mardi 31 décembre 2013

Le Tueur, 12 tomes (série en cours)





Le Tueur est une série scénarisée par Matz et dessinée par Luc Jacamon que j'ai découverte un peu par hasard puisque le tome 1 était offert lors de je ne sais plus quelle opération promotionnelle, à choisir parmi une dizaine d'autres ouvrages. Bonne pioche car la série est d'une qualité assez incroyable malgré quelques réserves toutes personnelles et sur lesquelles je reviendrai.


On suit le quotidien d'un tueur à gages froid et implacable. Et comme l'homme n'est pas très bavard, on le découvre au travers de ses états d'âmes même si le terme est assez impropre puisqu'il n'en a guère lorsqu'il mène à bien ses contrats. On découvre ses motivations mais aussi le regard qu'il porte sur ce monde corrompu qui l'enrichit. Le premier tome pose admirablement les bases de l'histoire, découpée en plusieurs cycles de 5 tomes, à travers une mise en scène de haute volée et un scénario visiblement très bien documenté. 



Personnellement, le premier cycle est de loin le meilleur. On est clairement dans un polar brut et froid où les métaphores (celle du crocodile étant la plus parlante) font mouche. L'atmosphère est oppressante car on suit le tueur dans l'exécution de ses contrats comme si on y était. L'adrénaline du tueur. La peur de ses victimes. L'absence de regret ou de la moindre compassion. Un tueur qui ne veut rien savoir des personnes qu'il doit abattre ni de ses commanditaires. Il est payé pour un travail et il s'acquitte de sa tâche, point.



A partir du deuxième cycle, on glisse peu à peu du polar vers la géopolitique. Le tueur reprend du service après quatre années sabbatiques, voyage de plus en plus mais les considérations sur la drogue ou le pétrole rendent l'ensemble moins passionnant, moins noir, moins oppressant. Et si le tueur exécute toujours personnellement ses missions, il n'est plus vraiment seul. Il sympathise, toutes proportions gardées, avec certains de ses commanditaires et se retrouve embarqué dans des missions où l'aspect "tueur à gages" est un peu noyé au milieu d'autres considérations. Et les réflexions de notre tueur sur chaque fléau de notre société ne fonctionnent que si elles sont parfaitement intégrées. Souvent le cas. Pas toujours. Le tueur, à défaut de beaucoup parler, pense énormément. Or, est-il normal qu'un être froid et sans état d'âme ait tant d'avis sur tout ? N'est-ce pas contradictoire avec le peu d'intérêt qu'il dit ressentir sur toute personne ou toute chose ? Pour moi, la série perd de son essence lors de ce deuxième cycle.


Malgré tout, le cycle 3 (en cours) semble relancer de belle manière la franchise car la machine se grippe et les quelques grains de sable constatés sur les deux premiers tomes sont prometteurs pour la suite. Le tueur ne sait plus trop à qui se fier dans son "propre camp" et le tome 2 du troisième cycle (le T12 donc) s'achève sur un dommage collatéral des plus dramatiques. Et à la vitesse où les deux comparses enquillent les volumes, le T13 devrait répondre à une partie de ces interrogations fin 2014.


Après, si l'on peut, comme moi, émettre quelques réserves sur l'évolution de la série, elle n'en reste pas moins de belle facture. Le scénario est brillant, les dialogues ne sont pas en reste et l'ensemble est pertinemment documenté. Je ne sais si Matz a autant voyagé que le tueur mais à chaque fois le dépaysement est assuré. Il doit y avoir un boulot colossal derrière toute cette mine d'informations. Et que dire du dessin de Luc Jacamon ? C'est splendide, la mise en scène est terrible hormis (et c'est là encore un avis tout personnel) lors des scènes de fusillades en voiture. A ce titre, la double page du T4 où Jacamon a clairement voulu dynamiser l'ensemble m'a fait l'effet d'un pétard mouillé noyé dans une surenchère d'effets de mise en scène. La scène des motos, quelques tomes plus loin, ne m'a pas davantage convaincu. Enfin, certaines pleines pages ne se justifient pas (quel intérêt de voir en pleine page le train d'un avion lors de l'atterrissage sur la piste ?) Mais sinon, c'est que du bonheur, Jacamon a un sacré talent et c'est un vrai coup de coeur que le trait de cet artiste que je ne connaissais absolument pas.



En bref...

J'aime : 
-Le personnage du tueur, sa solitude intrinsèque et la métaphore avec le crocodile
-Le caractère fouillé et documenté des intrigues
-Le dessin de Jacamon et l'excellence générale de sa mise en scène et des couleurs
-Les bases du troisième cycle si elles confirment leur potentiel

J'aime pas :
-Le polar qui glisse vers l'oeuvre géopolitique / action
-Le tueur, trop entouré donc moins solitaire
-La surenchère de certains effets  et les choix de découpage dans les scènes d'action
-Certaines informations moins pertinemment intégrées à l'intrigue

PS : Les illustrations glanées sur le net sont là pour vous montrer quelques planches de la série mais ne sont pas forcément un reflet des textes qui les accompagnent.



samedi 28 décembre 2013

L'Atelier de Maître Christian




Nous avons tous dans un coin de notre tête un de ces rêves inaccessibles, coin d'Amérique, terre de découvertes  avec ses grands espaces et ses héros . Racontez une chose à laquelle vous avez rêvé, un projet apparemment inaccessible qui s'est finalement réalisé en dépit du scepticisme de votre entourage...
Possibilité de choisir entre autobiographie ou création d'un personnage se racontant !


Voilà quelle était la teneur du dernier atelier d'écriture de Maître Christian. Une thématique qui m'a énormément contrarié. Parce que je ne souhaitais pas repartir sur de l'imaginaire alors que j'avais déjà créé une biographie de toutes pièces il y a peu avec Emile, le maître de Toby. Restait l'autobiographie.

Sauf que je n'ai pas de ces rêves dits inaccessibles. Je vivrais bien à Oléron ou au Québec, en tout cas je m'y verrais bien une partie de l'année, mais c'est juste dans un coin de ma tête alors de l'eau aura coulé sur les ponts avant que ça se réalise éventuellement. Je reviendrais bien sur Rodez, ma ville de cœur que Sarlat ne sera jamais, mais niveau héros et grands espaces, on ne peut pas dire que les images affluent.

Je n'ai pas de rêve démesuré qui se soit réalisé. J'ai ma bulle mais je n'y rêve plus vraiment lorsque je m'y isole. Du coup, je n'ai pas eu à subir un quelconque scepticisme ambiant autour de ma personne vis à vis d'un projet qui m'aurait vraiment tenu à cœur.

Il y a bien mon projet d'auto-édition. Il se fera sans doute mais pour le moment je n'y suis pas davantage que le reste. Je suis par ailleurs entouré de livres qu'un passionné de BD comme moi devrait engloutir. Même pas. 
En fait, je suis incapable de me projeter autrement qu'au jour le jour en ce moment. Même pour ce qui est de savoir ce 28 décembre ce que je ferai le 31 par exemple (et non, ne voyez là aucun message subliminal, je ne cherche pas à me faire inviter en urgence, c'est juste pour dire que même m'occuper de choses a priori simples devient compliqué).

Mon rêve tournerait plutôt autour de la réussite professionnelle. Je suis las d'une certaine précarité, pas seulement financière d'ailleurs. Je me contenterais pleinement d'un travail qui me comblerait professionnellement et humainement auprès d'un patron qui aurait à cœur d'apprendre des compétences mais aussi d'enseigner des valeurs. Alors certes, je travaille quelques heures par semaine mais je me sens en complet décalage avec ce que je suis et ce que j'aimerais faire. Je me demande ce que je fais là. Le travail n'est pas harassant en soi (encore qu'émotionnellement, ça se discute) mais c'est tellement pas moi que je m'y rends souvent à reculons. J'ai besoin de me sentir utile, de toucher les gens. Parfois j'envie les artistes, pas pour leur notoriété ni pour leur argent quand ils en ont mais juste parce qu'ils véhiculent des émotions, parce qu'ils me font vibrer au travers de personnages ou de valeurs dans lesquels je me reconnais. Je voudrais m'épanouir dans le social, l'humain, probablement un peu égoïstement sans doute. Aider les autres pour s'aider soi-même. Et vice-versa. Le voilà mon rêve... Inaccessible dans la société actuelle où, en plus de jongler avec la crise, il faut avoir de l'expérience ou être jeune pour bénéficier de quelques largesses de nos dirigeants ou de la considération de nos employeurs.

