jeudi 29 avril 2021

Ric Hochet T 5 : Commissaire Griot ✪✪✪✪✪

Ric Hochet © Le Lombard

Ric Hochet reprend du service pour une cinquième enquête de ses nouvelles aventures signées Simon van Liemt (dessins), Zidrou (scénario) et François Cerminaro (couleurs). Et ce tome 5 franchit un nouveau pallier dans l'excellence après quatre précédents albums de haute volée. Ce "Commissaire Griot" est l'un des meilleurs Ric Hochet toutes séries confondues. A tel point qu'il m'oblige presque à ressusciter un blog endormi depuis plus d'un an tellement j'ai envie de partager avec vous mon enthousiasme et donc de reprendre la plume. 

Si mon blog ressuscite donc, il est bien le seul. Car les morts pleuvent dans ce nouvel opus. Nous avons même deux enquêtes principales pour le prix d'une. Un mystérieux Cupidon ne manque pas d'imagination ni d'une certaine théâtralité pour assassiner une à une des femmes qui ne semblent rien avoir en commun. Et dans le même temps, un homme meurt, le coeur dans les mains, le premier d'une longue série, un modus operanti plus nébuleux qu'il n'y parait. Les deux séries de meurtres sont-elles liées ? Quelles sont les motivations du ou des tueurs ?
Ric Hochet va devoir de plus composer avec le Commissaire Ousmane Dior fraîchement débarqué d'Afrique dans le cadre d'un échange inter-police impliquant que Bourdon soit de facto envoyé en mission au Sénégal, mission qui ne sera pas de tout repos non plus. 

Ric Hochet © Le Lombard

A ce stade, sachez que cet album est un indispensable, que vous pouvez l'acheter les yeux fermés, Une fois que j'ai dit ça, je précise que ce billet s'adresse désormais à ceux qui ont franchi le pas de la lecture de ce tome 5. Les autres, si vous ne voulez pas que l'on vous gâche le plaisir de la découverte, passez votre chemin. Quand vous l'aurez lu, revenez et j'aurai plaisir à échanger avec vous. Vous voilà prévenus, c'est parti ! 

A PARTIR D'ICI : SPOILERS SPOILERS SPOILERS

Je le disais en préambule, c'est l'un des meilleurs Ric Hochet qu'il m'a été donné de lire. C'est résolument un album d'atmosphère, et les thématiques abordées s'y prêtent parfaitement. Après le "romantisme" du tome précédent par le prisme des motivations du "tueur", on est dans un tome bien plus noir, très sanglant, parfois jusqu'à l'extrême. Ainsi, sans doute que Tibet aurait pu valider la mutilation de Nadine mais jamais André-Paul Duchâteau ne s'y serait résolu. Mais parce que c'est hyper bien fichu, cela fonctionne.

Il faut également,bien sûr, en tant que lecteur de la première heure, se faire à l'idée qu'on ne doit plus "chercher un coupable" parmi une sélection, ce qui était le schéma habituel de la série classique, car ici, finalement, l'identité des deux tueurs n'a que peu d'importance. Mais la folie, qui est leur point commun et qui se traduit différemment, hormis dans la cruauté des crimes, est ce qu'il y a de plus fort dans ce tome, surtout dans la manière dont elle est retranscrite, un peu plus pathétique chez Charles, carrément flippante chez Michel (dont je croyais jusqu'à la dernière page qu'un 3ème larron se cachait derrière l'homme possédé, quelqu'un qui tirerait les ficelles alors qu'en fait, non). 
La façon dont Ric se débarrasse de Charles, avec le modus operanti de Michel, sans que l'on sache bien d'où viendrait ce transfert de "folie provisoire" qui leur sauve pourtant la vie à lui et Nadine, est très efficace. C'est pour cela que je parle de BD d'atmosphère car de la première à la dernière page, le parti pris est respecté et drôlement bien mené. 
La force de la dernière scène, celle où "Ric possédé" tue Charles, c'est que les deux folies présentes dans la BD (celle de Charles et celle de Michel), qui ne se croisaient pas jusque là, se confondent enfin, en quelque sorte, dans une sorte d'apothéose sanglante. Du grand art pas facile à mettre en place !

