lundi 26 décembre 2016

En trompe l’œil (19)


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-Mince, ce n'est pas possible, refaites les tests ! ! ! 
-Les troisièmes viennent de nous arriver et les résultats sont toujours les mêmes ! Invariablement. Il faudrait les prévenir, non ?
-Surtout pas, malheureux ! Si cela venait à s'ébruiter, nous provoquerions une panique sans précédent ! Montrez-moi vos notes ! 
Sans attendre la réaction de son confrère, le professeur Sikou Yabuki lui arracha les feuillets des mains : 
-Il y a forcément une erreur ! Ce n'est pas possible ! Voyons voir... Qualités organoleptiques OK, PH neutre, chlorures et sulfates en quantité minimes, absence de substances indésirables ou toxiques, absence d'organismes pathogènes... C'est incroyable ! Nous serions vraiment en présence d'une eau potable, ici, au Japon ??? Cela pourrait être dangereux, vous croyez ?
-C'est difficile à dire... De mémoire, cela ne s'est jamais produit. Le nombre de nos centenaires a crû avec la pollution de nos nappes phréatiques. Alors, est-ce qu'une eau non viciée pourrait entraîner une tendance inverse ? Scientifiquement, la question se doit d'être posée.
Yabuki semblait perdu. Il regardait sur son moniteur les quatre hommes qui barbotaient dans l'eau, inconscients du danger qui planait au dessus de leurs têtes telle une épée de Damoclès. Une eau potable. Au Japon ! Avait-on déjà connu ça de mémoire d'homme ? Et comment faire face ?
-Vous feriez quoi, vous ? demanda t-il finalement à son assistant.
-Je pense que j'étoufferais le poussin dans l’œuf avant qu'il n'éclose. Nous sommes les seuls à être au courant et ce serait quand même bien le diable que ce ne soit pas un cas isolé. Interdisons toute baignade en prétextant des travaux d'aménagement, effectuons un drainage massif et passons à autre chose. Évitons particulièrement de communiquer, surtout au niveau de nos instances dirigeantes. Je n'ai guère envie que des têtes roulent, notamment les nôtres.
-Et si les baigneurs tombent malade ? S'ils chopent des maladies au contact de cette eau parfaite ? Ah, mais quelle saleté ! 
-Nous fausserons alors les dossiers médicaux. Abus de sushis, coma éthylique au saké ou au shochu, delirium tremens suite à une surdose de Chôdenshi Baioman ou de Sailor Moon... Ce ne sont pas les motifs officieux qui manquent ! 
-Entendu, vous avez carte blanche pour balayer tout ça d'un revers de la main et pour supprimer toutes les traces de cette étude. Vivre dans un environnement non pollué, non mais, quelle idée ! Qui ne pourrait germer que dans un cerveau malade ! Heureusement que nous avons fait preuve de vigilance ! Modestement, nous avons été héroïques sur ce coup-là ! Que deviendrait le monde sans la Science et ses fidèles serviteurs, je vous le demande ! 
Yabuki regarda une dernière fois les insouciants baigneurs, les malheureux pensa t-il, puis éteignit le moniteur. Le sentiment du devoir accompli, il sortit du laboratoire un sourire aux lèvres.
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lundi 19 décembre 2016

En trompe l’œil (18)


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Alors quoi l'homme ? Tu vas faire comme les autres ? Rester à distance respectable ? Tu vas me fixer entre fascination, pitié et crainte sans même oser t'approcher ? Tu vas me laisser à ma pesante solitude ? Tu sais, je n'ai pas toujours été comme cela, vieux et seul. Il n'y a pas encore si longtemps, je galopais à travers vents et herbes hautes. J'avais un maître dont je crois pouvoir dire que j'étais sa fierté. Je n'étais pas parqué entre trois murs sales, humides et froids, à baigner dans mon purin en attendant une hypothétique botte de foin moisi. J'avais mon chez-moi, une belle stalle entretenue, propre et spacieuse, du fourrage de première qualité l'hiver et de beaux champs à l'herbe fraîche le reste du temps. J'étais brossé toutes les semaines et je trottais en toutes occasions, histoire d'entretenir cette musculature de rêve qui ne laissait aucune jument indifférente.

Las, tandis que, l'âge aidant, je perdais peu à peu de ma superbe, mon maître s'en est allé. Comme nous prenions soin l'un de l'autre, deux âmes solitaires qui s'étaient trouvées, apprivoisées puis aimées, nous savions que le départ de l'un entraînerait la désespérance de l'autre. Mais je ne m'étais pas attendu, les yeux encore plein de larmes, à me retrouver expulsé sans ménagement aussi rapidement. Me voilà désormais prisonnier de cet endroit sombre et glacial, seulement baigné, en de rares occasions, par de timides rayons de soleil, uniques réminiscences d'un passé ensoleillé et radieux.

Je ne sais pas ce qu'il va advenir de moi. Sans doute vais-je mourir puisque, je le vois bien, tu ne t'approcheras pas davantage. Tu ne m'emmèneras pas avec toi, pas plus que tu ne me délesteras de cette bride avilissante. Tu ne seras pas le sauveur que j'espère jour après jour. Tu ne le seras pas, non, pas plus d'ailleurs que ceux qui t'ont précédé ou qui suivront. 

Si au moins tu pouvais arrêter de me jeter ce regard vide...

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mardi 29 novembre 2016

Jean Frisano, une vie d'artiste : l'hommage XXL



Lorsque Frédéric Stokman a dévoilé il y a quelques mois que le prochain ouvrage de Neofelis Editions serait consacré à Jean Frisano, je ne suis pas certain qu'il ait mesuré l'engouement extraordinaire que cette annonce allait provoquer. Quelques centaines de colis amoureusement confectionnés plus tard, il peut être fier du succès de ce très beau livre. Car c'est un ouvrage magnifique ! Et comme en plus d'être superbe, il est extrêmement complet, que demander de plus ?