Par contre, même si ce n'était pas un rêve à proprement parler, je suis à chaque fois émerveillé de la solidité du couple que je forme avec ma chère Nathalie. J'ai raté pas mal de choses dans mon existence, pas toujours fait les bons choix dans quelque domaine que ce soit, et ça reste encore vrai aujourd'hui, mais concernant ma vie privée, je n'aurais pu rêver mieux que l'existence que je mène avec ma chère et tendre. Tout n'était pas gagné au départ (là, pour le coup, le scepticisme de certains membres de notre entourage était bien marqué) et notre relation aura parfois été émaillée de menues zones de turbulences mais aujourd'hui, nous sommes plus unis et amoureux que jamais. J'ai même cette sensation depuis plusieurs années maintenant que rien ne pourrait altérer le ciment de notre couple et qu'il se renforce même au fil du temps. Je suis au moins apaisé de ce côté-là. Enfin, aussi apaisé que je puisse l'être. Un anxieux reste un anxieux. J'ai tout le temps peur qu'il lui arrive quelque chose, qu'un collègue lui manque de respect au boulot, ce genre de stress inutile, quoi... Je me demande en permanence si je lui témoigne suffisamment d'attentions ou de moments de complicité à deux. Et, bien évidemment, parce que cette relation est magique a bien des égards, il m'arrive encore de me demander ce qu'elle a bien pu trouver à un gars comme moi. Résultat, je m'émerveille 15 ans après avec une intensité sans cesse accrue du regard qu'elle me porte, sans trop savoir si je mérite autant d'égards.


Alors oublions un instant les rêves plus ou moins inaccessibles, les grands espaces et leurs héros. Je n'ai plus de rêve en stock pour le moment excepté l'obsession d'une vie professionnelle épanouissante. Mais à défaut de rêves, j'ai une réalité. Avec ma femme en point d'orgue de mon existence. Dont les qualités que je connais pourtant sur le bout des doigts parviennent encore à me surprendre et à m'émerveiller. Cette luminosité de tous les instants, cette capacité à ne garder que le verre à moitié-plein y compris les jours de forte houle, cette gentillesse qui la rend incapable du moindre calcul ou de la moindre mesquinerie, cette émotivité intacte y compris après vingt rediffusions des épisodes plus ou moins larmoyants de La Petite maison dans la prairie, ce débordement d'amour en toutes occasions.... Cet amour qu'elle donne sans compter et dont elle a tant besoin en retour.

Alors je ne sais pas si Maître Christian considérera que j'ai bien fait mes devoirs ou si je suis complètement hors-sujet. Je sais simplement que je n'aurais pas pu traiter le sujet autrement que sous cet angle avec l'état d'esprit qui est le mien en ce moment. Au final, je me suis encore dévoilé, un peu, beaucoup. Certains s'y retrouveront, d'autres moins probablement. J'assume. Et je dédie ce texte, dans sa partie rêve éveillé (histoire de quand même coller au sujet), à qui vous savez...

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mercredi 11 décembre 2013

Le calendrier de l'Avent de François Roussel



Je vous ai déjà parlé de l'excellent François Roussel et de sa série à succès Des Bêtes. Je vous ai également parlé de mes rencontres toujours chaleureuses et riches en souvenirs avec l'artiste lors de séances de dédicaces. Je vous ai forcément parlé de son blog qui fait bien évidemment partie des blogs amis que vous avez dans le menu de droite. Je vous invite particulièrement à vous y rendre en ce mois de décembre pour y découvrir, chaque jour, sur le modèle du calendrier de l'Avent, une saynète drôle ou émouvante. Une belle façon, pour les lecteurs friands comme moi de ses personnages, de partager des moments inédits avec son impressionnant bestiaire. Une façon aussi pour certains de peut-être simplement découvrir l'univers de François.

Depuis le 1er décembre et jusqu'au 24 inclus, faites-vous plaisir ! Merci François car si l'initiative est déjà louable en soi, encore faut-il s'y tenir chaque jour avec brio ! Moi, je me régale ! 

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mercredi 4 décembre 2013

Les Robinsons du Rail




Inconditionnel de Franquin, essentiellement sa période Gaston Lagaffe et Idées Noires, je ne pouvais pas passer à côté de cette superbe réédition des Robinsons du Rail, récit scénarisé par Delporte et Franquin et illustré par Franquin et Jidéhem dans les années 60.

A l'époque, "Les Robinsons du Rail" constituait au départ une série radiophonique à succès avant d'être publiée peu de temps après dans Spirou. On y retrouve Gaston et Fantasio mais également Spirou dans une aventure qui vaut plus pour la galerie de ses (nombreux) personnages secondaires que pour l'intrigue proprement dite, quitte à choquer les puristes. Car l'histoire tient en une phrase : comment stopper un train nucléaire fou parcourant l'Europe (malencontreusement démarré à l'insu de son plein gré par Lagaffe le bien nommé) tout en protégeant la vie de ses passagers ?

C'est un avis qui n'engagera que moi bien évidemment et j'ai un peu honte de l'avouer mais, passé le plaisir de revoir des personnages familiers, je me suis ennuyé. En gros, on a d'un côté Gaston et Fantasio prisonniers d'un train et de l'autre Spirou qui va tout faire pour leur venir en aide. On parcourt ainsi l'Europe au travers de péripéties qui prêtent parfois à sourire mais qui ne passionnent guère. Même l'humour de Gaston nous laisse un peu à quai, probablement parce que ce personnage n'est jamais aussi bien mis en valeur que sous forme visuelle. Or, ici, il s'agit d'un long texte entrecoupé d'illustrations (splendides mais finalement trop éparses) où l'humour des personnages, bien qu'omniprésent, fait moins mouche. On visite l'Europe, de pays en pays, de gare en gare, de difficulté en difficulté, chaque péripétie laissant place à une autre mais la mayonnaise ne prend qu'imparfaitement. Et en plus l'ensemble est longuet.

Cela dit, l'esprit des personnages est bien évidemment respecté, avec quelques passages savoureux (cocotte). Et puis il y a, je le redis, ces dessins bluffants de maîtrise signés Franquin et Jidéhem reproduits pour la plupart à partir des originaux d'époque. L'occasion pour les deux compères de montrer que les trains n'ont plus de secret pour eux. Au final, c'est un ouvrage que je recommande malgré quelques réserves. Parce que c'est Gaston, Fantasio, Spirou. Parce que Delporte reste un merveilleux conteur, même en mode mineur. Et parce que c'est Franquin tout simplement. Le Maître.

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Les Devoirs de Maître Christian





Thème de l'exercice imposé : Rédiger la biographie d'un personnage imaginaire en proposant simplement quelques moments clés de sa vie : la naissance, l'enfance, les études, les amis, les métiers, la vie sentimentale et amoureuse, les voyages, les maladies, la mort... Tu peux choisir un homme ou une femme et les placer dans le pays ou l'époque de ton choix.

Donc, voilà ce que cela donne : 


Emile Gobert est né le 12 mars 1926 dans une famille plutôt aisée pour l’époque d’un père exploitant agricole et d’une mère institutrice. Troisième d’une lignée de huit enfants dont cinq n’atteindront pas l’âge d’un an, il est marqué très jeune par la mort accidentelle de son frère ainé, Louis, dont il était très proche, d’une diphtérie mal diagnostiquée. Malgré une scolarité en dents de scie du fait de l’ampleur des travaux à la ferme, il décroche à 13 ans son Certificat d’Etudes Primaires. Ce sera l’ultime motif de satisfaction de sa mère qui décèdera moins de quatre mois plus tard en mettant au monde son dernier enfant, Jean.

Dès lors, Emile s’occupe à la fois de son tout jeune frère, seul rescapé avec lui de la fratrie, et de l’exploitation où il y a de quoi faire d’autant que les terres à cultiver ou à entretenir sont nombreuses. Son père André les tenait de son propre père et ce dernier avait eu à cœur de les faire fructifier au mieux afin que famille et descendance à venir ne manquent de rien. Mais avec à seulement deux pour gérer la ferme, les 24 heures de la journée n’y suffisent plus. Emile gardera de ces années valorisantes mais harassantes le goût du dur labeur.


A un an de la fin de la guerre, le jeune Emile est mobilisé sur le front. Il a 18 ans et se retrouve en première ligne. Lors d’un assaut, il perd partiellement l’usage de sa jambe droite. Il évitera l’amputation de justesse mais gardera à vie une démarche boiteuse qui le handicapera beaucoup, surtout pour les travaux à la ferme. Alors oui, il est vivant à une période où beaucoup n’ont pas eu cette chance mais il a du mal à s’en satisfaire. Par chance, sa jambe ne le fait pas souffrir et il ne ménagera pas ses efforts pour ne pas être un poids mort vis-à-vis de son père et de son jeune frère qui montre de belles dispositions dans l’effort pour le monde agricole.

Parce qu’il est jeune mais aussi parce que le traumatisme de la guerre lui rappelle à chaque instant que la vie peut être courte, Emile profite de chacun des moments où il peut souffler pour se rendre au village, passant son temps à conter fleurette aux filles qu’il ne laisse pas insensible. Il compense son apparence boiteuse par une faconde sans limite qui fait mouche. Emile multiplie les conquêtes mais ne s’attache pas, au grand dam de son père. D’ailleurs, Emile ne se mariera pas. Jamais. « Par manque de temps » répètera-t-il invariablement. Ou d’envie. Les années passent et Emile ne semble pas vouloir se fixer. L’existence qu’il mène, entre travail harassant et rares festivités, semble lui convenir.

Un drame va toucher Emile de plein fouet : la disparition tragique de son seul frère restant, Jean, lors de la guerre d’Algérie. A partir de là, plus rien ne sera vraiment comme avant. Emile, inconsolable, va se réfugier encore davantage dans le travail et la solitude. Car les journées qu’il passe avec son père vieillissant sont désormais sans parole. Chacun se tue à la tâche comme pour ne pas penser. Parler est devenu superflu. Les sorties au village se réduisent comme peau de chagrin.

En 1980, Emile enterre son père et revend la plupart de ses terres. Il ne garde que la maison, un peu de terrain et quelques bêtes. Il lève clairement le pied. Il peut se le permettre. Il n’a plus que lui à nourrir. L’été, il descend quelquefois au village, parler de la pluie et du beau temps au troquet sur la place. Ou se moque gentiment de ceux qui triment en plein cagnard. Lui a du temps désormais. Sa jambe est usée. Lui aussi. Il est las. Il survit plus qu’il ne vit tant il donne l’impression de se traîner. Sa maison est sale. Dans la cuisine, la vaisselle s’entasse. Encore faut-il qu’il prenne le temps de cuisiner.

En 1988, il accepte de mauvaise grâce un cadeau qu’il juge empoisonné : une touffe de poils de quelques semaines censée pallier sa solitude. Un putain de clebs pataud qui ventile avec sa queue comme un con et dont Emile est bien persuadé qu’il ne sera qu’une source d’ennuis. Ce sera une renaissance. Le vieil homme va réapprendre à vivre au contact de Toby. Désormais ils vont tout partager et l’un comme l’autre ne seront plus seuls.

Jusqu’à mourir ensemble ou presque. En octobre 2005, par une nuit d’orage, à 17 ans -et tellement plus en langage chien-, Toby tire sa révérence. Le 17 février 2006, Emile s’en va le rejoindre en espérant qu’il y aura une petite place pour un humain au paradis des chiens. A moins d’un mois de son 80e anniversaire.

Les Devoirs de Maître Christian




Sortant du métro, l’air frais de cette matinée me revigora un peu. A qui pourrai-je donc parler de ces rêves ?
Finalement, j’aurais dû la croire quand elle m’a prévenu, maintenant hélas il est trop tard. 

Vous l'aurez compris, les 1ere et dernière phrases sont imposées. Entre les deux, ben...j'ai fait ce que j'ai pu ! C'est parti ! 


Sortant du métro, l’air frais de cette matinée me revigora un peu. A qui pourrai-je donc parler de ces rêves ? Surtout, à quoi cela servirait-il ? Cesseraient-ils de revenir invariablement chaque nuit pour autant ? Je ne le pensais pas. Mais je devais m’en défaire au plus vite. Ma vie en dépendait.

-Celui de la nuit passée a encore franchi un cap dans l’escalade de la violence. Comme d’habitude, j’étais dans un endroit sombre, suintant et sale comme le serait la cellule d’isolement d’une prison perdue au fin fond de l’Amérique latine. Mes yeux peinaient à transpercer les ténèbres. Jusqu’au moment que je redoutais désormais le plus et qui me semblait arriver de plus en plus tôt : celui où la porte volait en éclat et où mon bourreau apparaissait. Un être sans visage armé d’une lourde chaîne qu’il faisait tournoyer avant de l’abattre sur moi avec une violence inouïe. Une fois, deux fois, dix fois… Je me tortillais comme un ver sur le sol humide, mains et jambes liées, tentant d’éviter les coups de mon tortionnaire, sans jamais y parvenir. Je hurlais sans m’entendre tandis que son rire, lui, pénétrait le tréfonds de mes entrailles. Au bout d’un temps qui me parut interminable, je me réveillai enfin, en sueur et en sang dans mon lit. Mes draps empestaient l’urine. J’avais mal partout et étais couvert de bleus et de plaies plus ou moins ouvertes. Comme chaque matin depuis bientôt trois semaines.

Je m’interrompis, jetant un regard vers mon ex-femme qui me regardait avec un drôle d’air. Elle semblait visiblement hésiter sur la conduite à adopter. Mais bien que nous soyons divorcés depuis bientôt deux ans, elle était celle qui me connaissait le mieux, me percevait le mieux. Dix-huit années de vie commune. Si elle ne me croyait pas, personne ne me croirait. Mais elle restait silencieuse.

-Le problème, continuai-je, est que chaque nuit, ce rêve, enfin, ce cauchemar plutôt, semble durer plus longtemps, si tant est que l’on puisse parler de temps écoulé concernant les rêves. Les coups sont plus nombreux et je me réveille chaque matin plus amoché que la veille. J’appréhende le matin où je ne me réveillerai pas. Où l’homme sans visage m’aura donné le coup de trop. Où un de mes proches s’inquiétant de ne pas me voir donner de signe de vie me retrouvera baignant dans mon sang.

Martha ne disait rien. Qu’avais-je espéré ? Je tenais un discours de taré, j’avais une tête pas possible, des cernes d’un mètre de large, des contusions partout. Alors quoi ? Elle aurait dû se montrer compatissante et avaler mes paroles ?

-Tu t’inquiètes que je puisse être l’un de ces proches ? demanda-t-elle enfin.
Je sourcillai. Je ne m’étais pas attendu à ce genre de réponse, plutôt surprenante en de telles circonstances.
-Tu t’imagines que tes silences ou tes absences puissent m’inquiéter ? continua-t-elle tandis que je me sentais de plus en plus mal à l’aise sans trop savoir pourquoi. Après ce que tu m’as fait ? Après que tu nous aies quittées, moi, les filles, la maison, du jour au lendemain pour une greluche à qui tu auras fait miroiter monts et merveilles avant qu’elle ne se lasse de tes vaines promesses. Après que tu aies tenté de revenir, la queue entre les jambes, comme le lâche que tu es ? Te croyais-tu à ce point indispensable ? Je t’ai prouvé à l’époque que tu ne l’étais pas en refusant que tu reviennes dans nos vies. Rien n’a changé depuis. Je ne serai pas ce proche qui te découvrira, Paul.

Elle se leva, prit son imperméable et se dirigea vers la porte.
-Mais… Tu me crois ?
Elle se retourna, eut un petit sourire en coin.
-Bien sûr que je te crois. Parce que tu ne m’apprends rien.
Je tressaillis. Je ne comprenais pas bien mais je n’aimais pas ce que j’entendais.
-Ne cherche pas à comprendre l’inexplicable, ajouta-t-elle comme si elle avait anticipé mes pensées. Tout a l’air si vrai et pourtant rien ne l’est. Rien de ce qui te concerne du moins. Tu n’es qu’un rêve. Le mien. Fabriqué de toutes pièces. Un rêve parfait au départ qui s’est étiolé par la suite. Un rêve désormais impossible dont je dois à présent me débarrasser. Je m’y emploie, sois en certain, mais tu ne me facilites pas la tâche. Un comble pour quelqu’un qui n’a jamais existé. Mais je ne suis pas pressée. Cela prendra le temps qu’il faudra. Savoir qu’à défaut de disparaître définitivement, tu souffres le martyre me suffit. Invariablement. Nuit après nuit. Sans pouvoir tenir infiniment. Jusqu’à te déliter complètement. Ça viendra, tu verras. Tu supplieras pour que cela arrive vite. Et tu seras alors libre comme je le serai également. Mort mais libre.

Elle avait parlé d’une voix légère, presque chantante. Elle pivota sur ses talons, fit un geste négligé de la main à mon intention, comme un adieu, et sortit. La porte se referma. J’étais seul. Sonné. K.O. debout. Je ne comprenais pas tout mais je savais déjà combien les prochaines nuits promettaient d’être traumatisantes. Alors quoi ? N’avais-je été que le fruit d’une imagination ? N’avais-je jamais vraiment existé autrement que dans l’esprit d’une femme malade ? Les fortes douleurs et courbatures sur chaque centimètre de mon corps me donnaient plutôt l’impression d’être bien réel. Me rappelaient aussi que j’étais en sursis. Jusqu’au retour de l’homme sans visage. Jusqu’à la nuit de trop. Celle où les chaînes vaincraient.


J’avais souri dans un premier temps lorsque Martha m’avait dit que je le regretterais lorsque je l’avais trompée une première fois. Finalement, j’aurais dû la croire quand elle m’a prévenu, maintenant hélas il est trop tard. 

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jeudi 26 septembre 2013

Les devoirs du Jeudi de Maître Christian




Allez, une fois n'est pas coutume, je vous balance les consignes d'entrée de jeu ! Bon, je ne vous cache pas que Maître Christian avait choisi la solution de facilité en me proposant pour la troisième fois l'exercice de la 1ere et de la dernière phrase imposées et que je me suis rebellé comme un beau diable pour qu'il me donne du neuf, de l'inédit ! Je n'ai pas été déçu du voyage, jugez plutôt :

"Choisir 3 lieux spécifiques de ton enfance qui gardent une valeur particulière dans ton souvenir. Les décrire en quelques lignes. Ensuite, raconter pour ces lieux une histoire anecdotique, un récit qui s'y rattache en y impliquant le lecteur."

Voilà, voilà, voilà... On y va ?

Ami lecteur (Hannibal ?), je ne te cache pas qu'il est bien difficile pour moi de choisir trois lieux spécifiques de mon enfance. Déjà, en trouver trois n'est pas simple. Je ne saurais expliquer pourquoi, cela a toujours été un mystère, mais j'ai finalement assez peu de réminiscences de mon enfance. Des flashs, quelques moments gravés, mais pas de souvenirs à la pelle comme ma femme, par exemple, pourrait en avoir. Je me demande souvent si "ma bulle" que je revendique à tout-va ne résulte pas d'une enfance que je n'aurais pas assez vécue, trop occupé à combler des manques plutôt que de profiter pleinement. Mon enfance n'a pas été malheureuse mais, à moins de ne pas en avoir conscience, je n'en ai pas retiré grand chose. Je n'en ai pas beaucoup de nostalgie. Paradoxal quand on sait que je suis quelqu'un de nostalgique par ailleurs. Va comprendre...

Heureusement, des lieux incontournables, il y en aura eu quelques-uns. Assez pour que je puisse m'acquitter de cet exercice périlleux émanant de l'esprit tordu de ce maître Christian que tu as appris à connaître au fil des semaines, cher lecteur. Tiens, puisque nous en sommes à parler de mon ami Christian, cela tombe bien. Car s'il y a eu un endroit dans lequel l'enfant que j'étais aura baigné, c'est bien la maison qu'il occupait avec sa maman. J'y passais la plupart de mon temps libre, sitôt sorti de l'école. Il faut dire qu'aller chez eux n'était pas bien compliqué, il me suffisait soit de descendre l'escalier de notre propre appartement (dont ils étaient propriétaires), soit, plus fréquemment, de passer par la fenêtre de notre salon que j'enjambais pour me retrouver dans leur cour arrière. Madame Rustan,  comme je l'ai toujours appelée, était ma grand-mère de cœur et elle me rendait au centuple l'affection que je lui portais. Tu m'aurais vu, ami lecteur, échanger pendant des heures avec elle et mon ami Christian. Dès la fin de l'école, pendant que ma mère travaillait encore, je passais la voir chaque soir, invariablement, pour boire l'orangeade, boisson madeleine de Proust par excellence, pour faire mes devoirs et regarder les cultissimes dessins-animés de mon enfance. Moi, l'enfant timide et solitaire, j'étais si bien en compagnie de cette dame si bienveillante qui me trouvait toujours des qualités même là où il n'y en avait probablement pas. Avec Christian, j'ai eu très tôt le goût de la lecture et j'ai pioché plus que de raison dans ses livres de poche. J'étais véritablement comme chez moi et si je n'ai pas une anecdote en particulier en tête, c'est vraiment dans le salon de Madame Rustan que j'aurai passé de merveilleux moments des années durant. Elle me manque.

Autre lieu lié à l'enfance : Emerainville, en Seine-et-Marne. L'allée du temps qui passe. Quel beau nom de rue, tu ne trouves pas ? C'est dans cette maison que j'ai passé mes plus belles vacances de Noël. J'étais déjà ado ou pré-ado en ce temps là et je ne te raconte pas quelle frénésie c'était à chaque fois dans ma tête lorsque j'arrivais en gare d'Austerlitz. Là, je retrouvais mon oncle Christian, ma tante Christine, mes deux cousins Christophe et Guillaume et le chien (Christmas puis Gipsy puis Huchka dite "La Huche", j'espère ne pas en avoir oublié en route). Et c'était parti pour deux semaines de malade où j'étais comme un coq en pâte au milieu de gens que j'aimais plus que tout. Dans la tête du gosse que j'étais, c'était un peu "Noël à Paris", quoi, c'était pas rien ! Les grosses bouffes en famille, les apéros à répétition dès que je fus en âge de les apprécier, les cadeaux, les vrais, ceux qui s'offrent sans chichis et qui émerveillent encore, les huitres, l'esprit de fête et les grasses matinées réparatrices qui vont bien. Jean-François, Chantal, Mémé Lapin et les filles, que du bonheur. Nathalie, adorable gamine, trop vite disparue. Simone, Papi Brossard. Tant de gens qui m'ont ouvert leur porte et leur cœur.
Bon, pour la petite anecdote (et pour rester en phase avec le sujet du maître), il faut quand même que je te parle de Claire. Bon, j'étais ado en ce temps là et cette fille me faisait clairement de l'effet. Une fille sportive et lumineuse qui voulait, rêve avorté entretemps, devenir pilote de ligne. La revoir chaque année était un vrai plaisir et une vraie attente. Et une vraie déchirure lorsque les vacances s'achevaient. Enfin, pour moi. Je n'ai jamais su quels étaient ses "sentiments", je crois qu'elle m'aimait bien vu le temps que nous essayions de passer ensemble à chaque fois mais bon, c'est quoi deux semaines dans une année ? Le reste du temps, nous correspondions. Ca a duré un certain temps puis nous avons perdu contact, il faut dire que je ne venais plus sur Paris aussi systématiquement et que nous grandissions chacun de notre côté. Au final, nous n'avons même pas réellement flirté mais Claire restera pour moi un excellent souvenir. Elle aura pleinement contribué à rendre ces périodes déjà joyeuses de Noël heureuses.

