mercredi 10 août 2016

En trompe l’œil (15)


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J'observais de mon siège la jeune femme dont le regard semblait se perdre dans les méandres de la dense et sauvage forêt d'Amazonie. Était-elle subjuguée par la beauté aérienne de cet écrin de verdure encore partiellement épargné par la déforestation ? Était-elle triste, comme je l'étais moi-même, de devoir s'en retourner vers la civilisation, enfin, celle que l'on présente comme telle ?

Pour ma part, j'allais rentrer chez moi la tête pleine d'images et de souvenirs de rencontres, d'échanges, de partages. Mais sans les réponses que j'étais venu chercher.
J'avais ressenti le besoin de revenir aux fondamentaux parce que je ne supportais plus le monde tel qu'il est désormais, un monde de puissants, un monde au rythme effréné, un monde de compétition et d'individualisme, un monde en guerre contre tout, tout le temps. Evidemment, les critiques seraient à argumenter, à nuancer probablement aussi, mais le problème n'est pas là. La vérité est que je me sens complètement inadapté à tout ce qui m'entoure. Ce n'est pas juste une question d'âge ou de syndrome "C'était mieux avant". D'ailleurs, c'est plus un constat qu'une réelle introspection ou un jugement. Le monde va vite et je n'ai pas le rythme, c'est aussi simple que ça. Le monde se virtualise chaque jour un peu plus et cela me fait peur, d'autant plus que j'y contribue.

Malheureusement, je ne suis pas seulement inadapté à cette civilisation dite moderne. Ce voyage de cinq semaines à essayer de vivre parmi les indigènes a très vite montré les limites de la simple bonne volonté. Alors oui, on admire ces peuples qui tentent de vivre d'une façon aussi ancestrale que possible, sans beaucoup de ressources mais avec une abnégation et des valeurs de famille, d’entraide et de dépassement de soi qui forcent le respect. Oui, on aimerait bien ne plus être guidé par le seul aspect matérialiste comme baromètre social. Oui, on voudrait bien se recentrer sur les choses simples mais essentielles. Oui, on voudrait bien, pour un temps, partager le quotidien de tous ces gens qui n'ont rien autant qu'ils ont presque tout. Se prouver que c'est possible et que nous sommes récupérables.

Sauf que là-aussi, nous sommes des inadaptés. Moi, vous, tout le monde ou presque. On envie des personnes dont on estime qu'elles ont tout compris mais vivre cette vie signifierait pour nous être en situation de survie permanente. Car pour les indigènes, rien n'est simple. C'est une vie dure, exigeante et dont les efforts consentis chaque jour n'ont qu'une portée de quelques heures. Une vie qui exige inlassablement de tout recommencer, encore et encore. Une abnégation que l'on peut saluer ou admirer mais qui n'est pas pour nous. 

Avec tout ça, je ne sais toujours pas où est ma place. Pour tout dire, cela fait un sacré bout de temps maintenant que je cherche en vain. Avec ce constat qui revient tel un leitmotiv entêtant : Je suis un inadapté. Ce monde n'est pas le mien. Il n'est pas pour moi.

Je me demande si cette jeune femme se pose les mêmes questions. Honnêtement, je ne l'espère pas. Il y a tant à faire plutôt que de se poser des questions sans réponse.

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