J'espérais un retour de Laurent Gounelle mais je ne l'attendais pas. Alors lorsque mon regard se posa par le plus grand des hasards sur son nouveau roman, je compris que je ne quitterais pas la librairie sans l'avoir sous le bras.
J'avais beaucoup aimé ses deux précédents succès, L'Homme qui voulait être heureux et Dieu voyage toujours incognito. Et une nouvelle fois, hormis quelques réserves, je me suis régalé. En tout cas, en deux jours, c'était plié.
Quand on lit du Gounelle régulièrement, on est un peu en terrain connu. Mais ici, l'auteur détricote ce qui fut l'essence même de ses deux premiers ouvrages où un ensemble de réflexions et d'épreuves devait amener à un état proche du bonheur. Ou à l'idée que l'on s'en fait. Dans Le Philosophe qui n'était pas sage, il part de cette même idée du bonheur au travers d'une société dite primitive pour basculer vers le chaos le plus total et montre qu'il suffit finalement de peu de chose pour qu'un équilibre, en apparence solide, s'écroule comme un château de cartes sous l'impulsion d'influences extérieures. L'ensemble est très bien amené et la forêt apparaît tour à tour superbe, bienfaitrice, riche en couleurs, en odeurs ou carrément hostile et inquiétante, dangereuse et étouffante. L'image de la forêt évolue du tout au tout selon les perceptions de chacun. Bienveillante pour les indigènes qui ont l'impression de fusionner avec la nature, effrayante pour Sandro et son équipe qui n'en voient que les mille et un dangers et qui envahissent l'espace plus qu'ils ne le protègent.
Sandro, justement, est le personnage principal. Il se rend au coeur de la forêt amazonienne pour se venger de la mort de sa femme dont les circonstances restent longtemps un peu floues. Et comme ce meurtre n'est qu'un prétexte, on a du mal à s'y intéresser. Mais justement, l'intérêt est ailleurs. Il réside dans tout ce que Sandro va mettre en oeuvre pour déstabiliser dans un premier temps un peuple d'indigènes pacifiques. Ensuite, de Charybde en Scylla, la situation va s'envenimer toujours davantage, mais je ne vous dirai pas jusqu'où, histoire de na pas gâcher le plaisir d'une lecture très plaisante de bout en bout. Mais qui fait froid dans le dos, avec notamment retour de manivelle du plus bel effet.
Concernant les réserves, elles sont peu nombreuses. Hormis l'histoire un peu prétexte (à une philosophie de vie dans ce qu'elle a de pire et de meilleur selon les individus et qui constitue l'essence même de l'ouvrage), Laurent Gounelle retombe dans un travers un peu récurrent chez lui : si Sandro enseigne la philosophie et dispose à ce titre d'un langage adapté à cet enseignement, on est un peu plus sceptique de voir d'autres personnages rapporter le même discours dans les mêmes termes. C'est flagrant sur le personnage de Krakus, l'un des quatre accompagnateurs de Sandro au coeur de l'Amazonie qui, un jour où il rapporte les propos tenus par son "patron", le fait dans les mêmes termes, ce que sa culture et sa rusticité ne lui permettraient assurément pas puisqu'il ne tire son intelligence que de la manipulation et l'autorité qu'il exerce sur les autres. Autre petit écueil, plus pour chipoter certes, mais tellement inutile que je ne résiste pas à l'envie de vous en parler néanmoins. A un moment, l'un des personnages se demande quelle est la différence entre détruire quelqu'un physiquement et psychologiquement. Un autre lui répond, concernant la destruction psychologique : "Ça défonce l'intérieur sans laisser de trace à l'extérieur". Ce à quoi le premier rétorque bien évidemment : "Ben, quand je force une fille, c'est pareil, non ?". Non seulement, à mon sens, la réplique est prévisible en plus d'être inélégante (les accompagnateurs de Sandro sont loin d'être des lumières ou des modèles de vertu) mais en plus il y a cette impression tenace que Gounelle n'a écrit la première réplique que pour introduire la seconde à moins que ce ne soit précisément l'inverse, mais dans les deux cas, quel intérêt ? Je ne suis pas bégueule mais ce type de propos "gratuits" me gêne car ils n'apportent rien, d'autant que l'on comprend très vite que les types en question sont lourdauds et plutôt ignares. Alors pourquoi faire dans la surenchère, aussi prévisible soit-elle ?
Pour le reste, franchement, vous pouvez foncer. Le dépaysement est garanti, la lecture extrêmement agréable mais également très drôle en certaines occasions. C'est tout le paradoxe de ce livre : désamorcer la noirceur sous-jacente de ce que nos sociétés peuvent apporter de pire par de l'humour bienvenu. Le mélange, savamment orchestré, rend Le Philosophe qui n'était pas sage incontournable.
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