Toutes les oeuvres © Jean Frisano, Lug / Marvel
excepté Strange 205 © Thomas Frisano, Lug / Marvel
excepté Strange 205 © Thomas Frisano, Lug / Marvel
Lorsque Jean Frisano a mis fin à ses jours le 8 août 1987, pouvait-il seulement mesurer l'importance du vide et de l'infinie tristesse qu'il allait laisser à ceux qui lui survivraient ? Ses proches bien évidemment mais aussi toute une génération de lecteurs avides de comics et particulièrement friands des peintures du maître. Les Strange, les Spécial Strange, les Nova, les Titans... Avant de s'y plonger avec gourmandise, il y avait le passage obligé mais tellement attendu de la couverture à dévorer, comme une mise en bouche pleine de promesses avant le plat de résistance.
De ce fait, résolument, il y eut un avant et un après 8 août 1987.
Avant, ce fut la production incroyable d'un travailleur hors-pair extrêmement prolifique qui aura écumé, toujours avec talent mais sans forcément la reconnaissance qui allait avec, tous les domaines artistiques possibles, de la publicité aux affiches, en passant par les illustrations, les innombrables couvertures de petits comme de grands formats, en multipliant les univers : aventure, western, science fiction, super-héros évidemment et tant d'autres. L'histoire d'un homme discret, anxieux, passionné, solitaire, travailleur, en proie aux doutes face à un milieu qui peut se montrer aussi stimulant qu’ingrat. Un homme pour qui la disparition de sa femme Sylvia aura été l'épreuve de trop. Une vie pleine de contrastes remarquablement retracée par Philippe Fadde dans un ouvrage déjà évoqué sur ce blog et dont je reparlerai un peu plus tard.
Avant, ce furent aussi tous ces gamins, dont je fis partie, qui se ruaient chaque mois dans les maisons de la presse de leur quartier et dont les yeux s'émerveillaient dès lors qu'ils tombaient sur les revues tant convoitées. Avec ces couvertures dont on ne savait pas vraiment de qui elles étaient, à un âge où on s'en fichait tout de même un peu. C'était juste tellement beau à regarder, ces couvertures bourrées de charme. Et lorsque c'était notre personnage ou notre série préférés qui étaient mis en avant, alors là, on gardait le numéro encore plus précieusement, comme un trésor.
Après, ce fut l'incompréhension, bien entretenue à l'époque par l'hommage honteusement expédié rendu par les éditions Lug lors d'un entrefilet dans Le courrier des lecteurs de Strange. L'incompréhension de voir de nouvelles couvertures, moins belles, moins hautes en couleurs, comme un passage de témoin ou la fin d'un âge d'or. Où était donc passé le dessinateur magicien qui mettait des étoiles dans nos yeux ?
Après, ce fut bien évidemment la tristesse. D'autant que, l'âge avançant, la nostalgie faisait son oeuvre, rendant encore plus indispensable un artiste que nous savions désormais devoir conjuguer au passé. Les peintures qui nous avaient tant émerveillés prenaient alors un autre sens, comme la Madeleine de Proust d'une période certes révolue mais qu'on ne nous enlèverait jamais.
Après, ce fut la reconnaissance évidemment. Car si Jean Frisano l'eut ponctuellement de son vivant, ce n'est pas lui faire insulte, il me semble, de considérer que le regard posé sur son travail et sur son oeuvre est désormais entré dans une toute autre dimension. Les éditions Lug n'existent plus mais on continue à parler, regarder, collectionner Strange et cie.
Parce que Jean Frisano manque, les hommages se multiplient désormais comme la reconnaissance posthume d'un artisan majuscule. Louis Cance, Eric Vignolles et Gérard Thomassian ont ouvert la voie avec un ouvrage considéré pendant longtemps comme la seule bible de référence sur Jean Frisano. Un ouvrage rare car autoproduit à excessivement peu d'exemplaires, pas exempt de défauts car bricolé avec les moyens du bord vers la fin des années 90, mais un ouvrage de passionnés désireux de rendre hommage à une pointure de leur enfance et adolescence. Une vraie belle initiative.
Et puis, avec davantage de moyens, de rédacteurs, de concours de la famille Frisano (ses enfants Thomas et Sylvia), de sources iconographiques précieusement collectées de par le monde et remarquablement mises en valeur, Jean Frisano eut finalement droit en 2016 à un pavé monstrueux : Jean Frisano, une vie d'artiste, par Philippe Fadde, sorti chez Neofelis Editions. Je ne vais pas m'étendre sur les si nombreuses qualités de cet ouvrage dont j'ai à peu près tout dit ICI mais ce bouquin d'une beauté et d'une richesse absolues est indispensable.
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Merci pour cet article, son talent restera à jamais dans le cœur des fans de cet époque.
RépondreSupprimerMerci à vous pour votre commentaire ! :-) Jean Frisano parle à tellement de gens qui ont grandi avec ses oeuvres !
RépondreSupprimerExcellent article ! Vous avez tellement bien raconté la quête puis le choc visuel de la découverte de ses couvertures chez le marchand de journaux. Un Alex Ross avant Alex Ross ! Merci pour ce bel hommage.
RépondreSupprimerUn grand merci cher visiteur pour vos compliments. Ils me touchent d'autant plus que ce billet est assez ancien et que je suis toujours surpris quand, au hasard d'une recherche, on tombe dessus. Cela fait un moment que je ne l'ai pas actualisé mais votre commentaire va peut-être me donner l'envie de m'y remettre.
SupprimerTrès bel article, les couvertures de Jean Frisano sont gravées dans mon cerveau, j'apprécie toujours autant de les observer que lorsque je les ai découvertes petit garçon
RépondreSupprimerI enjoyed readinng this
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