mardi 24 octobre 2023

Laissons Lagaffe à Franquin

 
André Franquin a toujours été pour moi au Panthéon de la BD franco-belge comme peut l'être John Romita Sr pour la BD américaine. Je lui voue une admiration et une reconnaissance éternelles pour les rires et les émotions vertigineuses ressenties aux (re)lectures de son personnage fétiche Gaston Lagaffe. Outre son trait prodigieux et son souci maniaque du détail, il avait un sens aigu du gag au travers d'une narration parfaite de la première à la dernière case. 

Mais Franquin n'est plus et Gaston est orphelin depuis plus d'un quart de siècle. L'auteur avait témoigné de son vivant de sa volonté que Lagaffe ne soit pas repris. Bien que Gaston Lagaffe soit ma série BD favorite, et de loin, j'ai toujours trouvé ce choix évident, tant Gaston serait si peu de choses sans la sensibilité de Franquin qui lui avait injecté tellement de lui. Il est des séries dont le concept même de reprise me semble être une hérésie, encore plus quand c'est un choix guidé par le seul appât du gain.

Les éditions Dupuis, par le biais de son nouveau directeur commercial qui n'a sans doute jamais rien compris à l'oeuvre de Franquin, ont décidé d'allègrement s'asseoir sur le désir de l'artiste et de miser sur une potentielle poule aux oeufs d'or revisitée. Un nouveau tome, le bien nommé Le retour de Lagaffe, va donc voir le jour fin novembre. Deux planches avaient filtré avant qu'Isabelle Franquin, sa fille, tente de faire interdire la sortie dudit ouvrage, finalement en vain. Ces deux planches montraient déjà deux choses. D'abord que le nouveau dessinateur Delaf, artiste canadien un poil opportuniste, savait copier le trait de Franquin mais de façon bien plus grossière que l'original, Franquin pouvant peaufiner chaque détail des heures durant, un souci que l'on ne retrouve pas ici malgré l'extrême fidélité au terreau d'origine. Surtout, ces deux planches ne montraient aucune originalité, n'étant que des ersatz de gags déjà vus. Ce manque d'inspiration sur deux planches censées faire envie et relancer la série fait craindre la panne sèche sur la durée.

Je ne me procurerai pas ce Gaston Lagaffe version 2023. Je ne dirai pas ne pas avoir eu une petite hésitation. L'abattage médiatique a commencé, difficile de passer à côté. Et Gaston me manquant, la tentation a été là. Mais je ne trahirai pas Franquin, je ne trahirai pas tout ce qu'il a mis de lui, le cœur notamment, dans ce personnage culte, je ne trahirai pas son oeuvre. Je n'encouragerai personne à se le procurer évidemment.

Après, c'est un pari qui peut réussir pour Dupuis. Ou un plantage en bonne et due forme. Je ne vois pas trop Gaston Lagaffe drainer de nouveaux lecteurs. Restent les anciens. Les puristes comme moi passeront leur chemin. Les autres se laisseront peut-être tenter.

Personnellement, je préfère laisser André Franquin et Gaston Lagaffe  là où j'aime les y retrouver.

Dans cette bulle flétrie par la vie mais où ma part d'enfant trouve encore à s'exprimer.

(NB : J'avais prévu au départ d'illustrer davantage ce billet mais je ne souhaitais pas risquer de promouvoir ce nouveau Lagaffe par la même occasion. Ceux que ce choix pourrait frustrer auront toute la matière nécessaire sur le net)