Allez, une fois n'est pas coutume, je vous balance les consignes d'entrée de jeu ! Bon, je ne vous cache pas que Maître Christian avait choisi la solution de facilité en me proposant pour la troisième fois l'exercice de la 1ere et de la dernière phrase imposées et que je me suis rebellé comme un beau diable pour qu'il me donne du neuf, de l'inédit ! Je n'ai pas été déçu du voyage, jugez plutôt :
"Choisir 3 lieux spécifiques de ton enfance qui gardent une valeur particulière dans ton souvenir. Les décrire en quelques lignes. Ensuite, raconter pour ces lieux une histoire anecdotique, un récit qui s'y rattache en y impliquant le lecteur."
Voilà, voilà, voilà... On y va ?
Ami lecteur (Hannibal ?), je ne te cache pas qu'il est bien difficile pour moi de choisir trois lieux spécifiques de mon enfance. Déjà, en trouver trois n'est pas simple. Je ne saurais expliquer pourquoi, cela a toujours été un mystère, mais j'ai finalement assez peu de réminiscences de mon enfance. Des flashs, quelques moments gravés, mais pas de souvenirs à la pelle comme ma femme, par exemple, pourrait en avoir. Je me demande souvent si "ma bulle" que je revendique à tout-va ne résulte pas d'une enfance que je n'aurais pas assez vécue, trop occupé à combler des manques plutôt que de profiter pleinement. Mon enfance n'a pas été malheureuse mais, à moins de ne pas en avoir conscience, je n'en ai pas retiré grand chose. Je n'en ai pas beaucoup de nostalgie. Paradoxal quand on sait que je suis quelqu'un de nostalgique par ailleurs. Va comprendre...
Heureusement, des lieux incontournables, il y en aura eu quelques-uns. Assez pour que je puisse m'acquitter de cet exercice périlleux émanant de l'esprit tordu de ce maître Christian que tu as appris à connaître au fil des semaines, cher lecteur. Tiens, puisque nous en sommes à parler de mon ami Christian, cela tombe bien. Car s'il y a eu un endroit dans lequel l'enfant que j'étais aura baigné, c'est bien la maison qu'il occupait avec sa maman. J'y passais la plupart de mon temps libre, sitôt sorti de l'école. Il faut dire qu'aller chez eux n'était pas bien compliqué, il me suffisait soit de descendre l'escalier de notre propre appartement (dont ils étaient propriétaires), soit, plus fréquemment, de passer par la fenêtre de notre salon que j'enjambais pour me retrouver dans leur cour arrière. Madame Rustan, comme je l'ai toujours appelée, était ma grand-mère de cœur et elle me rendait au centuple l'affection que je lui portais. Tu m'aurais vu, ami lecteur, échanger pendant des heures avec elle et mon ami Christian. Dès la fin de l'école, pendant que ma mère travaillait encore, je passais la voir chaque soir, invariablement, pour boire l'orangeade, boisson madeleine de Proust par excellence, pour faire mes devoirs et regarder les cultissimes dessins-animés de mon enfance. Moi, l'enfant timide et solitaire, j'étais si bien en compagnie de cette dame si bienveillante qui me trouvait toujours des qualités même là où il n'y en avait probablement pas. Avec Christian, j'ai eu très tôt le goût de la lecture et j'ai pioché plus que de raison dans ses livres de poche. J'étais véritablement comme chez moi et si je n'ai pas une anecdote en particulier en tête, c'est vraiment dans le salon de Madame Rustan que j'aurai passé de merveilleux moments des années durant. Elle me manque.
Autre lieu lié à l'enfance : Emerainville, en Seine-et-Marne. L'allée du temps qui passe. Quel beau nom de rue, tu ne trouves pas ? C'est dans cette maison que j'ai passé mes plus belles vacances de Noël. J'étais déjà ado ou pré-ado en ce temps là et je ne te raconte pas quelle frénésie c'était à chaque fois dans ma tête lorsque j'arrivais en gare d'Austerlitz. Là, je retrouvais mon oncle Christian, ma tante Christine, mes deux cousins Christophe et Guillaume et le chien (Christmas puis Gipsy puis Huchka dite "La Huche", j'espère ne pas en avoir oublié en route). Et c'était parti pour deux semaines de malade où j'étais comme un coq en pâte au milieu de gens que j'aimais plus que tout. Dans la tête du gosse que j'étais, c'était un peu "Noël à Paris", quoi, c'était pas rien ! Les grosses bouffes en famille, les apéros à répétition dès que je fus en âge de les apprécier, les cadeaux, les vrais, ceux qui s'offrent sans chichis et qui émerveillent encore, les huitres, l'esprit de fête et les grasses matinées réparatrices qui vont bien. Jean-François, Chantal, Mémé Lapin et les filles, que du bonheur. Nathalie, adorable gamine, trop vite disparue. Simone, Papi Brossard. Tant de gens qui m'ont ouvert leur porte et leur cœur.
