mardi 31 décembre 2013

Le Tueur, 12 tomes (série en cours)





Le Tueur est une série scénarisée par Matz et dessinée par Luc Jacamon que j'ai découverte un peu par hasard puisque le tome 1 était offert lors de je ne sais plus quelle opération promotionnelle, à choisir parmi une dizaine d'autres ouvrages. Bonne pioche car la série est d'une qualité assez incroyable malgré quelques réserves toutes personnelles et sur lesquelles je reviendrai.


On suit le quotidien d'un tueur à gages froid et implacable. Et comme l'homme n'est pas très bavard, on le découvre au travers de ses états d'âmes même si le terme est assez impropre puisqu'il n'en a guère lorsqu'il mène à bien ses contrats. On découvre ses motivations mais aussi le regard qu'il porte sur ce monde corrompu qui l'enrichit. Le premier tome pose admirablement les bases de l'histoire, découpée en plusieurs cycles de 5 tomes, à travers une mise en scène de haute volée et un scénario visiblement très bien documenté. 



Personnellement, le premier cycle est de loin le meilleur. On est clairement dans un polar brut et froid où les métaphores (celle du crocodile étant la plus parlante) font mouche. L'atmosphère est oppressante car on suit le tueur dans l'exécution de ses contrats comme si on y était. L'adrénaline du tueur. La peur de ses victimes. L'absence de regret ou de la moindre compassion. Un tueur qui ne veut rien savoir des personnes qu'il doit abattre ni de ses commanditaires. Il est payé pour un travail et il s'acquitte de sa tâche, point.



A partir du deuxième cycle, on glisse peu à peu du polar vers la géopolitique. Le tueur reprend du service après quatre années sabbatiques, voyage de plus en plus mais les considérations sur la drogue ou le pétrole rendent l'ensemble moins passionnant, moins noir, moins oppressant. Et si le tueur exécute toujours personnellement ses missions, il n'est plus vraiment seul. Il sympathise, toutes proportions gardées, avec certains de ses commanditaires et se retrouve embarqué dans des missions où l'aspect "tueur à gages" est un peu noyé au milieu d'autres considérations. Et les réflexions de notre tueur sur chaque fléau de notre société ne fonctionnent que si elles sont parfaitement intégrées. Souvent le cas. Pas toujours. Le tueur, à défaut de beaucoup parler, pense énormément. Or, est-il normal qu'un être froid et sans état d'âme ait tant d'avis sur tout ? N'est-ce pas contradictoire avec le peu d'intérêt qu'il dit ressentir sur toute personne ou toute chose ? Pour moi, la série perd de son essence lors de ce deuxième cycle.


Malgré tout, le cycle 3 (en cours) semble relancer de belle manière la franchise car la machine se grippe et les quelques grains de sable constatés sur les deux premiers tomes sont prometteurs pour la suite. Le tueur ne sait plus trop à qui se fier dans son "propre camp" et le tome 2 du troisième cycle (le T12 donc) s'achève sur un dommage collatéral des plus dramatiques. Et à la vitesse où les deux comparses enquillent les volumes, le T13 devrait répondre à une partie de ces interrogations fin 2014.


Après, si l'on peut, comme moi, émettre quelques réserves sur l'évolution de la série, elle n'en reste pas moins de belle facture. Le scénario est brillant, les dialogues ne sont pas en reste et l'ensemble est pertinemment documenté. Je ne sais si Matz a autant voyagé que le tueur mais à chaque fois le dépaysement est assuré. Il doit y avoir un boulot colossal derrière toute cette mine d'informations. Et que dire du dessin de Luc Jacamon ? C'est splendide, la mise en scène est terrible hormis (et c'est là encore un avis tout personnel) lors des scènes de fusillades en voiture. A ce titre, la double page du T4 où Jacamon a clairement voulu dynamiser l'ensemble m'a fait l'effet d'un pétard mouillé noyé dans une surenchère d'effets de mise en scène. La scène des motos, quelques tomes plus loin, ne m'a pas davantage convaincu. Enfin, certaines pleines pages ne se justifient pas (quel intérêt de voir en pleine page le train d'un avion lors de l'atterrissage sur la piste ?) Mais sinon, c'est que du bonheur, Jacamon a un sacré talent et c'est un vrai coup de coeur que le trait de cet artiste que je ne connaissais absolument pas.



En bref...