Pour ceux qui vivraient sur une autre planète, ou qui ignoreraient tout du monde des comics, Jean Frisano est un peintre dessinateur illustrateur génial qui, durant les années 70 et 80, a émerveillé tous les mômes et les ados qui, comme moi, dévoraient les Strange, Nova, Spécial Strange et j'en passe... Il a, en effet, signé un nombre impressionnant de couvertures de ces revues.


Si les oeuvres de Jean Frisano liées aux comics sont restées intemporelles, avec une place bien à part chez les adultes que nous sommes désormais, l'homme, lui, restait un mystère. Un mystère qu'il entretenait certes en fuyant les mondanités mais qu'il subissait aussi pour des raisons qui sont très bien expliquées dans le livre et que je ne dévoilerai pas ici. 



D'ailleurs, je ne vous dirai rien sur le contenu de l'ouvrage, hormis ces quelques clichés amateurs car, pour avoir eu le plaisir de la découverte (ma femme m'a même dit que j'avais les yeux qui pétillaient à la lecture), il n'est pas question que je gâche celui de quelqu'un d'autre. "Ne fais pas ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse" comme dit l'adage.


Ce que je peux dire en revanche, c'est qu'après avoir posé le bouquin, Jean Frisano n'aura plus aucun secret pour vous. L'ensemble est très exhaustif, toujours passionnant, et on apprend réellement à chaque page. Il y a sans nul doute un boulot de dingue derrière cette mine d'informations. Le travail de Philippe Fadde, bien aidé par la disponibilité de Thomas et Sylvia Frisano qui n'ont pas été avares en archives comme en anecdotes, est remarquable ! Neofelis ayant mis un soin tout particulier à peaufiner la mise en page, le résultat est clairement supérieur aux attentes.


Car si je savais que Neofelis pouvait faire de bien belles choses (j'avais notamment adoré leur Comics Signatures consacré à Spider-Man), je ne m'attendais pas à un tel niveau d'excellence. La mise en page est très agréable et bien pensée dans ses thématiques, l'ensemble est d'une clarté absolue, la qualité des reproductions est de (très) haute volée, tout ceci sur un papier du plus bel effet (même mon flash ne s'en est pas encore remis).


J'aurais aimé avoir des réserves, trouver un petit truc sur lequel pinailler mais je ne trouve pas. Je ne pense pas qu'il soit possible de faire mieux. C'est sûrement faux, la perfection n'existe sans doute pas, mais je ne trouve rien à redire à la qualité de ce petit bijou d'édition. 


Aujourd'hui, je suis juste un mec hyper heureux, avec probablement un sourire benêt sur le visage. J'ai dit à certains de mes proches que "Jean Frisano : Une vie d'artiste" était LE livre que j'attendais en 2016. Il est probablement le livre tout court. Et le pire, c'est que je n'exagère même pas. J'ai même fait le tour de mes bibliothèques pour être sûr.



Le fait de ne pas beaucoup en dire sur le contenu frustrera peut-être certains de mes (quelques) fidèles lecteurs mais c'est vraiment un ouvrage qui se découvre, page après page, oeuvre après oeuvre, avec délectation, envie et gourmandise. Si vous avez connu ces couvertures il y a 30 ou 40 ans et si la madeleine de Proust opère chez vous comme elle a opéré chez moi, vous allez vivre un moment très intense.




Il existe 3 packs : l'ouvrage seul, l'ouvrage avec le Comics Signatures 1 bis (qui prolonge le plaisir en "ressuscitant" entre autres le Courrier des lecteurs, et enfin le pack intégral avec un poster inédit double-face (le choix de Tarzan, que je ne comprenais pas vraiment prend tout son sens à la lecture du livre). Il y avait même un tiré à part pour les 100 premières commandes, forcément épuisé en quelques heures.


Bien évidemment, c'est un achat hautement recommandé ! Être (ou avoir été) passionné de comics est un plus mais Jean Frisano s'est essayé à tellement d'autres univers picturalement parlant (cinéma notamment) que ne pas s'y connaître n'a rien de rédhibitoire. Enfin, il me semble, avec toute l'objectivité dont j'essaie de faire preuve. Pas facile quand on a pris une telle claque


Si vous êtes intéressé pour l'offrir, vous l'offrir, vous le faire offrir, n'hésitez pas à consulter la page Facebook de Neofelis Editions ou leur site (http://www.neofelis-editions.com/ ). Frédéric Stokman se fera un plaisir de bichonner vos colis. Je parle en connaissance de cause ! 

Ceci étant dit, j'y retourne ! Une première lecture en amène forcément d'autres...
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jeudi 24 novembre 2016

En trompe l’œil (17)



L'homme était là, pensif, regardant sans réellement la voir l'étendue bleuâtre au pied de la falaise qu'il dominait. Le soleil baignait son corps d'athlète sans qu'il n'en ait cure. Non, ses pensées étaient ailleurs. Il avait beau ne pas vouloir les fixer - non, ils n'auraient pas le plaisir de le voir les observer - ces maudits plaisanciers étaient au centre de ses préoccupations. Ils étaient là sur leurs bateaux, à tournoyer dans la baie tels des requins avides de sang. Ils étaient là à se disputer l'espace, toujours plus nombreux, toujours plus intrusifs, toujours plus sans-gêne. 

Le regard de l'homme fixait toujours l'eau au pied de la falaise. Cette fois, il la voyait vraiment. Et il se sentit mal. C'était le seul endroit qu'il avait trouvé pour piquer une tête sans se la fracasser contre l'un des bateaux environnants. Alors que seulement quelques années auparavant, il aurait pu plonger de n'importe où et se baigner à loisir, aujourd'hui les mètres cubes d'eau disponible se comptaient sur les doigts d'une main. Il hésitait. Cela lui paraissait jouable mais le bateau qui semblait se diriger vers lui risquait de fausser l'équation. C'est pas possible, pensait-il, t'as pas assez de place au large où trimbaler ta tribu, blaireau ?

