vendredi 22 décembre 2023

Conte de Noël

 Et si… Dracula était chargé de remplacer le père Noël pour livrer des cadeaux


Il était une fois, en Transylvanie, le comte Dracula qui s’apprêtait à profiter pleinement de la nuit sans lune qui s’annonçait. Toujours engoncé dans son cercueil qui lui servait de couchette en journée, il déplia un bras, puis deux, et s’étira paresseusement. Il avait faim. Il devait se mettre en chasse de quelque animal bien sanguinolent. Il n’avait aucune envie d’aller jusqu’au village faire ripaille de sang frais. Il fut tiré de sa torpeur par un bruit inhabituel dans la cheminée. Il y eut d’abord un son étrange à son extrémité, un cri, un vacarme assourdissant et enfin quelques jurons.

Dracula se retrouva avec le père Noël dans son salon. Celui-ci couvert de suie de la tête aux pieds pestait contre sa maladresse. Dracula, la surprise passée, lui dit : « Tu ne pouvais pas frapper à la porte, non ? Cette satanée manie de toujours passer par la cheminée… »

Le père Noël fit un geste de la main pour couper court aux discussions :

-Je suis pressé. Noël est dans 24h et je ne peux assurer la distribution des cadeaux. Mère Noël est malade d'avoir un peu trop goûté la bûche et je dois rester à ses côtés. Il n’y a que toi qui puisse m’aider. Et comme tu es immunisé contre un peu près tout en dehors des gousses d’ail, des pieux et de la lumière du jour, je suis certain que tu ne me feras pas faux bond avec une excuse bidon.

Dracula eut un rire mauvais :

-Moi en père Noël ? Relis tes classiques, le vieux… Les enfants, je ne les gâte pas, je les vide de leur sang jeune et délicieux.

-Tu seras récompensé pour ta peine. Un an de livraison d’animaux frais à l’abattoir du coin. Toi qui rechignes à toujours faire le moindre effort, dis-toi que c’est grassement payé pour une nuit de labeur.

Dracula grommela dans sa barbe qu’il n’avait pas, histoire de, mais il avait bien compris quel était son intérêt et l’affaire fut conclue.

C’est ainsi que le comte Dracula se retrouva au pays du père Noël pour prendre les commandes de l’attelage de rennes et de la hotte immense remplie jusqu’à la gueule de cadeaux de toutes les formes. Mais le départ ne fut pas simple. Terrorisés, les lutins s’étaient carapatés et Dracula dut remplir la hotte lui-même, ce qui lui donna une raison de râler comme à son habitude. Les rennes tremblaient comme des feuilles et n’arrivaient pas à faire décoller l’attelage. Il faut dire que Dracula avait eu une fringale et que deux de leurs congénères manquaient déjà à l’appel.

Mais enfin, au bout d’un moment, le convoi lumineux s’envola, d’abord de façon quelque peu désordonnée puis plus organisée en trouvant bon gré mal gré son rythme de croisière.

La livraison des cadeaux fut assez folklorique. Si Dracula, de par sa taille fine, passait aisément dans toutes les cheminées, les salons laissés éclairés par les familles endormies l’indisposaient et il n’était pas rare qu’il balance les cadeaux du haut de la cheminée. Surtout, il détestait toutes les marques d’affection laissées à son attention : verre de lait, fruits, chocolat… Pas la moindre volaille crue, pas le moindre litre de sang, une misère… Les gens ne savent plus recevoir, pensa-t-il.

Mais le pire était à venir : vous l’avez compris, Dracula avait beau être aussi fin qu’un pied de micro, il avait tout le temps faim. Il avait trouvé une parade provisoire en délestant l’attelage de quelques rennes au fur et à mesure que la hotte se vidait de ses cadeaux mais il avait toujours la dalle !

Et ce qui était à craindre germa dans le cerveau de notre comte sanguinaire dont le naturel revenait au galop : il se dit que pour chaque cadeau livré, il pouvait peut-être prendre le sang d’un enfant en contrepartie. Les paquets seraient pour les adultes, et puis c’est tout, histoire d’atténuer leur peine.

Heureusement, le père Noël avait envoyé deux lutins pister le comte Dracula car, connaissant les antécédents de cet huluberlu, il n’avait eu qu’une confiance toute relative quant au succès de la mission. Lorsque le comte s’engouffra dans une énième cheminée, tiraillé par une faim dévorante qu’il ne pouvait contrôler et qu’il se dirigea vers la chambre d’un enfant endormi, les deux lutins s’interposèrent. Ils n’étaient évidemment pas de taille à arrêter le comte mais l’un d’eux sortit un smartphone de sa poche et le planta sous le nez de Dracula. Sur l’écran, le Père Noël était furibard.

-Non mais c’est quoi ce souk ! Et notre deal, alors ? Un an de nourriture comme salaire et tu n’es pas fichu de te faire violence pendant quelques heures ? Je suis très déçu ! Sors tes fesses de cette maison et laisse mes petits amis finir la distribution. Contente-toi de diriger l’attelage… et interdiction de te servir au passage ! Et maintenant dehors ! ! !