J'aime : 
-Le personnage du tueur, sa solitude intrinsèque et la métaphore avec le crocodile
-Le caractère fouillé et documenté des intrigues
-Le dessin de Jacamon et l'excellence générale de sa mise en scène et des couleurs
-Les bases du troisième cycle si elles confirment leur potentiel

J'aime pas :
-Le polar qui glisse vers l'oeuvre géopolitique / action
-Le tueur, trop entouré donc moins solitaire
-La surenchère de certains effets  et les choix de découpage dans les scènes d'action
-Certaines informations moins pertinemment intégrées à l'intrigue

PS : Les illustrations glanées sur le net sont là pour vous montrer quelques planches de la série mais ne sont pas forcément un reflet des textes qui les accompagnent.



samedi 28 décembre 2013

L'Atelier de Maître Christian




Nous avons tous dans un coin de notre tête un de ces rêves inaccessibles, coin d'Amérique, terre de découvertes  avec ses grands espaces et ses héros . Racontez une chose à laquelle vous avez rêvé, un projet apparemment inaccessible qui s'est finalement réalisé en dépit du scepticisme de votre entourage...
Possibilité de choisir entre autobiographie ou création d'un personnage se racontant !


Voilà quelle était la teneur du dernier atelier d'écriture de Maître Christian. Une thématique qui m'a énormément contrarié. Parce que je ne souhaitais pas repartir sur de l'imaginaire alors que j'avais déjà créé une biographie de toutes pièces il y a peu avec Emile, le maître de Toby. Restait l'autobiographie.

Sauf que je n'ai pas de ces rêves dits inaccessibles. Je vivrais bien à Oléron ou au Québec, en tout cas je m'y verrais bien une partie de l'année, mais c'est juste dans un coin de ma tête alors de l'eau aura coulé sur les ponts avant que ça se réalise éventuellement. Je reviendrais bien sur Rodez, ma ville de cœur que Sarlat ne sera jamais, mais niveau héros et grands espaces, on ne peut pas dire que les images affluent.

Je n'ai pas de rêve démesuré qui se soit réalisé. J'ai ma bulle mais je n'y rêve plus vraiment lorsque je m'y isole. Du coup, je n'ai pas eu à subir un quelconque scepticisme ambiant autour de ma personne vis à vis d'un projet qui m'aurait vraiment tenu à cœur.

Il y a bien mon projet d'auto-édition. Il se fera sans doute mais pour le moment je n'y suis pas davantage que le reste. Je suis par ailleurs entouré de livres qu'un passionné de BD comme moi devrait engloutir. Même pas. 
En fait, je suis incapable de me projeter autrement qu'au jour le jour en ce moment. Même pour ce qui est de savoir ce 28 décembre ce que je ferai le 31 par exemple (et non, ne voyez là aucun message subliminal, je ne cherche pas à me faire inviter en urgence, c'est juste pour dire que même m'occuper de choses a priori simples devient compliqué).

Mon rêve tournerait plutôt autour de la réussite professionnelle. Je suis las d'une certaine précarité, pas seulement financière d'ailleurs. Je me contenterais pleinement d'un travail qui me comblerait professionnellement et humainement auprès d'un patron qui aurait à cœur d'apprendre des compétences mais aussi d'enseigner des valeurs. Alors certes, je travaille quelques heures par semaine mais je me sens en complet décalage avec ce que je suis et ce que j'aimerais faire. Je me demande ce que je fais là. Le travail n'est pas harassant en soi (encore qu'émotionnellement, ça se discute) mais c'est tellement pas moi que je m'y rends souvent à reculons. J'ai besoin de me sentir utile, de toucher les gens. Parfois j'envie les artistes, pas pour leur notoriété ni pour leur argent quand ils en ont mais juste parce qu'ils véhiculent des émotions, parce qu'ils me font vibrer au travers de personnages ou de valeurs dans lesquels je me reconnais. Je voudrais m'épanouir dans le social, l'humain, probablement un peu égoïstement sans doute. Aider les autres pour s'aider soi-même. Et vice-versa. Le voilà mon rêve... Inaccessible dans la société actuelle où, en plus de jongler avec la crise, il faut avoir de l'expérience ou être jeune pour bénéficier de quelques largesses de nos dirigeants ou de la considération de nos employeurs.

