samedi 9 décembre 2023

Les Spectres de la nuit

 

Les Spectres de la Nuit est l'un des meilleurs albums de Ric Hochet. Sortie initialement en 1969, la BD d'André-Paul Duchâteau et Tibet a eu droit en 2014, grâce aux éditions Original Watts, à une version luxe de toute beauté aujourd'hui épuisée.

Les spectres de la nuit, ce sont aussi, pour moi, ceux que l'on voudrait avoir oubliés et qui reviennent vous hanter de façon violente et forcément inattendue. Me concernant, ce fut sous la forme d'un recommandé avec accusé de réception. Un courrier du Val d'Oise me rappelant que j'étais l'obligé alimentaire de mon père.

Mon père, je vais vous la faire courte. Un type infréquentable et violent, dilapidant tout ce qu'il peut des personnes qui l'entourent, recourant volontiers aux menaces de mort et autres bassesses pour obtenir ce qu'il veut. Un monstre que ma mère a fui une valise dans un bras, moi dans l'autre, lorsque j'avais 4 ans et qui l'a poussée à se réfugier à 700 km de là. Un spectre de la nuit.

Cet homme, je ne l'ai revu qu'une fois, j'avais huit ans et, à part constater qu'il cognait allègrement sur sa nouvelle compagne, une femme adorable dont je me souviendrai éternellement du prénom, Martine, je n'ai jamais vu le moindre témoignage d'affection ou de tendresse pour moi. Je n'en attendais rien, je n'avais pas été déçu.

J'ai 51 ans. Je ne l'ai donc revu qu'une fois en 47 ans. Condamné dans les années 80 pour n'avoir jamais versé de pension alimentaire (tant qu'à faire...) , ce qui ne l'a d'ailleurs pas incité davantage à prendre ses responsabilités, il n'a jamais cherché à user de son "droit" de visite. Un droit qu'il aurait fini par perdre de toute façon s'il l'avait fait valoir. 

Bref, un père qui n'a jamais rempli ses devoirs et un fils que l'on revient chercher presque 50 ans après pour lui rappeler les siens. Sait-il seulement que l'on est venu me solliciter ? Sans doute pas, je n'en sais rien. Toujours est-il que pour financer son logement actuel, le département du Val d'Oise s'est rapproché du seul obligé alimentaire qu'ils ont trouvé (et pour cause...) afin de subvenir à ses besoins. Autant dire que lorsque j'ai ouvert ce courrier, j'ai un peu eu l'impression que le ciel me tombait sur la tête.

Il a donc fallu me résoudre à faire un recours motivé. Faire un recours, c'est compliqué. Ça remue une merde pas possible, c'est la chasse aux documents à charge, c'est triturer son esprit pour écrire un courrier aussi détaillé et explicite que possible sur un passé noir rempli de blancs. C'est plonger dans les abysses. C'est aussi solliciter une mère qui n'aurait pas du avoir besoin de faire une introspection forcément douloureuse afin qu'elle appuie le courrier de son fils. C'est se demander à quoi ça sert tout ça. On a beau être confronté à quelqu'un qui n'a jamais rempli son moindre devoir de père, on est sûr que tout recours sera peine perdue.

Et puis il y a l'attente. Me concernant, elle n'a pas été, objectivement, très longue, mais elle m'a semblé une éternité. Surtout hier où une commission statuait sur mon recours. Jusqu'à la délivrance : je suis exempté de toute aide financière ou autre vis à vis de mon père. La présidente a estimé qu'aucun devoir ne pouvait m'être imposé puisque mon père n'avait rempli aucun des siens. Dans 5 ans, s'il est toujours en vie, la question de son relogement se posera à nouveau. Mais j'ai désormais l'assurance que je ne serai même pas contacté.

Que ce soit par sa présence ou ses absences, cet homme m'aura pourri la vie. Avec en point d'orgue le manque d'un vrai père que je n'aurai jamais réussi à combler, ma mère n'ayant pas refait sa vie, sa confiance en les hommes en ayant pris un sacré coup. Pas de figure masculine à rendre fier, pas de transmission de savoir-faire, pas de partage et, au bout, une impression tenace de ne pas servir à grand chose et de ne pas savoir ou pouvoir être aimé par une figure paternelle.

Depuis, j'ai fait ce deuil de ce que je n'aurai jamais. C'est plus compliqué quand je dois me retourner sur mes pas pour une introspection non désirée.

Saloperies de spectres de la nuit...

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