lundi 29 janvier 2018

BD en folie (1)




"Nouvelle" rubrique qui me permettra de ratisser large (mais forcément plus brièvement) lorsque mon actualité BD sera densément fournie. Janvier fut particulièrement riche en acquisitions, Noël oblige. Et si "Jamais" de Bruno Duhamel a bien mérité un "Coup de cœur" récemment, il y eut d'autres bien belles choses à se mettre sous la dent.

Commençons par "Mickey et l'océan perdu" de Filippi (scénario) et Camboni (dessins). Premier constat : visuellement, c'est de toute beauté ! Il n'y a qu'à regarder la superbe couverture pour s'en convaincre. Tout l'album est du même acabit.Les couleurs ne sont pas en reste pour un ensemble qui flatte la rétine. Le rendu visuel justifie à lui-seul l'achat de l'album. Et heureusement car scénaristiquement, le constat n'est pas du même tonneau. Problème : le scénario futuro-écolo-steampunk de Filippi oublie l'essentiel : le respect de l'essence même des personnages Disney. Un manque d'âme qui rend l'ensemble un peu froid, parfois un poil confus et pas bien passionnant. Surtout, on pardonnera mal le nombre incroyable de coquilles (fautes d'orthographe, ponctuation, rien ne nous est épargné), indigne des éditions Glénat surtout quand l'écrin est aussi flatteur. Dommage...



Dans "Mickey Maltese : la ballade de la souris salée", de Enna au scénario et de l'incontournable Cavazzano aux dessins, pas de souci que l'esprit ne soit pas respecté. L'ouvrage obéit à des codes très classiques mais l'ensemble est réellement plaisant sans être extraordinaire. On est dans une vraie BD d'aventures comme aux plus belles heures Disney, distrayante de bout en bout mais sans surprise. Comme pour la BD du dessus, le dessin de Cavazzano justifie à lui-seul l'acquisition de l'album mais au moins l'histoire est dans l'esprit. Par contre, si la BD s'inspire, comme son nom l'indique, d'un Corto Maltese d'Hugo Pratt, je ne saurais dire quel est l'intérêt de cette "adaptation" puisque je ne connais rien de l'univers de Maltese. Les puristes jugeront...



"Le retour" de Bruno Duhamel est sorti début 2017 mais je n'ai découvert l'auteur que très récemment avec la sortie de "Jamais", son dernier album. Ayant adoré, je me suis naturellement jeté sur son oeuvre précédente et, là encore, j'ai pris une grosse claque. Avec un style visuel très différent et une histoire aux antipodes de celle de Madeleine, Duhamel nous happe dans les tourments de l'artiste contemporain Cristòbal retrouvé mort sur l'île de Lanzarote. Un artiste amoureux de l'île qui l'avait vu naître, jusqu'à créer un mouvement artistique d'ampleur pour empêcher la prolifération de promoteurs peu scrupuleux. Un artiste dépassé par son oeuvre et sa propre mégalomanie et dont la découverte progressive des pans sombres de la personnalité ajoute à l'atmosphère fascinante de l'histoire. Niveau dessins, mention spéciale à l'ensemble des paysages particulièrement bien mis en valeur et qui ont un charme fou et une charge émotionnelle forte. C'est juste... magnifique.



J'ai acheté "Mon traître" de Pierre Alary un peu par curiosité, après que l'on m'en ait dit le plus grand bien. Je n'ai pas regretté mon achat. L'ouvrage, inspiré de l'histoire vraie du journaliste et écrivain Sorj Chalandon, raconte comment un luthier de passage à Belfast se retrouve pris dans la tourmente de la guerre que mène l'Armée Républicaine Irlandaise (IRA) face aux Britanniques. Si le décor est tragique, c'est bel et bien d'une histoire d'hommes qu'il s'agit, entre amitié et faux semblants, fraternité et trahison, entre convictions profondes et ébranlement des certitudes. Une histoire d'appartenance à un groupe, un peuple dans ce qu'elle a finalement de plus extrême et de plus destructeur. Une histoire tragique où personne ne gagne et où tout le monde perd. Une histoire profonde au cœur de l'humain dans ce qu'il a de plus inextricable. Une oeuvre majeure.



Je n'ai pas encore évoqué sur ce blog la saga Infinity 8, d'une part parce que la série n'est pas encore achevée (8 tomes prévus, 6 parus) et que le scénariste a encore quelques cartouches dans sa besace, et d'autre part du fait qu'avec un dessinateur différent à chaque tome, l'ensemble est forcément inégal à ce niveau-là. Mais je ne peux pas passer sous silence cet excellent tome 6. Un immense  coup de chapeau aux auteurs pour le pied pas possible pris à la lecture de ce tome. Un album jubilatoire, drôle et prenant de bout en bout. Mention toute particulière à Franck Biancarelli qui me surprend à chaque fois. "Connaissance ultime", c'est une grosse claque graphique avec des compos, des décors et des couleurs aux petits oignons. Que du bonheur. 