Par contre, même si ce n'était pas un rêve à proprement parler, je suis à chaque fois émerveillé de la solidité du couple que je forme avec ma chère Nathalie. J'ai raté pas mal de choses dans mon existence, pas toujours fait les bons choix dans quelque domaine que ce soit, et ça reste encore vrai aujourd'hui, mais concernant ma vie privée, je n'aurais pu rêver mieux que l'existence que je mène avec ma chère et tendre. Tout n'était pas gagné au départ (là, pour le coup, le scepticisme de certains membres de notre entourage était bien marqué) et notre relation aura parfois été émaillée de menues zones de turbulences mais aujourd'hui, nous sommes plus unis et amoureux que jamais. J'ai même cette sensation depuis plusieurs années maintenant que rien ne pourrait altérer le ciment de notre couple et qu'il se renforce même au fil du temps. Je suis au moins apaisé de ce côté-là. Enfin, aussi apaisé que je puisse l'être. Un anxieux reste un anxieux. J'ai tout le temps peur qu'il lui arrive quelque chose, qu'un collègue lui manque de respect au boulot, ce genre de stress inutile, quoi... Je me demande en permanence si je lui témoigne suffisamment d'attentions ou de moments de complicité à deux. Et, bien évidemment, parce que cette relation est magique a bien des égards, il m'arrive encore de me demander ce qu'elle a bien pu trouver à un gars comme moi. Résultat, je m'émerveille 15 ans après avec une intensité sans cesse accrue du regard qu'elle me porte, sans trop savoir si je mérite autant d'égards.


Alors oublions un instant les rêves plus ou moins inaccessibles, les grands espaces et leurs héros. Je n'ai plus de rêve en stock pour le moment excepté l'obsession d'une vie professionnelle épanouissante. Mais à défaut de rêves, j'ai une réalité. Avec ma femme en point d'orgue de mon existence. Dont les qualités que je connais pourtant sur le bout des doigts parviennent encore à me surprendre et à m'émerveiller. Cette luminosité de tous les instants, cette capacité à ne garder que le verre à moitié-plein y compris les jours de forte houle, cette gentillesse qui la rend incapable du moindre calcul ou de la moindre mesquinerie, cette émotivité intacte y compris après vingt rediffusions des épisodes plus ou moins larmoyants de La Petite maison dans la prairie, ce débordement d'amour en toutes occasions.... Cet amour qu'elle donne sans compter et dont elle a tant besoin en retour.

Alors je ne sais pas si Maître Christian considérera que j'ai bien fait mes devoirs ou si je suis complètement hors-sujet. Je sais simplement que je n'aurais pas pu traiter le sujet autrement que sous cet angle avec l'état d'esprit qui est le mien en ce moment. Au final, je me suis encore dévoilé, un peu, beaucoup. Certains s'y retrouveront, d'autres moins probablement. J'assume. Et je dédie ce texte, dans sa partie rêve éveillé (histoire de quand même coller au sujet), à qui vous savez...

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mercredi 11 décembre 2013

Le calendrier de l'Avent de François Roussel



Je vous ai déjà parlé de l'excellent François Roussel et de sa série à succès Des Bêtes. Je vous ai également parlé de mes rencontres toujours chaleureuses et riches en souvenirs avec l'artiste lors de séances de dédicaces. Je vous ai forcément parlé de son blog qui fait bien évidemment partie des blogs amis que vous avez dans le menu de droite. Je vous invite particulièrement à vous y rendre en ce mois de décembre pour y découvrir, chaque jour, sur le modèle du calendrier de l'Avent, une saynète drôle ou émouvante. Une belle façon, pour les lecteurs friands comme moi de ses personnages, de partager des moments inédits avec son impressionnant bestiaire. Une façon aussi pour certains de peut-être simplement découvrir l'univers de François.

Depuis le 1er décembre et jusqu'au 24 inclus, faites-vous plaisir ! Merci François car si l'initiative est déjà louable en soi, encore faut-il s'y tenir chaque jour avec brio ! Moi, je me régale ! 

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mercredi 4 décembre 2013

Les Robinsons du Rail




Inconditionnel de Franquin, essentiellement sa période Gaston Lagaffe et Idées Noires, je ne pouvais pas passer à côté de cette superbe réédition des Robinsons du Rail, récit scénarisé par Delporte et Franquin et illustré par Franquin et Jidéhem dans les années 60.

A l'époque, "Les Robinsons du Rail" constituait au départ une série radiophonique à succès avant d'être publiée peu de temps après dans Spirou. On y retrouve Gaston et Fantasio mais également Spirou dans une aventure qui vaut plus pour la galerie de ses (nombreux) personnages secondaires que pour l'intrigue proprement dite, quitte à choquer les puristes. Car l'histoire tient en une phrase : comment stopper un train nucléaire fou parcourant l'Europe (malencontreusement démarré à l'insu de son plein gré par Lagaffe le bien nommé) tout en protégeant la vie de ses passagers ?