Tu me suis toujours ami lecteur ? J'espère que tu ne t'ennuies pas. Le problème, dans les souvenirs que l'on remue, c'est qu'il peuvent n'intéresser que la personne qui les a vécus. Donc, si c'est barbant pour toi, tu me le dis, surtout. Ou mieux. Plains-toi directement auprès de Christian qui a tant insisté pour que je te mêle à cette séance rétrospective et introspective si passionnante. En attendant, il est temps de nous rendre dans le troisième lieu qui a baigné une partie de mon enfance. C'était chez l'une de mes tantes, pas celle dont le mari m'enfermait dans la cave, non, une autre, plus gentille et qui me laissait vaquer à mon occupation favorite : le dessin. Ma tante habitait (et habite toujours aux dernières nouvelles d'il y a une bonne douzaine d'années) une ferme isolée de construction plutôt récente. Il y avait là une grande terrasse ombragée et une table longue qui n'attendaient que moi. J'amenais des tonnes d'encyclopédies animalières émanant des bibliothèques de la maisonnée et je passais les après-midi de mes vacances d'été à reproduire toutes sortes de mammifères. Je me demande bien quelle gueule cela pouvait avoir au final mais je me régalais. Le dessin a d'ailleurs eu une place prédominante chez l'enfant que j'étais. Dommage que certains adultes aient cru bon par la suite de m'en détourner mais bon, on ne réécrit pas l'histoire. Dommage aussi que ma centaine de vieux cahiers de dessins se soit volatilisée au détour d'un grand "nettoyage de printemps". J'aurais tellement aimé avoir un regard d'adulte sur tout ce que j'avais griffonné étant gosse. Les parents qui ne gardent rien, c'est quand même terrible...

Voilà. Difficile de conclure ce type d'exercice. On prend des bribes de vie, on se les rappelle à notre bon souvenir, on y revient sans trop savoir ce qu'on en a véritablement gardé au fond de soi. Merci à toi lecteur de passage ou de tous mes écrits d'avoir compulsé avec moi quelques pages du livre de ma vie, aussi pompeux que cela ait pu être. Bien à toi.
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jeudi 19 septembre 2013

Les devoirs du Jeudi de Maître Christian




Il prit son crayon, l'affuta avec précaution, recentra la feuille blanche devant lui et d'un trait ferme traça les premières lignes de ce qui allait devenir le Monde.
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Enfin, le sien. Il devait être à la hauteur de ce qu'il représentait, lui, le fils d'un Dieu.
A défaut de créer un monde, il créa une ville. Ephyra qui devint Corinthe. Une ville qu'il fit fructifier grâce au commerce essentiellement maritime. Il organisa des compétitions sur le modèle des Jeux Olympiques pour asseoir la notoriété de son nouveau domaine tout en rendant hommage aux Dieux.
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Astucieux et travailleur, il ne rechignait pas pourtant à tromper son monde lorsque les affaires l'exigeaient, voire même à tuer pour son profit certains des voyageurs qui faisaient escale. Mais il lui arrivait aussi d'être dupé à son tour comme le jour où son voisin Autolycos lui substitua plusieurs bêtes de son troupeau. C'est par la ruse qu'il parvint à confondre le voleur, en marquant les sabots de son propre cheptel tant et si bien qu'ils laissaient des traces sur leur passage. Il n'oublia pas, au passage, d'enfanter Anticlée, la fille du dit-voleur qui donna naissance quelque temps plus tard à l'un des héros grecs les plus célèbres : Ulysse. Sa paternité reste sujet à caution. Mais c'est une autre histoire...
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Toujours est-il que celle de notre personnage prit une tournure dramatique. Pour avoir révélé le secret divin entre Zeus et Egine (le premier avait enlevé la seconde) en échange de la source éternelle Pirène désormais installée au centre de Corinthe, il se heurta à la colère des Dieux. Bien qu'il ait dans un premier temps adroitement manœuvré Thanatos, personnification de la Mort à la solde d'Hadès, en le gardant prisonnier, il paya cher sa rébellion et son refus de rejoindre les Enfers.  On ne se soustrait pas à la volonté des Dieux, aussi fils de Dieu que l'on soit. Son châtiment fut exemplaire. Il fut condamné à faire rouler un immense et lourd rocher jusqu'en haut d'une colline dans le désert du Tartare. A chaque fois qu'il était sur le point d'arriver au sommet, il cédait sous le poids écrasant du rocher et devait recommencer sa besogne. Tel était désormais le fardeau de Sisyphe.

Jamais plus il ne prendrait de repos mais il ne le savait pas encore.


Voilà pour cet atelier du jeudi qui reprenait les mêmes contraintes que le précédent, à savoir une première et une dernière phrases imposées. J'ai pas mal galéré car j'avais deux orientations en tête avant de finalement partir sur tout autre chose de moins créatif mais de plus historique.
Au départ, j'avais songé rester dans le prolongement de l'exercice d'il y a 15 jours, à savoir ce que pourrait être un monde composé uniquement de gens sourds. Mais les possibilités sont excessivement vastes et complexes et le format de l'atelier d'écriture ne me permettait pas de le faire sereinement, sans parler du temps qu'il m'aurait fallu.
J'avais ensuite pensé à une variante, axée sur le rêve, un monde où la réalisation des rêves serait possible mais c'est un domaine que j'évoque finalement assez souvent (récemment encore avec la bulle flétrie) donc je rechignais un peu à y revenir. La rédaction aurait, de plus, été là-aussi laborieuse tant il aurait pu y avoir foisonnement d'idées.
Donc, j'ai finalement opté pour une approche plus mythologique, certainement plus classique car la dernière phrase m'a tout de suite fait pensé à Sisyphe, fils du Dieu Eole, condamné par Zeus à pousser éternellement un rocher sans aucun espoir de réussir sa mission. Un travail peut-être moins personnel qu'à l'accoutumée mais j'ai décidé de varier un peu les plaisirs. Et puis la mythologie grecque a longtemps marqué l'étudiant que je fus, alors...

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jeudi 5 septembre 2013

Les devoirs du Jeudi de Maître Christian





Ce matin-là, en me réveillant, j'ai tout de suite ressenti que quelque chose était différent mais quoi exactement ?

Le lit. Je m'étais retourné et il n'avait pas grincé. C'était bien la première fois qu'il ne grinçait pas au moindre mouvement. Mais il n'y avait pas que ça. C'était autre chose... Plus qu'une intuition...
Je décidais d'en avoir le cœur net et me levai précipitamment. Le lit ne broncha pas davantage. Pas plus que l'escalier en bois lorsque je descendis les marches quatre à quatre après avoir négligemment enfilé ma robe de chambre. La vérité était que... je n'entendais aucun son ! Je ne comprenais pas... étais-je devenu sourd en l'espace d'une simple nuit ?

J'ouvris la porte d'entrée et je n'entendis pas non plus le cliquetis si caractéristique des clefs dans la serrure. La lumière matinale inonda immédiatement le hall d'entrée. Tout aurait semblé normal s'il n'y avait eu ce silence. Quelques oiseaux virevoltaient déjà dans le ciel mais pas le moindre chant. La nature était tout autant silencieuse.

Une voiture passa au loin sans émettre le moindre son. Je ne savais pas ce que j'avais exactement mais mon ouïe s'était volatilisée en quelques heures.

Je remontai me doucher dans un silence effrayant, m'habillai en quelques secondes, chaussai de vieux baskets et ressortis. Deux voisins étaient à présent dehors et se regardaient avec des airs terrifiés tout en faisant de grands gestes. Je ne comprenais rien à ce qu'ils se racontaient mais visiblement cela n'avait rien de marrant. Ils m'aperçurent alors et accoururent vers moi sans cesser de gesticuler. Je leur expliquai que j'étais bien incapable de les entendre et que j'irais voir un spécialiste dans la matinée mais au lieu de se calmer, leurs yeux s'écarquillèrent encore plus. L'un des deux griffonna sur un bout de papier et me le tendit. Et c'est là qu'horrifié je compris qu'ils n'entendaient pas davantage que moi. Ou nous étions tous sourds ou tous les sons avaient disparu.

Quelques minutes plus tard, nous étions tous les trois dans mon salon à nous échanger des bouts de feuille pour communiquer. Une chape de plomb semblait nous être tombé dessus. Pour ma part, j'étais extrêmement las, malgré la douche. Des dizaines de questions se bousculaient dans ma tête. Mes voisins n'étaient guère mieux, complètement hagards. Nous fixions sans vraiment les voir nos tasses de café. Par la fenêtre, je voyais désormais d'autres personnes affolées et courant dans tous les sens. Les chiens de ces bâtards du 1 aboyaient tout en restant inaudibles, c'était vraiment bien le seul avantage de cette situation.Visiblement, nous étions tous concernés par le phénomène. Je n'osais pas imaginer jusqu'où il pouvait s'étendre mais j'espérais vraiment que l'épisode serait aussi bref qu'il était douloureux mentalement.
La situation était si incroyable que je n'avais plus le moindre doute quant au fait que j'allais forcément me réveiller. Je n'avais qu'à me montrer patient. Mais en attendant, ce cauchemar portait bien son nom.

Bon... quelques mois plus tard, après que je me sois réveillé des dizaines de fois dans le même état, je m'étais fait une raison. Un cauchemar certes, mais tout éveillé et sans limitation de durée. Aucun changement depuis ce fameux matin. Pas un son. Pas le moindre bruissement du vent. Pas le moindre clapotis de l'eau qui vit dans les rivières. Pas un rire d'enfant. Pas un aboiement au milieu des chiens qui dansent.

Un silence absolu et sans fin. Certains s'y étaient résignés, d'autres n'y parvenaient pas. Communiquer était devenu un chemin de croix. Papiers échangés de visu, mails à distance, langage des signes approximatif et à portée forcément réduite pour les plus vaillants, on avait vite fait le tour des solutions. Dans la vie de tous les jours, les désagréments n'en finissaient plus, des plus anecdotiques (comment diable se faire réveiller le matin, comment avoir une pintade bien cuite sans minuteur ?) aux plus tragiques (fermetures d'entreprises dues aux difficultés insurmontables de fonctionnement, diminution drastique des véhicules dans les rues pour cause d'accidents à répétition, malades qui décèdent dans les hôpitaux du fait d'infrastructures sonores désormais caduques). A la télévision, les dépêches étaient uniquement écrites et l'information était distillée au compte-goutte. De nombreuses chaines avaient cessé d'émettre. Il n'y avait plus de chanteurs et on parlait déjà d'un retour au cinéma muet. A l'échelle internationale, car telle était l'ampleur du phénomène, les guerres n'avaient rien perdu de leurs atrocités mais se déroulaient dans le plus grand silence. Pas un son ne sortait des bouches des civils décimés ou des troupes balayées. Les tanks dégueulaient leurs obus sans un bruit.

La vie économique ronronnait au ralenti dans un monde qui n'était plus fait pour elle. Quelque part, c'était le chaos. Certains retireraient probablement leur épingle du jeu dans ce flot d'incertitudes du lendemain tandis que d'autres sombreraient forcément faute d'avoir su ou pu s'adapter. Pour ma part, j'avouais avoir peur au quotidien. Soit nous étions tous sourds, soit tout ce qui était autour de nous avait perdu toute résonnance. La distinction n'avait guère d'importance. Tous nos acquis avaient volé en éclat. Nous, si puissants, désormais si impuissants.

Après reste l'inexplicable...


L'exercice était on ne peut plus simple niveau consignes : on me donnait la première phrase et la dernière du texte. Entre les deux, c'était à moi de jouer. J'ai fait ce que j'ai pu mais j'ai pris du plaisir !

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jeudi 29 août 2013

Les devoirs du Jeudi de Maître Christian




On pourrait me demander quelle serait ma ville préférée que je serais bien incapable de répondre. Je pourrais citer Rodez pour l'enfance, Limoges pour les virées étudiantes, Toulouse pour les puces dominicales de Saint-Sernin, Paris pour ses boutiques de BD planquées un peu partout, Périgueux pour franchement pas grand chose etc. La vérité est que, finalement, je suis bien partout et nulle part. Je suis où je dois être quelles qu'en soient les raisons. Aujourd'hui ici. Demain ailleurs. Ou pas.

Finalement, la ville qui aurait mes préférences serait sûrement issue de mon imaginaire. Je la contemplerais du haut de ma bulle revigorée. Et si je devais partager avec vous tout ce que j'y verrais alors j'opterais pour un portrait chinois. On y va ? Laissez-vous porter et prenons de l'altitude...

Un parfum ? Ses quartiers auraient un parfum de nostalgie avec de multiples odeurs comme autant de Madeleines de Proust car qu'y a t-il de mieux que de replonger avec délectation dans des moments délicieux que l'on pensait enfouis ?
Un animal ? Le caméléon probablement, une ville en perpétuel changement, mais pas trop, harmonieuse et se fondant autant que possible dans le paysage qu'elle ne dénaturerait en rien.
Une fleur ? La ville de mon imaginaire serait la seule ville connue où fleurirait le muguet toute l'année car je suis toujours frustré de voir cette herbacée mourir après seulement quelques semaines. Il y en aurait un peu partout. Avec des jonquilles aussi. Et des étendues de coquelicots à perte de vue dans la campagne environnante.
Un son ? Celui de la vie dans les espaces verts, les oiseaux, le clapotis de l'eau, le vent. Le bruit du silence aussi, de temps en temps. Parce que... quoi de plus beau que les sons de la vie qui s'écoule ?
Un monument ? Pas nécessaire selon moi. Ou alors si, un immense tas de pierres correspondant à chaque pierre que chaque habitant apporterait à l'édifice. Une ville faite par les gens pour les gens. Où l'individualisme n'aurait plus de sens.
Une couleur ? Du bleu en abondance, des dégradés de bleus. Pas des bleus fadasses, non, de beaux bleus qui inviteraient au rêve, au voyage et à l'apaisement. Parce que j'aime le bleu tout simplement. Sans être réfractaire aux autres couleurs évidemment. Encore que l'orange...
Une époque ? Si je devais situer ma ville idéale dans une période donnée, ce serait assez flou mais ce serait bien avant toute cette avancée technologique où tous ceux que l'on croise ont un portable greffé dans la main. Peut-être une quarantaine d'années en arrière. Une période plus insouciante sans que tout soit forcément acquis. Une période où l'émerveillement devant des choses simples aurait encore un sens.
Un pays ? S'il était aussi imaginaire que la ville qui s'y trouve, ce serait idéal. Mais sinon, ce serait au coeur des grands espaces du Québec. Des contrées magiques et des gens chaleureux que je ne désespère pas de retrouver un jour.
Un personnage célèbre ? Dans cette ville issue de mon imaginaire et bien que l'intéressé aurait probablement détesté ça, je mettrais une immense représentation d'André Franquin, je ne sais pas trop sous quelle forme ni où précisément mais j'aurais vraiment à coeur de rendre hommage à son talent et à son sens du rire et du merveilleux. Je mentionnerais aussi cette phrase de lui "Un adulte est un enfant qui a mal tourné" pour que certains habitants ne grandissent pas trop vite. De manière plus générale, tous ceux qui auraient gardé une âme d'enfant seraient plus que bienvenus par ici.
Un mot ? Respect forcément. De soi comme des autres. Franchement, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, cette requête relèverait de l'utopie. Mais dans ma ville, pourquoi pas ? L'espoir fait vivre, non ?

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Voilà ! Je vous donne maintenant les clés de l'exercice du jour au cas où certains seraient restés perplexes. Je devais faire le portrait en dix touches d'une ville que j'aime en utilisant des comparaisons et des métaphores en expliquant mes choix selon des structures de phrases libres. J'espère m'être acquitté honorablement de ma tâche. L'idée d'une ville imaginaire est de moi car elle me permettait de faire appel à mon propre imaginaire justement et de ne pas trop m'enfermer dans le carcan du thème imposé tout en le respectant.


jeudi 22 août 2013

Les devoirs du Jeudi de Maître Christian





Attention, mesdames, messieurs, ça ne rigole plus : Maître Christian, retraité de l'Education Nationale, me lancera un défi littéraire chaque jeudi ! Et visiblement, on n'est pas parti pour rigoler ! L'excellence sera de mise si je ne veux pas finir le derrière rougi par ce qui me semble bien être un martinet. 

Vous l'aurez compris, on part sur des exercices de type atelier d'écriture, un par semaine, le jeudi donc. Chaque jeudi, je vous présenterai un texte en expliquant au préalable les contraintes imposées.

Pour cette première, les consignes étaient simples. Je devais utiliser sur un texte de 10 à 15 lignes les constructions de phrases suivantes, dans l'ordre de mon choix :

-Je n'aimerais pas... mais parfois si.
-J'aimerais... mais parfois non.
-J'aimerais... mais pas toujours.

C'est parti mon kiki ! Houlàlà, c'est vrai qu'il n'a pas l'air commode Maître Christian, j'ai pas intérêt à bâcler le travail.