Dracula pestait intérieurement mais il ne pouvait pas passer à côté de la perspective d’être nourri pendant un an sans le moindre effort. Malgré les gargouillis disgracieux émanant de son estomac, il se fit violence et la suite de la nuit se passa sans incident notable malgré un rythme de livraison ralenti, un lutin descendant dans les cheminées tandis que l’autre gardait un œil pas franchement rassuré sur Dracula.

Au petit matin, les enfants avaient eu leurs cadeaux et le comte avait regagné son cercueil… La proéminence d’un petit bedon témoignait qu’il avait déjà reçu une partie de son salaire et qu’il en avait bien profité.

 

samedi 9 décembre 2023

Les Spectres de la nuit

 

Les Spectres de la Nuit est l'un des meilleurs albums de Ric Hochet. Sortie initialement en 1969, la BD d'André-Paul Duchâteau et Tibet a eu droit en 2014, grâce aux éditions Original Watts, à une version luxe de toute beauté aujourd'hui épuisée.

Les spectres de la nuit, ce sont aussi, pour moi, ceux que l'on voudrait avoir oubliés et qui reviennent vous hanter de façon violente et forcément inattendue. Me concernant, ce fut sous la forme d'un recommandé avec accusé de réception. Un courrier du Val d'Oise me rappelant que j'étais l'obligé alimentaire de mon père.

Mon père, je vais vous la faire courte. Un type infréquentable et violent, dilapidant tout ce qu'il peut des personnes qui l'entourent, recourant volontiers aux menaces de mort et autres bassesses pour obtenir ce qu'il veut. Un monstre que ma mère a fui une valise dans un bras, moi dans l'autre, lorsque j'avais 4 ans et qui l'a poussée à se réfugier à 700 km de là. Un spectre de la nuit.

Cet homme, je ne l'ai revu qu'une fois, j'avais huit ans et, à part constater qu'il cognait allègrement sur sa nouvelle compagne, une femme adorable dont je me souviendrai éternellement du prénom, Martine, je n'ai jamais vu le moindre témoignage d'affection ou de tendresse pour moi. Je n'en attendais rien, je n'avais pas été déçu.

J'ai 51 ans. Je ne l'ai donc revu qu'une fois en 47 ans. Condamné dans les années 80 pour n'avoir jamais versé de pension alimentaire (tant qu'à faire...) , ce qui ne l'a d'ailleurs pas incité davantage à prendre ses responsabilités, il n'a jamais cherché à user de son "droit" de visite. Un droit qu'il aurait fini par perdre de toute façon s'il l'avait fait valoir. 

Bref, un père qui n'a jamais rempli ses devoirs et un fils que l'on revient chercher presque 50 ans après pour lui rappeler les siens. Sait-il seulement que l'on est venu me solliciter ? Sans doute pas, je n'en sais rien. Toujours est-il que pour financer son logement actuel, le département du Val d'Oise s'est rapproché du seul obligé alimentaire qu'ils ont trouvé (et pour cause...) afin de subvenir à ses besoins. Autant dire que lorsque j'ai ouvert ce courrier, j'ai un peu eu l'impression que le ciel me tombait sur la tête.

Il a donc fallu me résoudre à faire un recours motivé. Faire un recours, c'est compliqué. Ça remue une merde pas possible, c'est la chasse aux documents à charge, c'est triturer son esprit pour écrire un courrier aussi détaillé et explicite que possible sur un passé noir rempli de blancs. C'est plonger dans les abysses. C'est aussi solliciter une mère qui n'aurait pas du avoir besoin de faire une introspection forcément douloureuse afin qu'elle appuie le courrier de son fils. C'est se demander à quoi ça sert tout ça. On a beau être confronté à quelqu'un qui n'a jamais rempli son moindre devoir de père, on est sûr que tout recours sera peine perdue.

Et puis il y a l'attente. Me concernant, elle n'a pas été, objectivement, très longue, mais elle m'a semblé une éternité. Surtout hier où une commission statuait sur mon recours. Jusqu'à la délivrance : je suis exempté de toute aide financière ou autre vis à vis de mon père. La présidente a estimé qu'aucun devoir ne pouvait m'être imposé puisque mon père n'avait rempli aucun des siens. Dans 5 ans, s'il est toujours en vie, la question de son relogement se posera à nouveau. Mais j'ai désormais l'assurance que je ne serai même pas contacté.

Que ce soit par sa présence ou ses absences, cet homme m'aura pourri la vie. Avec en point d'orgue le manque d'un vrai père que je n'aurai jamais réussi à combler, ma mère n'ayant pas refait sa vie, sa confiance en les hommes en ayant pris un sacré coup. Pas de figure masculine à rendre fier, pas de transmission de savoir-faire, pas de partage et, au bout, une impression tenace de ne pas servir à grand chose et de ne pas savoir ou pouvoir être aimé par une figure paternelle.

Depuis, j'ai fait ce deuil de ce que je n'aurai jamais. C'est plus compliqué quand je dois me retourner sur mes pas pour une introspection non désirée.

Saloperies de spectres de la nuit...