- Mouais, c'est pas mal mais je t'ai connu plus inspiré. Et il se passe quoi, après ?
-Ben, le mec, il hésite à piquer une tête, vu le peu de place qu'il a. Non, parce qu'en fait, ce que tu dois comprendre, c'est qu'il y a en fait beaucoup plus de bateaux que ceux que l'on voit sur la photo ! Donc, l'atmosphère est hyper anxiogène, tu vois. Le mec, il veut juste se tremper la tête et il peut pas, donc au bout d'un moment il pète un câble, il est en plein delirium tremens, genre il imagine que la crique est un plateau de bataille navale géant et qu'il dégomme tous les bateaux un à un en les pointant simplement du doigt,  genre "touché, coulé", tu vois et...
-Mais je ne pige pas bien... C'est une baie ou une crique ?
-Maaaaaais on s'en fout, putain ! ! !  C'est l'idée de la bataille géante qui est géniale ! Qui s'attendrait à ça, hein ? Ou alors, le gars, il plonge et bam, il se fracasse la tête contre un yacht, il saigne abondamment et à la vue du sang il devient fou, il se transforme en requin sanguinaire et avec ses dents monstrueusement acérées, il déchiquette un à un tous les bateaux présents et les plaisanciers.  A la fin du carnage, comme il saigne toujours, il s'excite tout seul et s'auto-bouffe. Un truc bien gore ! Dans un registre où on ne m'attend pas du tout, tu vois ! Ça sent le billet "nanar" donc forcément culte ! 
-Mais c'est très con...
-Oui bon, mais t'as vu la photo aussi ! Je pars de loin quand même ! En plus, on est en novembre avec un temps de merde... Les photos de vacances en plein cagnard, tout le monde s'en fout à cette période de l'année ! Un Apollon en moule-bite perché à plusieurs mètres du sol, tu voudrais que j'en fasse quoi ?
-T'es pas inspiré, quoi... et t'as pas osé te défiler, hein, avoue ! 
-Note bien quand même le happy end ! L'endroit retrouve sa quiétude d'antan. Écologiquement, j'envoie un message fort et tendance ! Un billet gore mais engagé ! 
-Tu vas faire un bide, je te dis...
-Pffff,.. Tu as gagné, je ne dis plus rien, voilà, t'es contente ?
-Il n’empêche qu'il est nul ton billet...

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dimanche 20 novembre 2016

J'ai lu... Ric Hochet : Meurtres dans un jardin français



Il y a un peu plus d'un an, j'avais dit tout le bien, ici mais également , que je pensais du Ric Hochet cuvée 2015. Une vraie claque prise en pleine face, alors que le puriste que j'étais craignait franchement le pire. Mais Zidrou (au scénario) et Simon Van Liemt (au dessin) allaient faire voler en éclat toutes mes appréhensions en m'offrant de surcroît un des mes meilleurs moments de lecture de l'année. Je ne vais pas refaire le film, il vous suffit de vous rendre sur les billets correspondants.

Tout naturellement, le duo, qui avait eu la lourde tâche l'an passé de succéder aux indéboulonnables Tibet & Duchâteau, remet le couvert dans une aventure non dénuée de charme, vénéneuse à souhait (superbe idée que de faire venir la mort d'où serait censé émaner la séduction) et très agréable à parcourir. Pour le reste, je ne dévoilerai rien, pas même le pitch. 

Soyons honnête, j'ai néanmoins pris un peu moins de plaisir que pour la lecture du premier tome. Les clins d’œil sont moins nombreux (ou je les ai moins relevés) mais en même temps, c'est normal, le tome 1 avait pour but de convaincre les puristes tout en séduisant de nouveaux lecteurs et de montrer que Zidrou connaissait bien son affaire concernant le microcosme de Ric Hochet. C'était en quelque sorte un tome d'installation, avec des piqûres de rappel, forcément avec une place un peu à part. Je veux dire par là qu'à mon sens, Rip Ric, titre du premier tome, aura certainement durablement ma préférence quelle que soit la qualité des tomes à venir.

Avant de continuer, je veux dire que ce billet est le ressenti d'un lecteur. Je ne suis pas journaliste et encore moins critique BD. Mes réserves ne concernent que moi et ne remettent en aucun cas en cause la qualité de cet album que j'ai par ailleurs beaucoup (et sincèrement) apprécié. A titre tout personnel donc, j'ai été déçu à deux niveaux, à chaque fois d'un point de vue du scénario. Le sort réservé au personnage de Nictalope tout d'abord m'a laissé un goût d'inachevé, renforçant l'impression de trouble voire d'incompréhension concernant son rôle (et ses limites) dans cette affaire. Et puis le mobile des meurtres, dans une thématique géopolitique certes d'autant plus crédible et bien documentée qu'elle a existé, mais qui, pour moi, en tant que lecteur de longue date, ne sied pas vraiment à l'esprit de la série Ric Hochet. Voilà pour les deux petites réserves sur cet album, mais pour le reste, j'ai beaucoup aimé : le cadre du Jardin du Luxembourg, l'originalité de la mise en scène des meurtres, la personnalité du principal coupable, le parfum de séduction, même si mortel, qui est dans l'air, l'aisance de Zidrou à faire vivre ses personnages, qu'ils soient de premier ou de second plan etc. 

Au niveau du dessin, c'est un peu compliqué de dire que Simon Van Liemt a encore progressé puisqu'il est un dessinateur confirmé alors que je n'y connais rien ou si peu. Mais je suis encore davantage bluffé par la qualité de sa mise en scène, la richesse des plans, le dynamisme de l'ensemble. Si je voulais vraiment pinailler, cher Simon, au cas où vous me liriez, non, définitivement non, même par grand vent, Ric n'aurait pas pu atterrir sur le tas de sable, vu son angle de chute. Mais c'est bien tout ce que je pourrais relever, et encore, vous l'avez compris, c'est une boutade. Bref, je ne veux pas m'étendre mais sur certains réseaux sociaux ou autres forums, j'ai lu des choses parfois assez agressives sur le travail de Simon Van Liemt, sous le seul prétexte que son style est aux antipodes de celui de Tibet. J'étais moi-même très attaché à ce style. Mais quand la réappropriation est à ce point respectueuse, quand le dessin est à un tel niveau de qualité, pourquoi faire un mauvais procès au dessinateur ? Pour ma part, je mesure simplement la chance que j'ai de pouvoir continuer à lire des Ric Hochet, avec un plaisir renouvelé, ce qui n'était pas gagné. Je ferme la parenthèse, défendre Simon Van Liemt n'était sans doute pas utile, il n'en a sans doute pas besoin, mais j'y tenais tant je trouve le procédé limite vu la qualité de travail proposée. Cet aparté étant fait, je persiste et je signe : le dessin sied parfaitement à la série.

