'ai pris du plaisir !

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