C'est un avis qui n'engagera que moi bien évidemment et j'ai un peu honte de l'avouer mais, passé le plaisir de revoir des personnages familiers, je me suis ennuyé. En gros, on a d'un côté Gaston et Fantasio prisonniers d'un train et de l'autre Spirou qui va tout faire pour leur venir en aide. On parcourt ainsi l'Europe au travers de péripéties qui prêtent parfois à sourire mais qui ne passionnent guère. Même l'humour de Gaston nous laisse un peu à quai, probablement parce que ce personnage n'est jamais aussi bien mis en valeur que sous forme visuelle. Or, ici, il s'agit d'un long texte entrecoupé d'illustrations (splendides mais finalement trop éparses) où l'humour des personnages, bien qu'omniprésent, fait moins mouche. On visite l'Europe, de pays en pays, de gare en gare, de difficulté en difficulté, chaque péripétie laissant place à une autre mais la mayonnaise ne prend qu'imparfaitement. Et en plus l'ensemble est longuet.

Cela dit, l'esprit des personnages est bien évidemment respecté, avec quelques passages savoureux (cocotte). Et puis il y a, je le redis, ces dessins bluffants de maîtrise signés Franquin et Jidéhem reproduits pour la plupart à partir des originaux d'époque. L'occasion pour les deux compères de montrer que les trains n'ont plus de secret pour eux. Au final, c'est un ouvrage que je recommande malgré quelques réserves. Parce que c'est Gaston, Fantasio, Spirou. Parce que Delporte reste un merveilleux conteur, même en mode mineur. Et parce que c'est Franquin tout simplement. Le Maître.

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Les Devoirs de Maître Christian





Thème de l'exercice imposé : Rédiger la biographie d'un personnage imaginaire en proposant simplement quelques moments clés de sa vie : la naissance, l'enfance, les études, les amis, les métiers, la vie sentimentale et amoureuse, les voyages, les maladies, la mort... Tu peux choisir un homme ou une femme et les placer dans le pays ou l'époque de ton choix.

Donc, voilà ce que cela donne : 


Emile Gobert est né le 12 mars 1926 dans une famille plutôt aisée pour l’époque d’un père exploitant agricole et d’une mère institutrice. Troisième d’une lignée de huit enfants dont cinq n’atteindront pas l’âge d’un an, il est marqué très jeune par la mort accidentelle de son frère ainé, Louis, dont il était très proche, d’une diphtérie mal diagnostiquée. Malgré une scolarité en dents de scie du fait de l’ampleur des travaux à la ferme, il décroche à 13 ans son Certificat d’Etudes Primaires. Ce sera l’ultime motif de satisfaction de sa mère qui décèdera moins de quatre mois plus tard en mettant au monde son dernier enfant, Jean.

Dès lors, Emile s’occupe à la fois de son tout jeune frère, seul rescapé avec lui de la fratrie, et de l’exploitation où il y a de quoi faire d’autant que les terres à cultiver ou à entretenir sont nombreuses. Son père André les tenait de son propre père et ce dernier avait eu à cœur de les faire fructifier au mieux afin que famille et descendance à venir ne manquent de rien. Mais avec à seulement deux pour gérer la ferme, les 24 heures de la journée n’y suffisent plus. Emile gardera de ces années valorisantes mais harassantes le goût du dur labeur.


A un an de la fin de la guerre, le jeune Emile est mobilisé sur le front. Il a 18 ans et se retrouve en première ligne. Lors d’un assaut, il perd partiellement l’usage de sa jambe droite. Il évitera l’amputation de justesse mais gardera à vie une démarche boiteuse qui le handicapera beaucoup, surtout pour les travaux à la ferme. Alors oui, il est vivant à une période où beaucoup n’ont pas eu cette chance mais il a du mal à s’en satisfaire. Par chance, sa jambe ne le fait pas souffrir et il ne ménagera pas ses efforts pour ne pas être un poids mort vis-à-vis de son père et de son jeune frère qui montre de belles dispositions dans l’effort pour le monde agricole.

