-Tu es affreusement pâle
aujourd’hui.
Il se pinça aussitôt les
lèvres regrettant ses mots. Elle eut un regard bienveillant et lui sourit
-Ne sois pas désolé. Nous
savions tous les deux que cela pouvait arriver. Il n’est pas très bien en ce
moment. Alors qu’elle tient la grande forme visiblement, je suis tellement
contente pour toi !
Il sentit les larmes lui
monter aux yeux tandis qu’il glissait une main vers son ventre rond.
-Tu le sens parfois bouger
malgré tout ? Ou bien…
-Des couleurs chaudes lui
feraient le plus grand bien, répondit-elle en esquissant un sourire. Allons
vers chez toi, ce sera mieux pour lui et plus sûr pour toi, on ne sait jamais.
Ils marchèrent un long moment,
quittant progressivement la grisaille de la zone où vivait Dorothy pour le
secteur riche en couleurs vives de Tom. Son espace n’était que maisons aux teintes
chatoyantes, verdure luxuriante et soleil toujours haut dans un ciel clairsemé
de nuages cotonneux. On y croisait des animaux en pagaille et des gens affables
et souriants. Dorothy n’avait rien de tout cela chez elle. Il y avait un temps,
pourtant, où elle avait connu tout ça ou presque. Avant que la situation ne se
dégrade. Et la sienne par la même occasion.
-Tu crois que je vais
mourir ? demanda-t-elle d’une voix à peine perceptible tandis qu’elle
tentait d’étouffer les sanglots qui l’étreignaient soudain.
Tom resta silencieux un
moment. Ici plus qu’ailleurs, tout était toujours possible. Mais les ténèbres
prenaient de plus en plus de place et contre ça, il n’y avait rien à faire.
L’un comme l’autre n’était pas maître de son destin. Il lui prit la main.
-Je ne sais pas. Mais je veux
croire. En un cheminement qui lui permettra de voir le bout du tunnel. En un
moral retrouvé qui redistribuerait complètement les cartes. Pour lui. Pour toi.
Pour nous. Je t’aime, tu le sais ça ?
Elle laissa échapper un
délicieux rire cristallin.
-Bien sûr que je le sais. Je
vais déjà tellement mieux quand tu es là et…
Elle s’interrompit et grimaça.
-Ton fils se manifeste… Si au
moins je pouvais juste avoir le temps de…
Tom la coupa.
-Je t’interdis de parler comme
ça. Les choses vont s’arranger. Elles doivent s’arranger. Et ce bébé à naître,
nous l’élèverons ensemble. Peu importe le temps que nous aurons.
-C’est trop tard, murmura
Dorothy dont le regard semblait se perdre au loin. Elle fixait en fait son
quartier dont les murs, sol et ciel gris viraient désormais au noir. C’est la
fin pour moi… Il n’y a plus rien après le noir.
Tom la regarda, frissonna puis la serra
fort tout contre lui. Il tentait de retarder l’échéance inéluctable en
l’irradiant de sa lumière, de l’éclat de ses couleurs mais le teint déjà grisâtre de
Dorothy s’assombrit en même temps que les immeubles au loin. Elle ne fut
bientôt qu’une silhouette noire jurant violemment avec les teintes pastel
environnantes. Ses larmes noir de jais coulèrent enfin comme un adieu sans que
Tom ne puisse seulement les distinguer. Les ténèbres étaient en train
d’engloutir Dorothy, gommant les traits de son visage. La jeune femme se
liquéfia presque instantanément dans les bras tremblants de Tom et ne fut
bientôt plus qu’une grosse flaque à ses pieds. Elle s’infiltra progressivement
dans le sol jusqu’à disparaître. Tom étreignait désormais de l’air. Le quartier
où il avait connu Dorothy quelque temps plus tôt avait laissé place à une vaste
étendue blanchâtre complètement vide.
Tout s’était passé en une
poignée de secondes. Tom n’avait même pas pu lui dire au-revoir.
Lorsque Dorothy avait disparu,
il avait ressenti en lui un bref sentiment de fraîcheur malgré la chaleur de
ses propres couleurs, comme une ampoule qui aurait subi une légère baisse de
tension. Mais ça n’avait pas duré. Et quelque part, il en était éperdument
soulagé.
Car les couleurs étaient la
vie. Du moins celle qu’il connaissait.
A suivre…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire