vendredi 26 mai 2017

Mana Neyestani, l’œil du dessinateur de presse


Toutes les illustrations issues de Tout va bien
© Mana Neyestani
© Arte Editions
© Ça et Là Editions

Il y a encore deux semaines, j'ignorais tout de Mana Neyestani, ce dessinateur de presse iranien qui finit emprisonné par le régime de son pays avant de fuir l'Iran pour la Malaisie puis la France. A ce titre, je ne saurais trop vous conseiller l'excellent article du Monde signé Hamdam Mostafavi qui retrace le parcours hors-norme de Mana Neyestani.

A l'occasion du festival Printemps au Proche Orient 2017, une exposition et une conférence en présence de l'artiste furent organisées sur Périgueux. Il ne m'a pas été possible de m'y rendre, je l'ai bien regretté, encore plus maintenant que j'ai parcouru ce pavé de 400 pages et de 200 dessins, mais ma librairie attitrée, Les Bullivores, avait profité de l'occasion pour mettre en avant ses ouvrages, bien en vue près de l'entrée. Du coup, je me suis procuré Tout va bien et c'est peu de dire que j'ai pris une claque. Neyestani a non seulement un coup de crayon prodigieux au service d'un humour noir et d'un sens de l'observation peu communs, mais il a surtout un talent phénoménal pour trouver le dessin qui appuie là où ça fait mal, là où ça remue, là où impuissance et nausée se mêlent. Malheureusement, Mana Neyestani ne sait que trop bien de quoi il parle et ses œuvres en quête de liberté, d'égalité, d'espoir ont forcément un écho particulier lié à son vécu. Tout ce qu'il pointe du doigt est choquant pour tous ceux qui, comme moi, n'ont pas connu de régime totalitaire alors je ne peux même pas imaginer la souffrance que ce doit être de coucher des dessins autant en prise avec sa propre existence ou celle de ses compatriotes, bien au delà du seul cadre de l'Iran d'ailleurs puisque cet ouvrage est une diatribe illustrée contre l'oppression d'où qu'elle émane.

J'ai sélectionné quelques-uns des dessins de presse de Mana Neyestani, j'aurais pu en choisir tellement d'autres tant ils ont tous sans exception une charge émotionnelle et historique forte. Cet ouvrage rappelle aussi, si cela était encore nécessaire, que réfugiés et migrants sont avant tout des hommes et des femmes déracinés luttant pour leur vie et en aucun cas des envahisseurs ou des profiteurs. Un peu de liberté, est-ce trop demander quand on a tout perdu ?
Il va de soi que je recommande hautement ce recueil. Après, chacun fait comme il l'entend. Mais bon.

La Syrie fait peu de cas du sang versé. Le dictateur Bachar El-Assad revient souvent dans l'ouvrage. L'image est terrible mais tout est dit. Effrayant tout autant que remarquable.

La perte de l'enfance, ou la difficulté de la préserver, souvent avec de la maltraitance en toile de fond, est un thème récurrent chez Neyestani. Là-encore, je suis bluffé par sa capacité à illustrer une réalité aussi monstrueuse avec une telle efficacité. C'est terrible et tellement bien vu.

Difficile de garder une part d'innocence dans un pays d'oppression régi par les armes.

L'art de se donner bonne conscience... Ce dessin est terrible mais il résume bien ce que le monde est devenu... Plus désabusé et cynique, pas possible... mais tellement juste.

Avec les remous provoqués par le canular d'un pourri du PAF que je n'ai même pas envie de citer tellement il me fait vomir, ce dessin prend une dimension encore plus particulière. Pas besoin d'aller en Iran ou en Syrie... Même dans les pays dits civilisés et démocratiques, des fous sont lâchés et font du dégât.

Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir pour des lendemains qui chantent. Si au moins, une fois le soleil noir couché, il pouvait y avoir une accalmie...

Franchement, je me répète mais... comment Mana Neyestani fait-il pour avoir cet "œil" ? Ou comment détourner des mots pacifiques en dessein militaire...

Ne le dites surtout pas avec des fleurs. Ou l'incapacité de convaincre de l'aberration de sans cesse se combattre.

L'enfance perdue toujours, ou condamnée. Il y a quelque chose d'inexorable dans ce dessin, de perdu d'avance. La manipulation de l'innocence d'un enfant incapable de se défendre.

Vous reprendrez bien encore un peu de soleil ?

Après la prison, point d'issue ? Comment vivre dehors quand on a passé tant de temps dedans ?

Neyestani a signé ce dessin à l'occasion de la Journée Internationale de la femme. Des personnages bonhommes, une approche humoristique voire légère... mais pas de souci, le message passe et est d'une limpidité absolue.


Dans l'ouvrage, la page de gauche donne le titre du dessin de la page de droite. Parfois des précisions contextuelles sont rajoutées et ici ces explications rendent ce dessin extrêmement émouvant. Si ce soldat pouvait se laisser attendrir... Un enfant ne voit pas le mal partout, et surtout pas là où il se trouve. Mais laissez-moi rêver...

Les couleurs sont rares dans les dessins de presse de Neyestani mais toujours utilisées avec parcimonie et à bon escient. Derrière la lumière apparente, la réalité se rappelle à nous, implacable.

Avoir au moins l'illusion d'être heureux, juste un peu. Même si, pour cette famille comme des milliers d'autres, le nœud de l'oppression se resserre déjà.

La relève n'est visiblement pas assurée. Vue du militaire, c'est assez réjouissant. Et avec un angle d'attaque original, comme toujours.

Éclaircie en trompe l’œil 

Quand les adultes ferment toutes les portes aux enfants. 

J'adore celle-ci. Mana Neyestani, c'est aussi une poésie immense ! Superbe bulle d'air qui fait du bien ! 

Les enfants innocents d'aujourd'hui, les libérateurs de demain ? Neyestani manie aussi l'optimisme. Pas souvent car la situation ne s'y prête que rarement et il est avant tout un observateur lucide de son temps. Mais quand ça arrive, ça fait du bien ! 

Un problème, une solution ? En tout cas l'équation semble équilibrée. Restent les chaînes...
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Les dessins  de mana Neyestani rappellent quand même beaucoup le trait du regretté Claude Serre. Si l'humour de ce dernier était moins engagé et plus porté vers l'absurde, la noirceur était aussi de mise. Et Serre avait aussi cet "œil" qui rendait ses œuvres d'une pertinence absolue. Et quel talent de dessinateur ! Je ne possède qu'un seul de ses ouvrages, Serre... Vice compris, mais je vais combler prochainement cette lacune, bien que je pense avoir lu l'essentiel de sa production. 




Si le dessin de Neyestani me semble proche de celui de Claude Serre, difficile également de ne pas rapprocher l'auteur iranien de Franquin et de ses idées noires. Plus que l'utilisation exclusive du noir, ce sont surtout les thèmes abordés par le génial dessinateur belge qui me font émettre ce parallèle : les injustices sociales, l'oppression, la guerre et une sainte horreur des militaires... Les deux artistes ont beaucoup en commun de par le regard qu'ils portent sur une société à la dérive, malgré deux vécus forcément incomparables. Neyestani est plus un témoin et observateur quand Franquin n'est "qu'un" observateur. Il n'empêche que les deux œuvres sont remarquables.





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