Je n'aimerais pas être un cheval mais parfois si.
J'aimerais bien m'ébrouer dans l'herbe mais parfois non.
J'aimerais peut-être, de temps à autre, avoir quelqu'un sur le dos mais pas toujours.
Je n'aimerais pas passer des journées à sauter des haies mais parfois si.
Je n'aimerais pas davantage passer mes nuits dans un box de 3m sur 4 mais qui sait, parfois si.
J'aimerais peut-être, bien que j'en doute, faire mes besoins où bon me semble mais pas toujours.
J'aimerais que l'on me frotte un peu partout avec une brosse mais pas toujours.
J'aimerais, pour changer, intervertir ma position avec celle du jockey mais parfois non.
J'aimerais passer mes journées à galoper, crin au vent, mais pas toujours.
Je n'aimerais pas le fait que remplir ma panse me prenne des heures mais parfois si.
Je n'aimerais pas dormir debout mais, histoire de garder de la hauteur, parfois si.
J'aimerais bien être un cheval... mais pas toujours ! 

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dimanche 12 mai 2013

Cheminements dans l'écriture (2e Partie)



Le Cheminement © Gaia Orion

Piccolo est l'une des nouvelles auxquelles je suis le plus attaché et pourtant la gestation s'est faite dans la douleur, avec une interruption de plusieurs mois et une première fin, bâclée et non assumée, que j'ai réécrite, chose rarissime chez moi. Je me suis alors rendu compte combien il était difficile de faire abstraction des problèmes extérieurs. Ma noirceur du moment née de problèmes divers se répercutait sur ma façon d'écrire et j'étais en train de dénaturer un texte qui me tenait pourtant à coeur. Heureusement, les conseils précieux d'amis m'ont permis d'éviter ce naufrage et de reprendre la barre au bon moment pour amener Piccolo à bon port. Mais j'en ai bavé. 

Je suis attaché à Piccolo parce qu'il existe. Il tenait un petit troquet en Aveyron et il était effectivement un ancien clown. Je ne l'ai vu qu'une fois, je ne sais pas s'il y est toujours. Mais cet homme vieillissant avait quelque chose de touchant, une humanité qui m'avait ému. Le reste n'est que fiction. Et hormis cette mauvaise passe de plusieurs mois et les doutes qui allaient avec, j'ai pris beaucoup de plaisir à rédiger cette nouvelle, probablement la plus longue que j'ai jamais écrite. J'avais même un temps songé à une nouvelle tournant exclusivement de Manon quelques années plus tard mais j'avais rapidement abandonné l'idée. Je pense que parfois il ne faut plus toucher à rien et passer à autre chose.

On continue ce tour d'horizon un poil prétentieux finalement avec Sarah. Avec cette nouvelle, je retrouve mon goût pour les histoires plus sombres avec une intrigue noire contrebalancée par un aspect fantastique où l'émotion prend sa place. Comme souvent chez moi, l'image du père n'a rien d'idéal, c'est peu de le dire. Entre un père que je n'ai pour ainsi dire pas connu mais qui n'avait rien de recommandable et un oncle qui m'enfermait dans une cave dès qu'il devait faire preuve d'un semblant d'éducation lors de vacances forcément oubliables, je garde des rancœurs tenaces et surtout un vide que j'ai depuis bien longtemps renoncé à combler. Pour le reste, je n'ai pas souvenir que Sarah ait été difficile à écrire, je crois que tout s'est fait à peu près naturellement. J'avais déjà exploité l'image d'une luciole lors d'un écrit très court quelques semaines auparavant et je n'étais pas mécontent de pouvoir développer cet angle là. Et d'instaurer quelques atmosphères un peu glauques qui me permettent toujours de voir un peu où j'en suis dans l'écriture, le choix des mots etc. Bref, je pense avoir pris du plaisir de bout en bout.

Avec Sans voix le passionné de doublage (des comédiens spécialisés dans le doublage plutôt) a pu se faire plaisir. Un délirium tremens complètement assumé et bougrement jouissif, tant pis pour les imperfections. Retrouver dans une même nouvelle le maître Roger Carel, Winnie l'Ourson, Actarus et Goldorak, le rêve ! Je ne me souviens pas trop de la genèse d'un tel gloubiboulga mais la fibre nostalgique a du jouer à fond. Il faut dire que l'enfant que j'étais était tombé dans la marmite Goldorak tout petit, s'imaginant même, dans la cour de son école, que le robot de l'espace atterrirait en catastrophe pour lui demander de sauver la terre. C'est dire si j'étais atteint. Quant à Winnie, il s'agit forcément de réminiscences du Disney Channel sur France 3 présenté par le toujours épatant Jean Rochefort et où Winnie et ses amis partageaient l'affiche avec Zorro chaque samedi soir. Pour une fois, j'avais initialement prévu une nouvelle plus longue davantage axée sur les recherches pour retrouver Roger Carel. Mais j'ai eu vite la sensation que je tournerais rapidement en rond. D'où un virage à 180° complètement improvisé à mi-parcours. 

Je m'arrête là... Je sais, comme conclusion, c'est pas top mais alors, pour le coup, j'ai vraiment rien d'autre en stock.

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jeudi 9 mai 2013

Cheminements dans l'écriture (1e Partie)


Le Cheminement © Gaia Orion


Parce que j'ai depuis aujourd'hui un nouveau lecteur, à la fois sur ce blog mais également de manière plus générale sur l'ensemble de mes écrits, j'ai ressenti le besoin d'expliquer -ou de tenter de le faire- comment je fonctionnais lorsque je me mettais à l'écriture.

Cette fois, c'est un peu particulier puisque cette nouvelle personne écrit elle-même. J'ai donc un regard un peu plus critique, dans le bon sens du terme, qui tendra à me faire gommer quelques imperfections ou mauvais plis tout en me faisant bénéficier de sa propre expérience. 

J'ai toujours été à l'aise dans l'écriture dans sa partie la plus rédactionnelle. J'aime ça et, aussi prétentieux que cela puisse paraître, j'aime mon style. En tout cas, je l'assume pleinement. Mais j'ai un syndrome quasi-permanent de la page blanche. Et je ne tiens la distance que sur un format court. Je n'aime rien de plus que de distiller une atmosphère et si elle est pesante voire oppressante, je ne m'en porte que mieux, ce qui ne m'empêche pas d'essayer de varier les plaisirs et donc les genres. Parfois au détriment de l'intrigue qui reste secondaire chez moi. Je cherche avant tout à toucher les gens, ne serait-ce que l'espace d'une scène, d'un paragraphe ou de quelques mots judicieusement choisis. Lorsque l'on me dit que l'on voit ce que j'écris, on ne peut me faire plus beau compliment. Et si l'intrigue m'importe finalement moins, même si j'essaie de retomber plus ou moins sur mes pattes, c'est parce que, quelque part, je ne sais jamais trop où je vais.

Il faut remonter à 2005 et l'époque des Peyraciens pour que je me décide enfin non pas à écrire mais surtout à montrer ce que je faisais en tout amateurisme. Les Peyraciens étaient les membres d'un forum aujourd'hui disparu tournant autour de Nicolas Peyrac. On pouvait y discuter d'une foultitude de choses et il y avait notamment un espace pour les écrits des uns et des autres entre nouvelles, poèmes et autres rimailles. Il y avait de sacrés talents dont certains se sont encore bonifiés depuis. Et puis moi, timide comme tout, qui avais fini par me lancer. Ainsi est né le premier chapitre de Humeurs assassines que j'avais écrit comme ça, d'un jet, sans savoir où j'allais. Puis, à un moment, sans réfléchir aux conséquences, j'avais ajouté "A suivre..." et j'avais validé mon billet sur le forum. J'avais fait le premier pas et j'avais dès lors mes premiers lecteurs. Je n'avais alors aucune idée de la suite mais je ne pouvais plus reculer. Alors j'ai écrit le deuxième chapitre, je l'ai validé, je suis passé au troisième et ainsi de suite, sans filet ni scénario préparatoire. C'était complètement amateur mais très jouissif. Un côté sans filet que j'ai finalement gardé, en ayant simplement parfois, quelques idées qui germaient en cours de route mais tellement floutées que le suspense était quasiment entier pour moi aussi.