Parce qu’il est jeune mais aussi parce que le traumatisme de la guerre lui rappelle à chaque instant que la vie peut être courte, Emile profite de chacun des moments où il peut souffler pour se rendre au village, passant son temps à conter fleurette aux filles qu’il ne laisse pas insensible. Il compense son apparence boiteuse par une faconde sans limite qui fait mouche. Emile multiplie les conquêtes mais ne s’attache pas, au grand dam de son père. D’ailleurs, Emile ne se mariera pas. Jamais. « Par manque de temps » répètera-t-il invariablement. Ou d’envie. Les années passent et Emile ne semble pas vouloir se fixer. L’existence qu’il mène, entre travail harassant et rares festivités, semble lui convenir.

Un drame va toucher Emile de plein fouet : la disparition tragique de son seul frère restant, Jean, lors de la guerre d’Algérie. A partir de là, plus rien ne sera vraiment comme avant. Emile, inconsolable, va se réfugier encore davantage dans le travail et la solitude. Car les journées qu’il passe avec son père vieillissant sont désormais sans parole. Chacun se tue à la tâche comme pour ne pas penser. Parler est devenu superflu. Les sorties au village se réduisent comme peau de chagrin.

En 1980, Emile enterre son père et revend la plupart de ses terres. Il ne garde que la maison, un peu de terrain et quelques bêtes. Il lève clairement le pied. Il peut se le permettre. Il n’a plus que lui à nourrir. L’été, il descend quelquefois au village, parler de la pluie et du beau temps au troquet sur la place. Ou se moque gentiment de ceux qui triment en plein cagnard. Lui a du temps désormais. Sa jambe est usée. Lui aussi. Il est las. Il survit plus qu’il ne vit tant il donne l’impression de se traîner. Sa maison est sale. Dans la cuisine, la vaisselle s’entasse. Encore faut-il qu’il prenne le temps de cuisiner.

En 1988, il accepte de mauvaise grâce un cadeau qu’il juge empoisonné : une touffe de poils de quelques semaines censée pallier sa solitude. Un putain de clebs pataud qui ventile avec sa queue comme un con et dont Emile est bien persuadé qu’il ne sera qu’une source d’ennuis. Ce sera une renaissance. Le vieil homme va réapprendre à vivre au contact de Toby. Désormais ils vont tout partager et l’un comme l’autre ne seront plus seuls.

Jusqu’à mourir ensemble ou presque. En octobre 2005, par une nuit d’orage, à 17 ans -et tellement plus en langage chien-, Toby tire sa révérence. Le 17 février 2006, Emile s’en va le rejoindre en espérant qu’il y aura une petite place pour un humain au paradis des chiens. A moins d’un mois de son 80e anniversaire.

Les Devoirs de Maître Christian




Sortant du métro, l’air frais de cette matinée me revigora un peu. A qui pourrai-je donc parler de ces rêves ?
Finalement, j’aurais dû la croire quand elle m’a prévenu, maintenant hélas il est trop tard. 

Vous l'aurez compris, les 1ere et dernière phrases sont imposées. Entre les deux, ben...j'ai fait ce que j'ai pu ! C'est parti ! 


Sortant du métro, l’air frais de cette matinée me revigora un peu. A qui pourrai-je donc parler de ces rêves ? Surtout, à quoi cela servirait-il ? Cesseraient-ils de revenir invariablement chaque nuit pour autant ? Je ne le pensais pas. Mais je devais m’en défaire au plus vite. Ma vie en dépendait.

-Celui de la nuit passée a encore franchi un cap dans l’escalade de la violence. Comme d’habitude, j’étais dans un endroit sombre, suintant et sale comme le serait la cellule d’isolement d’une prison perdue au fin fond de l’Amérique latine. Mes yeux peinaient à transpercer les ténèbres. Jusqu’au moment que je redoutais désormais le plus et qui me semblait arriver de plus en plus tôt : celui où la porte volait en éclat et où mon bourreau apparaissait. Un être sans visage armé d’une lourde chaîne qu’il faisait tournoyer avant de l’abattre sur moi avec une violence inouïe. Une fois, deux fois, dix fois… Je me tortillais comme un ver sur le sol humide, mains et jambes liées, tentant d’éviter les coups de mon tortionnaire, sans jamais y parvenir. Je hurlais sans m’entendre tandis que son rire, lui, pénétrait le tréfonds de mes entrailles. Au bout d’un temps qui me parut interminable, je me réveillai enfin, en sueur et en sang dans mon lit. Mes draps empestaient l’urine. J’avais mal partout et étais couvert de bleus et de plaies plus ou moins ouvertes. Comme chaque matin depuis bientôt trois semaines.