Difficile de conclure ce billet un peu foutraque (j'ai bien fait de préciser que je n'étais qu'un lecteur lambda avec des ressentis plutôt que de réelles critiques) mais il va de soi que je conseille fortement l'acquisition de ce deuxième tome qui a le charme fou du précédent malgré les petites réserves énoncées plus haut. Alors oui, je ne suis pas objectif, je dispose désormais des 80 tomes existants de la série, je souhaite qu'elle dure encore longtemps, mais vraiment, ne boudez pas votre plaisir. En attendant le tome 3 qui est déjà dans les tuyaux et dont le titre, Comment réussir un assassinat, peut vraiment laisser présager du meilleur. 

Allez, un coupable en toute dernière page et mon bonheur sera total...

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mardi 1 novembre 2016

En trompe l'oeil (16)


Je ne prends jamais d’auto-stoppeurs. C'est un principe, peut-être de vieux con, mais c'est un principe : je ne prends jamais d'auto-stoppeurs. On ne sait jamais sur quoi on peut tomber. C'est vrai quoi, ils ont bon dos, l'altruisme, l’entraide, le "et toi, tu voudrais qu'on te laisse en rade ?" et j'en passe. Moi, je ne veux pas partager ma zone de confort avec un parfait inconnu et j'assume ! Ben oui, ma caisse, c'est ma zone de confort, j'y suis bien, j'y tolère ma femme à condition qu'elle ne la ramène pas trop mais je garde le contrôle. J'aime le bordel qui y règne, la saleté de la carrosserie parce que, oui, je ne sais pas utiliser les foutus jetons des stations de lavage et je vous emmerde, le silence seulement couvert par le souffle de la climatisation et par la douceur de mes mélodieuses insultes envers mes congénères automobilistes inadaptés, les trajets baignés de solitude... En substance, j'aime ma caisse aussi proportionnellement que je conchie les auto-stoppeurs.

Je devais être en mode brouillard intense lorsque, pour une raison que je ne m'explique toujours pas, j'ai accepté de conduire cette nana jusqu'à Lyon.  Depuis quand un pouce levé, ça me fait de l'effet, à moi ? Il s'est passé quoi l'espace de cet instant où le "Tu peux rêver, chérie" que je m’apprêtais à siffler entre mes dents s'est mué en "Allez, c'est bon, montez !" ?

Sauf qu'il y a une chose que je supporte encore moins qu'un auto-stoppeur en bord de route, ce sont les pieds. J'ai une sainte horreur des pieds, je trouve ça d'une laideur sans nom, ça marche toute la journée, ça cloque, ça pue, ça garde la crasse entre ses petits orteils musclés, ça panarise au moindre bout d'ongle ou de peau arraché. Visuellement, c'est moche, même avec les extrémités peinturlurées. Et là, la nana, à peine cinq minutes après qu'elle ait pris ses aises, elle me les exhibe, là, comme ça, sans prévenir ou demander la permission. Elle me dégueulasse une partie du tableau de bord et du rétroviseur droit. Elle s'étale et elle est contente. Ses pieds dégueulent dans ma voiture, alors que ses seins toujours pas, et elle est contente. 

Elle me parle de tout comme de rien mais je n'écoute pas. Je ne vois que ses pieds. Beaucoup ses pieds et un peu la route quand même. Elle est peut-être canon, la donzelle, pas trop eu le temps de mater, mais putain, qu'est-ce que je hais ses pieds ! Dans MA voiture en plus ! 

J'ai joué progressivement sur les rapports jusqu'à caler. Ma panne improvisée était plus grosse qu'un immeuble de quinze étages, personne de sensé n'y aurait crû mais elle n'y a vu que du feu. J'ai attendu patiemment qu'un autre automobiliste fasse la même connerie que moi et prenne la relève mais je n'eus pas à attendre longtemps. En quelques secondes, elle et ses panards disparurent de mon champ de vision et je ressentis alors un énorme soulagement.

Je ne prendrai plus jamais d'auto-stoppeurs ! 

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samedi 24 septembre 2016

Lectures BD de vacances


 Manu Larcenet

Pouvoir parler de BD de retour de vacances est un petit luxe que je m'autorise cette année. Normalement, je lis peu ou pas à cette période car je n'aime pas trop sortir les ouvrages de chez moi, encore moins les trimbaler en voiture. C'est mon petit côté maniaque. Cette année, j'ai fait une exception, à moins que je ne sois réellement sur la voie de la guérison, allez savoir, car j'avais vraiment trop de retard de lecture. En plus, je n'avais emmené que du lourd, enfin, ce qui était annoncé comme du lourd, le genre indispensable, quoi. Et j'ai été bien inspiré car je me suis régalé. Marine et Guillaume, mes libraires attitrés sur Périgueux, seraient fous de savoir que je n'avais pas commencé la lecture du chef d'oeuvre en 4 tomes de Manu Larcenet,  Blast, alors que je possédais les BD depuis plusieurs années. De Larcenet, il sera beaucoup question d'ailleurs puisque Le rapport de Brodeck, série en deux tomes, c'est lui-aussi. Enfin, zoom sur mon coup de coeur de cette rentrée 2016 : Le crépuscule des idiots de Jean-Paul Krassinsky. 



 (cliquez sur les vignettes pour les agrandir)

Vouloir lire Blast quand on est en vacances, c'est un peu comme se balader à la fête foraine avec une peluche dans une main et une corde et un tabouret dans l'autre. Car Blast est une oeuvre coup de poing d'une noirceur absolue. Même les périodes de "blast", où le monde se colore enfin dans un semblant de félicité bien fugace, n'apportent guère d'oxygène face au pessimisme, que dis-je, au désespoir transpirant, suintant à chaque planche, chaque case.


Blast, c'est l'histoire de Polza Mancini, un pauvre bougre, une boule de souffrances enfouies, la part désespérée, au mieux partielle, au pire totale de Larcenet, l'auteur révélant d'ailleurs qu'il était passé de 5 tomes initialement prévus à 4 du fait de la trop grande douleur ressentie par son entourage lorsqu'il travaillait sur la série. Car dès lors qu'il accouchait de Blast, Manu devenait Polza.

Polza, c'est un homme qui traîne sa graisse comme une difformité sans nom, qui traîne un mal-être sans fin à force d'avoir été entretenu par le regard des autres. Et paradoxalement, Polza, c'est aussi un homme qui avait un travail et une femme qui l'aimait. Mais il n'avait pas la liberté. Pas celle qu'il voulait. Il va apprendre qu'elle a un prix et qu'elle est surtout illusoire, à grands renforts d'artifices et de souffrances. Polza est autant détruit par les autres qu'il se détruit lui-même. Un long voyage fait de solitude, de rencontres avec des êtres tout aussi abîmés que lui, de revers dans un monde cruel quand on est inadapté. Blast est une oeuvre maîtresse, puissante, âpre, dure, épuisante. Mais indispensable tant elle est maîtrisée et ingénieuse dans sa mise en scène, dans ses mises en abîme. 



J'avais toujours dit que je lirai Blast dans un contexte bien particulier, un peu comme quand on attend d'être dans le noir et la nuit pour visionner un film d'horreur. Finalement, j'ai englouti les 4 tomes une journée de grand vent et surtout de grande flemme de mettre le nez dehors. Une fois entamée, la lecture me fut impossible à interrompre. Un grand bonheur de lecture pour des pelletées de malheurs à chaque page, c'est tout le paradoxe de Blast. Douloureux et parfois forcément introspectif mais indispensable.




 Vouloir lire Le rapport de Brodeck quand on est en vacances... quoi, je vous l'ai déjà faite ? Bon, on s'éloigne quand même un chouïa de la noirceur hallucinée de Blast. Encore que... On reste dans le très sombre avec cette adaptation, toujours signée Manu Larcenet donc, du roman éponyme de Philippe Claudel.
On suit le destin de Brodeck qui rentre chez lui après avoir connu l'enfer des camps de concentration. Il revient juste le soir où les habitants de son village viennent de commettre un meurtre collectif, celui de l'Anderer, c'est-à-dire, l'autre, l'étranger. Brodeck est alors sommé d'écrire un rapport sur l'incident (auquel il n'a pourtant pas assisté) afin que ceux qui le liront puissent comprendre leurs motivations et surtout les expurger de tout jugement.



Le rapport de Brodeck est une excursion puissante et terriblement anxiogène dans les méandres de la paranoïa née de la peur de l'autre. Brodeck étant un étranger lui-même, il doit composer avec une hostilité permanente qui fait qu'à aucun moment on ne le pense en sécurité. Le dénouement est à ce titre assez inattendu mais je n'en dévoilerai pas davantage. Oeuvre dérangeante sur la xénophobie au sein d'une ruralité dans ce qu'elle a de plus rustique, de plus animal dans ses bas instincts, le rapport de Brodeck est superbe de réalisme grâce au trait de Larcenet qui n'hésite pas à jouer sur les silences et les non-dits pour créer une atmosphère oppressante de bout en bout. A noter enfin que les deux tomes ont bénéficié d'un soin tout particulier (fourreau et format "à l'italienne") pour un résultat de toute beauté. Là encore, je recommande hautement l'achat.


On termine ce tour d'horizon avec un titre, et pas des moindres, de la rentrée 2016. Le crépuscule des idiots est peut-être celui dont, de toute la sélection présentée aujourd'hui, je me méfiais le plus quant à son intérêt. La couverture étant particulièrement parlante, vous aurez compris que, dans les grandes lignes, on est face à un prophète tombé de nulle part (ce n'est pas tout à fait exact d'ailleurs) qui comprend rapidement comment il peut tirer profit de l'adoration ou des interrogations qu'il suscite. Manipulations, détournement des règles, mensonges ou réinterprétations, chaque protagoniste aura à cœur, à un moment ou à un autre, de chercher à s'accaparer le pouvoir, avec des conséquences généralement dramatiques.


Avec les événements actuels et les réinterprétations à l'emporte-pièce des textes religieux de tous poils, je craignais que l'oeuvre de Jean-Paul Krassinsky ne soit quelque peu opportuniste. Et puis, soyons honnête jusqu'au bout, de par mon côté athée "je respecte toutes les religions mais lâchez-moi la grappe" assumé, je n'étais guère enthousiaste à l'idée de plonger dans tout ce fatras. Eh bien, j'avais sacrément tort. J'ai passé un excellent moment, un vrai putain de bon moment. 



Krassisnsky, fondamentalement, n'invente rien mais son observation de nos dérives, la limpidité de son propos, le choix des singes, nos "frères" comme représentants de l'espèce humaine, la justesse de son cheminement, son humour aussi, son talent à mettre le doigt sur ce qui fâche et sur les absurdités de nos civilisations dites évoluées font du Crépuscule des idiots une oeuvre forte et indispensable. Pour un peu, cette BD me donnerait presque envie à moi, l'athée pur jus, de lire la Bible ou le Coran pour me rendre compte par moi-même de ce que pourraient être deux œuvres maîtresses expurgées de toutes les interprétations faites au fil des siècles.