Pour Toby, ce fut différent. Courte nouvelle écrite en moins d'une heure, elle reste la préférée pour bon nombre de mes (quelques) lecteurs. Là, je voulais clairement privilégier l'atmosphère, de manière beaucoup plus prononcée encore qu'auparavant. Cette histoire d'un homme vieillissant et de son chien, sujet banal s'il en est, a découlé d'une autre que j'avais esquissée où un homme âgé et sans défense se faisait agresser chez lui. J'avais l'idée d'un huis clos âpre et oppressant et d'un certain déchaînement de violence nés de ma longue période Stephen King. Finalement, j'avais abandonné très rapidement mais, étrangement, je m'étais attaché au personnage principal et je l'ai donc repris dans Toby en y mettant toute l'empathie que j'avais ressentie pour lui. Ce n'est sans doute pas un chef d'oeuvre bien évidemment, loin s'en faut, mais j'aime à dire que j'ai connu 30 minutes d'état de grâce où tout ce que je voulais écrire sortait comme par enchantement. Je suis sûr qu'à quelques minutes d'intervalle, Toby n'aurait pas véritablement été Toby. D'où cette tendresse particulière que je lui porte près de huit ans plus tard.

Blanche fut compliquée. Elle fut construite comme Humeurs Assassines, par chapitres que je mettais un à un sur le forum des Peyraciens avant même d'avoir écrit les suivants. Mais j'étais dans une période page blanche prononcée. Une nouvelle fois, c'est la recherche d'une atmosphère qui vint à mon secours. Une pluie torrentielle, une curieuse apparition, une voiture qui fait une embardée, une pluie de grenouilles. Et c'était parti pour un voyage dont j'ignorais tout de la destination. Il faudrait que je la relise car je ne n'en ai que des bribes en mémoire mais je me souviens simplement d'un immense soulagement lorsque j'eus écrit le mot "fin" tant j'avais multiplié les fausses pistes et les rebondissements au fur et à mesure des chapitres que je rédigeais toujours sans avoir la moindre idée de la suite. Mais j'avais besoin de ça, de cette part d'inconnu comme d'une puissante adrénaline. Et lors de l'ultime chapitre, j'avais plus ou moins réussi à emboîter les pièces du puzzle. J'avais même réussi un ultime coup de théâtre si je me souviens bien. Pas l'histoire du siècle, non, mais je l'avais tellement rafistolée de toutes parts que je n'étais pas malheureux de m'en sortir à si bon compte.

Avant de poursuivre demain sur quelques autres de mes petits écrits, je profite de ce billet pour souligner à quel point j'ai été (et suis toujours) friand de cette rédaction chapitrée qui pourrait presque s'apparenter à un travail de ligue d'impro. Cela me permettait de ne pas reculer, de m'engager à écrire la suite une fois que le début avait été mis en ligne. Evidemment, d'un point de vue formel, j'aurais sans doute du préparer un ensemble de choses en amont, réfléchir à une intrigue, creuser les personnages, les enchaînements de situations, rédiger des brouillons, mais je crois que j'en ai toujours été incapable. Je crois que toutes les nouvelles que j'ai pu écrire, hormis les très courtes comme Toby, ont toujours obéi à ce mode de fonctionnement basé sur une suite que je découvrais moi-même au fur et à mesure de sa rédaction. D'abord sur le forum des Peyraciens puis sur mes blogs successifs. Avec les imperfections que cela suggère. Et une certaine frustration de ne pas avoir cette rigueur dans la construction de tout ce qui ferait une bonne histoire. Mais je crois qu'aujourd'hui encore, si ce putain de syndrome de la page blanche pouvait m'oublier quelques instants, je procéderais de la même manière. L'avenir seul le dira...

A suivre...

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lundi 6 mai 2013

Rencontre avec André Chéret, papa de Rahan !


 (Cliquez sur les images pour agrandir)

S'il y a bien une édition du festival de BD de Gruissan à laquelle je n'aurais jamais pensé assister, c'est bien celle-là. Mais les aléas de la programmation (festival toujours au printemps mais rarement aux mêmes dates) et le temps exécrable du week-end des 27 et 28 avril ont un peu changé la donne. Le fait que André Chéret, toujours bon pied bon oeil du haut de ses 75 printemps, soit parrain du festival eut également son importance, tant le Rahan de la grande époque de Pif Gadget m'aura accompagné un incroyable nombre d'années.



Mais, peut-être parce que je venais d'arriver (Nath et moi étions arrivés de Dordogne le matin même après nous être levés à 4h), j'étais étonnamment "absent". J'arpentais la grande salle du Palais des Congrès mais sans feeling particulier. Pire, lorsque Chéret et les autres auteurs arrivent autour de 10h pour les séances de dédicaces, je décide inexplicablement (et presque au grand dam de Nath) d'être raisonnable et de repartir après avoir seulement déambulé une quinzaine de minutes. Faut dire que je n'ai rien du chasseur d'autographes contrairement à tous ceux qui peuvent patienter des heures durant pour obtenir le maximum de dédicaces à la fin de la journée.




Mais parce que la nuit porte conseil (et Nath aussi d'ailleurs, à ma grande surprise), j'y suis quand même retourné le dimanche matin. Comme à chaque fois que je rencontre une pointure de la BD, j'étais tout intimidé (d'autant que Chéret ne parle pas lorsqu'il dédicace, ça n'aide pas) mais j'ai quand même pu dire au père de Rahan (n'oublions pas le regretté Roger Lecureux) tout le bien que je pensais de lui et combien Rahan avait marqué durablement de son empreinte ma période Pif Gadget. J'ai même pu prendre une photo, ce que sa femme n'autorise pas systématiquement. Bref, la journée avait bien commencé et ce n'était que le début.




Car tout en ayant ces quelques mots maladroits à l'attention d'André Chéret et tout en le regardant me faire ma petite dédicace, je ne pus empêcher mon regard glisser vers un petit classeur qui renfermait quelques originaux aux encres de couleurs format "marque page". Les photos ne rendent pas grâce au superbe travail de Chéret, surtout que je n'ai pas souhaité enlever la protection plastifiée tant que je ne sais pas encore comment encadrer ces petits trésors. Car oui, j'ai craqué. Ou plutôt, j'avais décidé de ne pas craquer et d'être raisonnable. Encore. Et une nouvelle fois, c'est Nath qui m'a poussé à la consommation. Et comme mon anniversaire approchait et qu'elle n'avait pas d'idée, le prétexte était tout trouvé. Dans un premier temps, j'avais une préférence pour celle juste en dessous que Nath trouvait bien évidemment trop sombre (ben oui, mais elle s'attendait à quoi, vu que c'est un paysage nocturne ! ! ! ) Bref, on coupe la poire en deux et je prends donc le Rahan "en plein jour" pleines couleurs et le Rahan en N&B hurlant son fameux cri. Mais finalement, je ne résisterai pas et reviendrai chercher mon premier coup de coeur dès la réouverture du salon en début d'après-midi. Après tout, on ne croise pas le papa de Rahan tous les jours avec l'opportunité de repartir avec quelques originaux. Maintenant, je n'ai plus qu'à trouver le meilleur moyen de mettre tout ça bien en valeur, pas évident vu le format.




Et l'album en lui-même me direz-vous ? Le Trésor de Bélesta date de l'époque post-Pif Gadget et ce n'est donc clairement pas le meilleur qu'il m'ait été donné de lire. Mais l'esprit est bien là (le fils de Roger Lecureux a plutôt vaillamment repris le flambeau de son illustre père). Après, je reprocherais surtout une certaine propension à étendre un peu vainement l'intrigue, d'autant que personnellement j'ai toujours pensé qu'un format de 20 pages par histoire allait mieux pour Rahan que 48. La partie consacrée à l'apprentissage (et à la compréhension) de la poterie n'en finit pas et ralentit le rythme, c'est un peu dommage. Mais l'essentiel est là : les valeurs du fils de Crâo, les enseignements qu'il veut prodiguer à ceux-qui-marchent-debout, ses frères et l'entraide des hommes dans l'adversité. Côté dessins, Chéret connait son affaire et si, au fil du temps qui passe, certains visages sont un poil plus grossiers (c'est surtout vrai sur le dernier album en date de 2010, pas vraiment dans celui-ci de 2007), la maîtrise de l'ensemble reste assez bluffante. Bref, un très grand nom de la BD de passage à Gruissan, ça ne devait pas se rater. Et c'est Nath qui le dit, alors... ! 




Je dédie ce petit billet à l'un de mes plus fidèles lecteurs, Christian, féru d'Histoire mais pas de BD. As-tu déjà lu les aventures du fils des Âges Farouches, Christian ? ;-)

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