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dimanche 21 janvier 2018

Coup de cœur BD : Jamais, de Bruno Duhamel


 Toutes les illustrations © Bruno Duhamel / Grand Angle


Je dois être honnête : j'ai un peu hésité avant de prendre "Jamais". En effet, j'achète pas mal de BD mensuellement et, aussi dépensier que je sois, il est quand même bien des moments où il faut faire des choix. J'avais déjà sous les bras "Mickey Maltese" (Enna / Cavazzano / Zemolin) et "Mon traître" (Alary) et j'avais initialement prévu de compléter avec le prix BD Fnac 2018 Betty Boob (Cazot / Rocheleau). En circulant de rayon en rayon, je suis alors tombé sur "Jamais" dont je me suis souvenu avoir lu de bien belles choses sur le net, probablement écrites de la main de certains de mes trop rares amis Facebook auteurs ou dessinateurs. J'ai pris l'ouvrage, je l'ai ouvert, et j'ai alors su que je ne le reposerais pas. Et c'est peu de dire que j'ai vraiment bien fait ! J'ai passé un très très bon moment de lecture ! 


L'histoire se passe en Normandie. Madeleine, veuve, vit seule avec son chat Balthazar dans sa maison en bord de falaise. Problème : tempêtes et autres dégradations climatiques ont érodé la falaise en question. Le maire de la commune veut convaincre la vieille dame de s'en aller avant qu'il ne soit trop tard, d'autant que celle-ci est aveugle. mais Madeleine compte bien ne pas s'en laisser compter.  Sa maison, c'est toute sa vie, et tellement plus encore ! Mais comment échapper à l'inéluctable ?

Je ne savais pas trop à quoi m'attendre, même si je connaissais préalablement le pitch de départ. Le trait bonhomme et rond de Duhamel (qui me fait assez penser, par instants, à celui de Bruno Gazzotti, le dessinateur de Soda et de Seuls), l'humour très présent, les clins d’œil aussi plaisants que faciles (la référence d'entrée de jeu à l'univers d'Astérix), l'aspect assez caricatural de certains personnages secondaires... Tout cela a fait que les premières pages m'ont laissé un peu... perplexe. Et en même temps, sans trop savoir pourquoi, j'étais déjà embarqué. Parce que, "Jamais", c'est certes un peu de tout ça... mais tellement plus ! 


C'est une oeuvre magnifique et bouleversante sur la solitude, l'absence de l'autre, la difficulté de composer avec le manque qui va avec, l'attachement à une maison restaurée à deux et désormais pleine de souvenirs, la fin de vie, le respect de la personne dans ce qu'elle est et dans ce qu'elle souhaite. Madeleine est comme tout un chacun : elle est unique. Et c'est dans cette unicité qu'elle nous émeut le plus. Jusqu'à une fin que je ne dévoilerai évidemment pas, mais qui ne coulait pas forcément de source. Et c'est tout l'art de Duhamel d'avoir su arrondir quelques angles, polir quelques pierres, pour que l'éthique ne soit pas tout. C'est une BD profondément humaine et la sympathie que l'on a pour les personnages, Madeleine et Balthazar en tête en ce qui me concerne, suivis immédiatement par Ouedraogo, font que c'est un ouvrage que l'on peut lire et relire, on y prendra toujours du plaisir, on se délectera toujours de menus petits détails invisibles à la première lecture. Encore que la maison soit elle-même un personnage à part entière tant elle est centrale dans l'histoire et tant elle a une identité forte. D'ailleurs, mes passages préférés sont ceux où Madeleine est dans sa maison, notamment quand elle est confrontée aux réminiscences du passé. Les planches 23 à 26 sont pour moi de toute beauté, de par leur composition, leur force, leur atmosphère.


Car, même si je n'en ai pas encore parlé, le dessin est extraordinaire. Les paysages de la côte d'Albâtre, qu'ils soient paisibles ou tempétueux, ont une identité très marquée. Le travail sur la lumière lors des scènes nocturnes ou lorsque les éléments se déchaînent est remarquable (je ne parle pas ici de technicité, je n'y connais rien, mais de rendu et d'atmosphère, en ma simple qualité de lecteur lambda). La vieille maison, je l'ai évoqué plus haut, n'est pas une vieille maison parmi d'autres. Cette unicité la rend très attachante aussi et le trait de Duhamel nous la fait aimer immédiatement. Chapeau bas d'ailleurs à l'artiste qui cumule ici les trois casquettes de scénariste, dessinateur et coloriste pour une oeuvre de haut vol.

Merci à Bruno Duhamel pour ce vrai bon moment de BD. Et comme l'essayer, c'est visiblement l'adopter, je n'ai qu'une hâte : me procurer "Le retour" et "le voyage d'Abel" ! Cela ne saurait tarder ! 

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