Je terminerai en disant que la BD est graphiquement de toute beauté et que dessins et couleurs servent admirablement le propos. 

Comme tout art, la BD est forcément quelque chose de subjectif et il n'est pas certain que ces BD référencées ici aient nécessairement le même écho auprès de vous. Donc je vous les recommande sachant très bien qu'il vous faudra sans doute diluer mon enthousiasme. Pour ma part, en tout cas, je n'ai rien trouvé à redire à ces trois oeuvres fortes qu'il me faudra sans doute relire pour en saisir toutes les subtilités et significations. Quel plaisir de lecture en tout cas ! 

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mercredi 10 août 2016

En trompe l’œil (15)


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J'observais de mon siège la jeune femme dont le regard semblait se perdre dans les méandres de la dense et sauvage forêt d'Amazonie. Était-elle subjuguée par la beauté aérienne de cet écrin de verdure encore partiellement épargné par la déforestation ? Était-elle triste, comme je l'étais moi-même, de devoir s'en retourner vers la civilisation, enfin, celle que l'on présente comme telle ?

Pour ma part, j'allais rentrer chez moi la tête pleine d'images et de souvenirs de rencontres, d'échanges, de partages. Mais sans les réponses que j'étais venu chercher.
J'avais ressenti le besoin de revenir aux fondamentaux parce que je ne supportais plus le monde tel qu'il est désormais, un monde de puissants, un monde au rythme effréné, un monde de compétition et d'individualisme, un monde en guerre contre tout, tout le temps. Evidemment, les critiques seraient à argumenter, à nuancer probablement aussi, mais le problème n'est pas là. La vérité est que je me sens complètement inadapté à tout ce qui m'entoure. Ce n'est pas juste une question d'âge ou de syndrome "C'était mieux avant". D'ailleurs, c'est plus un constat qu'une réelle introspection ou un jugement. Le monde va vite et je n'ai pas le rythme, c'est aussi simple que ça. Le monde se virtualise chaque jour un peu plus et cela me fait peur, d'autant plus que j'y contribue.

Malheureusement, je ne suis pas seulement inadapté à cette civilisation dite moderne. Ce voyage de cinq semaines à essayer de vivre parmi les indigènes a très vite montré les limites de la simple bonne volonté. Alors oui, on admire ces peuples qui tentent de vivre d'une façon aussi ancestrale que possible, sans beaucoup de ressources mais avec une abnégation et des valeurs de famille, d’entraide et de dépassement de soi qui forcent le respect. Oui, on aimerait bien ne plus être guidé par le seul aspect matérialiste comme baromètre social. Oui, on voudrait bien se recentrer sur les choses simples mais essentielles. Oui, on voudrait bien, pour un temps, partager le quotidien de tous ces gens qui n'ont rien autant qu'ils ont presque tout. Se prouver que c'est possible et que nous sommes récupérables.

Sauf que là-aussi, nous sommes des inadaptés. Moi, vous, tout le monde ou presque. On envie des personnes dont on estime qu'elles ont tout compris mais vivre cette vie signifierait pour nous être en situation de survie permanente. Car pour les indigènes, rien n'est simple. C'est une vie dure, exigeante et dont les efforts consentis chaque jour n'ont qu'une portée de quelques heures. Une vie qui exige inlassablement de tout recommencer, encore et encore. Une abnégation que l'on peut saluer ou admirer mais qui n'est pas pour nous. 

Avec tout ça, je ne sais toujours pas où est ma place. Pour tout dire, cela fait un sacré bout de temps maintenant que je cherche en vain. Avec ce constat qui revient tel un leitmotiv entêtant : Je suis un inadapté. Ce monde n'est pas le mien. Il n'est pas pour moi.

Je me demande si cette jeune femme se pose les mêmes questions. Honnêtement, je ne l'espère pas. Il y a tant à faire plutôt que de se poser des questions sans réponse.

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mercredi 27 juillet 2016

Hägar Dünor



Aujourd'hui, zoom sur une série géniale, Hägar Dünor, qui a fait les plus belles heures du Journal de Mickey, entre autres, comme dans la planche ci-dessous (cliquez sur les vignettes pour agrandir) : 


Elle ressort cette année dans une édition de toute beauté, présentée comme une intégrale en 3 tomes. Autant dire que vu la production de son auteur, le terme d'intégrale sera sûrement impropre mais peu importe : le plaisir à la lecture de ces strips est tel que je n'ai même pas envie de chipoter sur ce détail néanmoins d'importance. A moins que l'éditeur ait volontairement choisi de s'en tenir aux premières années, le premier tome couvrant les strips parus en 1973 et 1974. On verra bien...



Accessoirement, Hägar Dünor était la solution de l'énigme de la semaine passée. Je vous rappelle les indices qui seront expliqués tout au long de ce billet.

Je fleure bon Paris mais seulement en VF
Mon nom vient du surnom de mon auteur
Je suis une BD qui se transmet de père en fils
Si mon fils est un utopiste pacifiste, ma fille montre d'autres dispositions
Multi-publié, je fais le bonheur encore aujourd'hui des lecteurs d'un journal local, et ce depuis plusieurs décennies.



Si en version originale, le titre de l'oeuvre est Hägar The Horrible, en France les traducteurs se sont fait plaisir avec un jeu de mots fleurant bon Paris : Hägar Dünor. Je ne suis pas sûr d'avoir fait le rapprochement quand j'étais môme.




Je l'ai dit plus haut : la version proposée par Urban Comics, dans le cadre de sa nouvelle collection Urban Strips, est de très haute tenue. Elle revient sur la genèse de la création du viking le plus célèbre du monde de la BD, expliquant notamment que le nom du personnage principal Hägar The Horrible est en fait le surnom que les enfants de l'auteur-dessinateur Dik Browne donnaient à leur père.


A ce titre, l'ensemble du petit dossier en préambule des gags est très agréable à parcourir, bien pensé et plutôt exhaustif. Un complément idéal sur l'historique de la série, agrémenté de quelques recherches et autres évolutions du personnage qui montrent surtout que Dik Browne, dès les premiers strips, avait une vision quasi-définitive de Hägar et de son microcosme.