Ric Hochet © Le Lombard

Concernant Bourdon, j'ai craint un moment que le faire intervenir en Afrique allait alourdir le récit déjà bien foisonnant, et que l'intrigue serait en lien avec celles se déroulant en France pour mieux se recouper ensuite mais en fait là encore, mauvaise pioche sauf que c'est du grand art, le meurtre n'est que prétexte, l'identité de l'assassin aussi et la résolution est hilarante et jouant là-aussi sur les croyances, ou clichés, des habitants. 

Le racisme ambiant est prégnant tout au long de l'histoire mais sa gravité, réelle, est quelque peu désamorcée au travers du personnage du commissaire Dior qui anticipe les a priori de telle façon que l'interlocuteur soit confronté à sa bêtise, son intolérance et son ignorance. Là aussi, c'est très bien vu et drôle. D'autant que le nouveau commissaire ne fait jamais dans la victimisation alors qu'il subit le racisme quotidiennement. Et ça fonctionne d'autant plus que les personnages sont très bien écrits. L'occasion aussi de cerner un peu plus Ledru qui n'avait pas non plus nécessairement le beau rôle sous la plume d'André-Paul Duchâteau. Quand ça ne veut pas...

Tous les points précédemment abordés montrent, s'il était encore nécessaire de le préciser, que Zidrou est un auteur de très grand talent et qu'il est LE scénariste idéal pour Ric Hochet. Il s'autorise des choses, ose, expérimente, multiplie les pistes, donne à réfléchir, s'amuse mais toujours dans un évident respect de l'oeuvre originale. Un funambule en parfait équilibre. Chapeau bas ! 

Et que dire du dessin... Je me suis fait la réflexion tout au long de ma lecture que c'était un travail de malade que Simon van Liemt avait produit, entre les différents lieux géographiques, le dynamisme de l'épisode (on ne s'ennuie jamais, il n'y a pas de temps mort), le découpage inspiré (ex : un des meurtres de Charles avec le reflet de la victime sur le couteau et, surtout, surtout, la scène finale où Ric découvre sans trop comprendre comment il a fait, le bain de sang auquel il a du se résoudre pour sauver Nadine, une scène forte car il n'en a pas le souvenir et parce que, nous même, nous ne l'avons pas vue, et pourtant ça fonctionne au centuple. Bref, désolé de ressortir le camion de superlatifs comme à chaque nouveau tome mais je trouve que le dessinateur a encore franchi un pallier dans l'excellence et, il le sait, je suis sincère. Et n'oublions surtout pas l'apport considérable et inspiré du coloriste François Cerminaro.

Ric Hochet © Le Lombard


Que dire en conclusion...
Lorsque je suivais la série originelle, il était clair, même pour les plus fans des fans, que les derniers tomes n'étaient pas à la hauteur. Je ne pensais pas différemment. Les histoires devenaient abracadabrantes parfois, le trait plus approximatif, la mise en scène plus figée... Pourtant, invariablement, dès qu'un nouveau tome était annoncé, je débarquais chez mon libraire le jour J, j'étais comme un gosse, je ne pouvais plus attendre. Je savais que j'allais être déçu, plus ou moins inconsciemment, mais retrouver cet univers n'avait pas de prix. Et puis penser que Tibet et Duchâteau continuaient à s'éclater me remplissait de joie. Ils m'avaient tant apportés alors qu'ils prennent du plaisir jusqu'au bout, c'était ce que je leur souhaitais avant tout, bien au delà de ma petite déception de lecteur en refermant le livre. 
Ceux qui m'ont accompagné pendant de si longues années ne sont plus là aujourd'hui. Et pourtant Ric Hochet est plus que jamais présent. Et moi, j'ai retrouvé ce plaisir unique de me pointer le jour J à chaque sortie d'un nouveau tome, invariablement, avec la même impatience et le même éclat dans les yeux.
Je crois que la vraie réussite de ce fabuleux trio Van Liemt - Zidrou - Cerminaro, elle est là.
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