Je m’interrompis, jetant un regard vers mon ex-femme qui me regardait avec un drôle d’air. Elle semblait visiblement hésiter sur la conduite à adopter. Mais bien que nous soyons divorcés depuis bientôt deux ans, elle était celle qui me connaissait le mieux, me percevait le mieux. Dix-huit années de vie commune. Si elle ne me croyait pas, personne ne me croirait. Mais elle restait silencieuse.

-Le problème, continuai-je, est que chaque nuit, ce rêve, enfin, ce cauchemar plutôt, semble durer plus longtemps, si tant est que l’on puisse parler de temps écoulé concernant les rêves. Les coups sont plus nombreux et je me réveille chaque matin plus amoché que la veille. J’appréhende le matin où je ne me réveillerai pas. Où l’homme sans visage m’aura donné le coup de trop. Où un de mes proches s’inquiétant de ne pas me voir donner de signe de vie me retrouvera baignant dans mon sang.

Martha ne disait rien. Qu’avais-je espéré ? Je tenais un discours de taré, j’avais une tête pas possible, des cernes d’un mètre de large, des contusions partout. Alors quoi ? Elle aurait dû se montrer compatissante et avaler mes paroles ?

-Tu t’inquiètes que je puisse être l’un de ces proches ? demanda-t-elle enfin.
Je sourcillai. Je ne m’étais pas attendu à ce genre de réponse, plutôt surprenante en de telles circonstances.
-Tu t’imagines que tes silences ou tes absences puissent m’inquiéter ? continua-t-elle tandis que je me sentais de plus en plus mal à l’aise sans trop savoir pourquoi. Après ce que tu m’as fait ? Après que tu nous aies quittées, moi, les filles, la maison, du jour au lendemain pour une greluche à qui tu auras fait miroiter monts et merveilles avant qu’elle ne se lasse de tes vaines promesses. Après que tu aies tenté de revenir, la queue entre les jambes, comme le lâche que tu es ? Te croyais-tu à ce point indispensable ? Je t’ai prouvé à l’époque que tu ne l’étais pas en refusant que tu reviennes dans nos vies. Rien n’a changé depuis. Je ne serai pas ce proche qui te découvrira, Paul.

Elle se leva, prit son imperméable et se dirigea vers la porte.
-Mais… Tu me crois ?
Elle se retourna, eut un petit sourire en coin.
-Bien sûr que je te crois. Parce que tu ne m’apprends rien.
Je tressaillis. Je ne comprenais pas bien mais je n’aimais pas ce que j’entendais.
-Ne cherche pas à comprendre l’inexplicable, ajouta-t-elle comme si elle avait anticipé mes pensées. Tout a l’air si vrai et pourtant rien ne l’est. Rien de ce qui te concerne du moins. Tu n’es qu’un rêve. Le mien. Fabriqué de toutes pièces. Un rêve parfait au départ qui s’est étiolé par la suite. Un rêve désormais impossible dont je dois à présent me débarrasser. Je m’y emploie, sois en certain, mais tu ne me facilites pas la tâche. Un comble pour quelqu’un qui n’a jamais existé. Mais je ne suis pas pressée. Cela prendra le temps qu’il faudra. Savoir qu’à défaut de disparaître définitivement, tu souffres le martyre me suffit. Invariablement. Nuit après nuit. Sans pouvoir tenir infiniment. Jusqu’à te déliter complètement. Ça viendra, tu verras. Tu supplieras pour que cela arrive vite. Et tu seras alors libre comme je le serai également. Mort mais libre.

Elle avait parlé d’une voix légère, presque chantante. Elle pivota sur ses talons, fit un geste négligé de la main à mon intention, comme un adieu, et sortit. La porte se referma. J’étais seul. Sonné. K.O. debout. Je ne comprenais pas tout mais je savais déjà combien les prochaines nuits promettaient d’être traumatisantes. Alors quoi ? N’avais-je été que le fruit d’une imagination ? N’avais-je jamais vraiment existé autrement que dans l’esprit d’une femme malade ? Les fortes douleurs et courbatures sur chaque centimètre de mon corps me donnaient plutôt l’impression d’être bien réel. Me rappelaient aussi que j’étais en sursis. Jusqu’au retour de l’homme sans visage. Jusqu’à la nuit de trop. Celle où les chaînes vaincraient.


J’avais souri dans un premier temps lorsque Martha m’avait dit que je le regretterais lorsque je l’avais trompée une première fois. Finalement, j’aurais dû la croire quand elle m’a prévenu, maintenant hélas il est trop tard. 

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