Car tout ce qui fait le sel de Hägar Dünor, hormis Hägar lui-même et ses pillages autour du monde, réside dans la galerie incroyable de personnages gravitant autour de lui : de sa femme Hildegarde au caractère affirmé dirons-nous, jusqu'à son fils pacifiste qui ne sait même pas tenir une épée, en passant par sa fille guerrière ou son ami Eddie le chanceux doté d'une déveine incroyable, tous sont attachants et font partie intégrante de la réussite de la BD.


J'ai toujours été friand de ces gags en une bande (même si Dik Browne fera aussi des saynètes en une planche). Calvin & Hobbes et Garfield font notamment partie des BD que je mets tout en haut du panier, tous genres confondus (même si, quantité oblige, je n'ai finalement que peu de Garfield dans ma bédéthèque). Sauf que, mais c'est personnel donc forcément subjectif, Hägar Dünor est encore un cran au dessus pour moi. Ce qui n'aurait pu être qu'une madeleine de Proust de plus a été une vraie redécouverte, à un âge où je peux véritablement saisir toutes les subtilités de Dik Browne. Car c'est une série qui n'a pas pris une ride, avec des thèmes résolument modernes trouvant encore un écho aujourd'hui.


Et puis il y a ce dessin, tellement expressif, tellement efficace ! Je suis vraiment fan ! Dans un style certes différent (car je ne veux pas faire hurler les puristes, dont je suis d'ailleurs), Dik Browne a une puissance de trait qui me rappelle un peu celle de Franquin dans le sens où il m'arrive d'avoir des fous rires plus par l'expressivité des personnages sur une scène donnée que par la qualité de l'historiette proprement dite. Je pense d'ailleurs que si Franquin reste ma référence absolue avec l'éternel Gaston Lagaffe, Dik Browne pourrait être juste derrière. Bien-sûr, je suis dans le ressenti donc je répète que c'est un avis tout personnel que je donne.


Dik Browne s'est éteint à seulement 71 ans en 1989, un an après avoir pris sa retraite artistique. L'un de ses enfants, Chris Browne a pris le relais. Au final, la BD aura été publiée dans un grand nombre de journaux et magazines. En France, Hägar Dünor est notamment toujours publié aujourd'hui dans Le Républicain Lorrain, et ce depuis ses débuts en 1973. Mais comme je le disais en introduction, sa renommée vient surtout du fait de sa publication dans Le Journal de Mickey quatorze années durant.


Vous l'avez compris : c'est une BD que je fais plus que hautement recommander. Pour moi, elle est indispensable, surtout dans cette édition luxueuse mais abordable où le N&B est de toute beauté. Le tome 2 est attendu à l'automne 2016. C'est peu de dire que je suis impatient ! Je vous laisse avec quelques gags supplémentaires qui, je l'espère, vous donneront envie de vous plonger dans Hägar Dünor et son univers. Bonne lecture !





lundi 25 juillet 2016

En trompe l’œil (14)


(cliquez pour agrandir)

Elle revient du diable vauvert cette rubrique puisque je ne l'avais plus alimentée depuis... janvier 2011 ! Je vous en rappelle le principe simple : mon cousin Christophe, Titof pour les intimes et photographe à ses moments perdus, m'envoie une photo au hasard. C'est important, je ne la choisis pas. A partir de ce qu'elle m'inspire, j'écris une histoire courte. Le but est double : d'une part, ne pas refuser le challenge, quelle que soit la photo et surtout, surtout, entretenir la gymnastique de l'écriture quand on est, comme moi, régulièrement en manque chronique d'inspiration. Cela s'apparente donc davantage à un atelier d'écriture qu'à une production écrite qui se voudrait réellement intéressante. Bon, j'ai rédigé cette petite introduction pas bien intéressante non plus, pour vous resituer tout ça, mais dès la semaine prochaine, j'envoie direct ! C'est parti ! 

Vu de l'extérieur, le cadre est idyllique. Un endroit paisible qui fleure bon les vacances, une vue imprenable sur une mer bleu-vert du plus bel effet et un ciel azur qui n'est pas en reste, un banc tout en sobriété pour laisser l'esprit vagabonder.

Et puis il y a ce couple. Enfin, il me semble que c'en est un. Il a l'air tranquille, ce couple, à profiter de l'espace devant lui sans rien demander à personne. Ces gens, sont-ils simplement dans la contemplation ? Se posent-ils des questions ? Sont-ils heureux ou essaient-ils de s'en persuader ? C'est fou comme je m'en pose, moi, des questions, à simplement les regarder. Si ça se trouve, ils sont au bord de la rupture et leur histoire va s'arrêter ici, allez savoir ! Ce serait moche, quand même, ils ont l'air tellement mignon. 

C'est comme ce banc, là. Il est bizarre, vous ne trouvez pas ? Avec sa double assise qui fait qu'un côté tourne le dos à la mer. Pourquoi une double assise ? Vous en connaissez beaucoup, vous, des gens qui trouveraient un endroit comme celui-là, une sorte de petit paradis sur Terre, et qui lui tourneraient le dos ? Il faudrait quand même être un peu con, non ? Enfin moi, vous savez, ce que j'en dis... Et puis même si des hurluberlus préféreraient imaginer la mer de dos que de la voir de face, vous croyez qu'ils oseraient déranger ce couple tellement touchant ? Ce couple qui ne fait de mal à personne alors que, si ça se trouve, il est au bord de l'implosion. Quand on arrive à donner le change à ce point, pour moi, c'est touchant, y'a pas d'autre mot ! 