Bon, pour la petite anecdote (et pour rester en phase avec le sujet du maître), il faut quand même que je te parle de Claire. Bon, j'étais ado en ce temps là et cette fille me faisait clairement de l'effet. Une fille sportive et lumineuse qui voulait, rêve avorté entretemps, devenir pilote de ligne. La revoir chaque année était un vrai plaisir et une vraie attente. Et une vraie déchirure lorsque les vacances s'achevaient. Enfin, pour moi. Je n'ai jamais su quels étaient ses "sentiments", je crois qu'elle m'aimait bien vu le temps que nous essayions de passer ensemble à chaque fois mais bon, c'est quoi deux semaines dans une année ? Le reste du temps, nous correspondions. Ca a duré un certain temps puis nous avons perdu contact, il faut dire que je ne venais plus sur Paris aussi systématiquement et que nous grandissions chacun de notre côté. Au final, nous n'avons même pas réellement flirté mais Claire restera pour moi un excellent souvenir. Elle aura pleinement contribué à rendre ces périodes déjà joyeuses de Noël heureuses.
Tu me suis toujours ami lecteur ? J'espère que tu ne t'ennuies pas. Le problème, dans les souvenirs que l'on remue, c'est qu'il peuvent n'intéresser que la personne qui les a vécus. Donc, si c'est barbant pour toi, tu me le dis, surtout. Ou mieux. Plains-toi directement auprès de Christian qui a tant insisté pour que je te mêle à cette séance rétrospective et introspective si passionnante. En attendant, il est temps de nous rendre dans le troisième lieu qui a baigné une partie de mon enfance. C'était chez l'une de mes tantes, pas celle dont le mari m'enfermait dans la cave, non, une autre, plus gentille et qui me laissait vaquer à mon occupation favorite : le dessin. Ma tante habitait (et habite toujours aux dernières nouvelles d'il y a une bonne douzaine d'années) une ferme isolée de construction plutôt récente. Il y avait là une grande terrasse ombragée et une table longue qui n'attendaient que moi. J'amenais des tonnes d'encyclopédies animalières émanant des bibliothèques de la maisonnée et je passais les après-midi de mes vacances d'été à reproduire toutes sortes de mammifères. Je me demande bien quelle gueule cela pouvait avoir au final mais je me régalais. Le dessin a d'ailleurs eu une place prédominante chez l'enfant que j'étais. Dommage que certains adultes aient cru bon par la suite de m'en détourner mais bon, on ne réécrit pas l'histoire. Dommage aussi que ma centaine de vieux cahiers de dessins se soit volatilisée au détour d'un grand "nettoyage de printemps". J'aurais tellement aimé avoir un regard d'adulte sur tout ce que j'avais griffonné étant gosse. Les parents qui ne gardent rien, c'est quand même terrible...
Voilà. Difficile de conclure ce type d'exercice. On prend des bribes de vie, on se les rappelle à notre bon souvenir, on y revient sans trop savoir ce qu'on en a véritablement gardé au fond de soi. Merci à toi lecteur de passage ou de tous mes écrits d'avoir compulsé avec moi quelques pages du livre de ma vie, aussi pompeux que cela ait pu être. Bien à toi.
.
Superbe et très émouvant pour moi, ce texte fait remonter tellement de souvenirs qu'il m'est difficile de le commenter, tout ce que je peux dire c'est bravo et merci mon ami !
RépondreSupprimerAvec un tel sujet, tu devais t'attendre à un effet boomerang niveau émotion. Il y a eu tant de bons moments partagés. Mais ceux à venir tous les deux n'auront rien à leur envier ! ;-)
SupprimerDécidément, aucun exercice n'aura raison du talent incontesté de notre auteur préféré !!! Bravo, émouvant à lire pour moi aussi, même si j'étais au courant de tout ce vécu (y compris les p'tites allusions à cette fameuse "Claire" !) c'est formidablement conté. Vivement jeudi prochain !
RépondreSupprimerNath
C'est vrai que je m'applique chaque semaine. Ça ne garantit pas un bon résultat à chaque fois mais je fais ce que je peux pour être à la hauteur !
SupprimerToujours aussi bien.Que rajouter de plus...On revit ces souvenirs avec toi alors que ce ne sont pas les nôtres.
RépondreSupprimerC'est un joli moment.
Isa.
Merci Isa, c'est très joliment dit et ça me touche beaucoup ! L'occasion aussi de vous redire merci pour ce we délicieux la semaine dernière, c'était quasiment vital pour moi de me ressourcer auprès d'amis si précieux ! Je me suis senti bien mieux cette semaine, du coup !
SupprimerPour le coup, ce sont des mots que j'emporte avec moi lors des moments coup de blues !! Merci !! ;o)
RépondreSupprimerIsa.
Voilà je viens de lire les 3 derniers devoirs de ton précédent blog et c'est là que l'on voit tout ton talent.
RépondreSupprimerCeux sont 3 écrits (1 écrit à suspense, 1 biographie mythologique et 1 récit émouvant) complètement différents et pourtant, à chaque fois, tu nous emporte dans l'univers décrit.
Dans le premier, tu as réussi à mettre en place en quelques mots une ambiance quasi suffocante où on se demande ce qui arrive. Dans le deuxième, on s'imagine sans problème au temps de la mythologie grecque au côté des Dieux et des fils de Dieu. Ici, tu arrives à nous transmettre ton émotion alors que nous n'avons nous même pas vécu ces souvenirs.
Moi je dis Bravo et un grand merci.
J'essaie de me renouveler et d'apporter, quand je peux, une part d'inattendu. Même sur des formats très courts et avec un matériau imposé. Touchons du bois !
Supprimer