jeudi 11 janvier 2024

Eric

 
©D.C. 2012

Sur cette photo d'un déjà lointain réveillon de nouvel an en 2012, les habitués reconnaîtront votre serviteur à droite et ma femme Nathalie au centre.

Le troisième joyeux luron qui se la joue Hannibal Smith dans Agence Tous Risques, c'est Eric. Il a été notre voisin pendant près de quinze ans en Dordogne avant que nous nous installions en Bretagne il y a deux ans. Il était surtout mon ami. 

Eric vient de tirer sa révérence ce soir après un âpre combat contre la maladie. Ces derniers mois, j'ai mesuré ô combien il avait été bien plus un ami qu'un voisin. Un constat qui n'avait rien d'une évidence. Après tout, un voisin, on est tellement habitué à le croiser régulièrement, à échanger, à se rendre des services, à partager des moments conviviaux que la notion d'amitié, souvent, n'intervient pas, ou en tout cas ne se pose pas. Je parle bien évidemment d'un voisin avec lequel on s'entend, pas celui avec lequel on a des querelles de voisinage permanentes.

Eric, c'était un homme très serviable, toujours prêt à rendre service. Lui qui avait plus que tout la main verte - il en avait d'ailleurs fait son métier - s'était bien vite rendu compte qu'il avait comme voisin son parfait opposé. D'ailleurs, lorsque ma tondeuse avait précocement rendu l'âme, je m'étais rapidement alloué ses services. Il entretenait son terrain puis le mien. Ou l'inverse. Avec un résultat toujours impeccable, bien au delà de ce que j'aurais pu en attendre. Il voulait toujours en faire plus, me proposait de planter ceci ou cela, me disant que ce serait bien de tailler le haut du sapin etc. Chez lui, il avait un petit potager. Parfois, comme Nathalie me l'a rappelé ce soir, il pestait contre les innombrables pots de fleurs et autres plantes de sa mère qu'il devait déplacer un à un pour pouvoir tondre. Mais il restait perfectionniste en toutes circonstances, tout en se défendant de l'être tellement il trouvait ça normal. C'était un homme droit et de parole, sur lequel on pouvait compter.

Eric, c'était aussi des soirées où on refaisait simplement le monde. Il apportait l'apéro, ou une de ses multiples salades dont il avait le secret, et c'était parti pour une soirée simple et authentique entre amis. Il adorait dégainer sa salade de carottes râpées à l'ail dont on pouvait juste se demander si ce n'était pas une salade d'ails / aulx aux carottes râpées tellement elle était relevée. Et ses acras de morue étaient une tuerie On en aura fait un certain nombre de ces repas en quinze ans ! Souvent, on les clôturait en regardant un film. Là encore, on n'avait pas forcément les mêmes goûts. Eric, fallait que ça bouge, fallait qu'il y ait de l'action. J'avais pas trop ça en magasin mais on finissait toujours par y arriver. De toute façon, l'essentiel était vraiment qu'Eric y trouve son compte vu que Nath et moi finissions invariablement par nous endormir. D'autres fois, on discutait juste, des heures durant, autour de quelques verres. Et puis il y eut aussi quelques réveillons où il n'y avait pas de place pour la monotonie, comme celui immortalisé en début de billet.

Eric était malade depuis quasiment un an. C'est en reprenant quelques nouvelles au printemps dernier que j'ai appris que pas mal de choses n'allaient pas. L'été dernier, ça allait encore. Nous étions revenus dans la région mi-juillet pour quelques jours et nous avions pu partager un restaurant ensemble. Je ne pouvais pas le savoir mais cet ultime moment convivial entre nous, où sa joie faisait plaisir à voir malgré la maladie, serait le dernier. J'ai bien tenté de le revoir pendant les fêtes de fin d'année alors qu'il était baladé d'hôpital en hôpital sans espoir, déjà, de pouvoir rentrer chez lui mais, pour diverses raisons, cela n'a pas été possible. Au final, je préfère me dire qu'il a cherché à m'épargner, qu'il voulait que je garde l'image de celui qu'il avait toujours été. Et que ne pas avoir pu lui dire au revoir était peut-être un mal pour un bien même si c'est une bien maigre consolation.

Eric était plus qu'un voisin. Il était mon ami. Un ami que je remercie pour tous ces bons moments de partage et pour tous ces rires. Pour sa fidélité indéfectible et pour des centaines d'autres raisons. Un ami pour lequel je me suis inquiété follement ces derniers mois jusqu'au bout de son chemin. Un ami dont je ne pouvais supporter les souffrances que je le savais endurer. Un ami qui, à peine parti, me manque déjà. Terriblement. Un voisin n'aurait pas laissé un tel vide...

Ce billet, c'est avant tout une pensée pour sa maman qui doit être bien seule ce soir.

Bon vent Eric !