Ce couple, je me demande quand même depuis combien de temps il est là. Et pendant combien de temps il compte encore rester. Je les aime bien les deux tourtereaux qui ne roucoulent quand même pas des masses, mais bon, faut que je vous dise : j'ai un problème parce que c'est mon banc. Ce n'est pas qu'il m'appartienne, non, mais je m'y assois tous les jours à cette heure-là donc c'est forcément devenu le mien. Alors oui, je veux bien le prêter aux passants qui passent, aux amoureux, ceux qui le sont, ceux qui l'étaient et le redeviendront, aux solitaires contemplatifs et j'en passe... mais quand j'arrive, faut vraiment que tout ce beau monde dégage. Parce que c'est mon banc. Alors il va me faire plaisir, le couple fadasse, là, il va aller se prélasser ailleurs. A l'extrême rigueur, je lui permettrai de tourner le dos à la mer. Si c'est demandé gentiment ! 
Parce que, quand même, c'est MON banc ! 

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lundi 30 mai 2016

Jérôme Alquié, artiste majuscule

(Toutes les reproductions sont la propriété de Jérôme Alquié)


Mine de rien, le billet que vous êtes en train de lire aura été l’un des plus durs à écrire. Au bout de plusieurs jets qui ne me satisfaisaient pas vraiment, j’ai décidé que cette mouture serait la dernière.


Comment parler à la fois du gros coup de cœur que j’ai eu pour l’art-book « Sweet Savage » et de son auteur, l’artiste pluriel Jérôme Alquié tout en gardant une cohérence entre les deux. Par quoi commencer ? Comment ? Il y a bien longtemps que je ne m’étais pas ainsi trituré les méninges mais, en parfait maso que je suis sans doute un peu, cette adversité imprévue ne fut pas pour me déplaire.


Entre moi et Jérôme Alquié, c’est d’abord une passion commune pour les séries animées de notre enfance : Albator, Goldorak, Ulysse 31, Les Mystérieuses Cités d’or et j’en passe. J’ai goûté avec délectation dans la marmite de la japanime et du manga pendant qu’il tombait carrément dedans. Comprenez que la comparaison s’arrête là puisqu’il a, lui, décidé de vivre de cette passion. 


Il aurait eu tort de s’en priver vu que le bougre a des mains d’or dès qu’il s’agit de dessiner. Un trait fin, tout en maîtrise. Je suis notamment toujours bluffé par ses courbes, courbes du corps, courbes des cheveux « à la japonaise ». Moi, rien que pour esquisser un arc de cercle, faut que je m’y reprenne à plusieurs fois ou que je me contente d’un résultat haché. Jérôme, c’est toujours clair, propre, net, beau. En un mot : énervant ! 


Pour un nostalgique comme moi, le travail de Jérôme est comme une évidence. Il prolonge la part de l’enfant en moi, vous savez, cette bulle que l’on veut préserver et qui tend à se contracter sous l’effet des agressions du monde adulte. Franquin, ma référence absolue dans la passion que j’ai pour la BD, aimait à dire qu’un adulte est un enfant qui a mal tourné. Jérôme nous permet finalement d’être adulte sans qu’on se culpabilise de se sentir encore enfant. Il rend la nostalgie noble mais surtout nécessaire. 


C’est pour cela, en plus de son talent monstrueux, que je l’estime infiniment. Nous ne nous sommes jamais rencontrés mais nous échangeons de temps à autre et je suis toujours épaté par sa gentillesse à l’égard de ceux qui le questionnent sur son travail, par sa disponibilité aussi, mais surtout, surtout, par sa capacité intacte d’émerveillement à l’heure où de trop nombreux artistes renvoient une image d’eux blasée. Le plaisir qu’il prend est contagieux et fait du bien. Je suis aussi touché par son sens de l’amitié (la préface de son ami Arnaud Dollen est à ce titre bouleversante) et par son respect indéfectible envers ses maîtres, Shingo Araki et Leiji Matsumoto notamment.


Un tour d’horizon de ses univers, qu’il en soit le créateur ou qu’il se les réapproprie avec génie, est désormais disponible au travers de l’art-book que j’évoquais au début de ce billet. On y retrouve évidemment Albator, Ulysse et tous les autres, vestiges intemporels d’une époque extraordinaire pas si lointaine, comme autant de madeleines de Proust synonymes d’un plaisir coupable sans cesse renouvelé. 


Mais les vraies héroïnes du livre, celles à qui le titre « Sweet Savage » s’adresse, ce sont les femmes qui peuplent son imaginaire. Qu'elles viennent des vents d'Asie ou des terres d'Afrique, qu'elles soient d'eau ou de feu, qu'elle soient héroïnes, mères ou enfants allongées éprises de rêves, elles nous interpellent toutes, mélange de douceur et de force.


Toutes ces représentations féminines, qui ont récemment bénéficié d'une mise en valeur exceptionnelle lors d'une exposition consacrée à l'artiste, sont d'une beauté à couper le souffle. Certaines nous touchent plus que d'autres, subjectivité oblige, mais aucune ne nous laisse indifférent. 


Si je devais vraiment pinailler (et là encore, c’est forcément subjectif), les commentaires qui accompagnent ces femmes sur papier, bien qu’essentiels car témoignages de la démarche artistique et de la sensibilité de Jérôme, m’auront quand même un peu frustré car je fais partie de ceux qui aiment bien se perdre dans les univers des autres. Là, je me sentais un peu guidé, orienté. Mais c’est vraiment une sensation toute personnelle qui n’amoindrit en rien la charge émotionnelle des œuvres.


Vous l’aurez compris, « Sweet Savage » est à la hauteur de toutes les attentes. En plus d’un contenu foisonnant et globalement exhaustif,  il faut souligner que la mise en page est, de surcroît, de très haute tenue. La qualité des reproductions n’est pas en reste. L'ouvrage est vraiment un très bel objet où on sent bien que rien n'a été laissé au hasard au niveau de la conception. Je vous l’aurais donc forcément hautement recommandé mais, c’est ballot, il n’y en a déjà plus. Un succès amplement mérité. Merci Jérôme pour ce grand plaisir de lecture. Et bravo !

(Jérôme ne fait pas que dessiner : la preuve avec cette magnifique scène tirée de la série animée Bouba. Pour se quitter, il y a pire, non ?)