mardi 1 novembre 2016

En trompe l'oeil (16)


Je ne prends jamais d’auto-stoppeurs. C'est un principe, peut-être de vieux con, mais c'est un principe : je ne prends jamais d'auto-stoppeurs. On ne sait jamais sur quoi on peut tomber. C'est vrai quoi, ils ont bon dos, l'altruisme, l’entraide, le "et toi, tu voudrais qu'on te laisse en rade ?" et j'en passe. Moi, je ne veux pas partager ma zone de confort avec un parfait inconnu et j'assume ! Ben oui, ma caisse, c'est ma zone de confort, j'y suis bien, j'y tolère ma femme à condition qu'elle ne la ramène pas trop mais je garde le contrôle. J'aime le bordel qui y règne, la saleté de la carrosserie parce que, oui, je ne sais pas utiliser les foutus jetons des stations de lavage et je vous emmerde, le silence seulement couvert par le souffle de la climatisation et par la douceur de mes mélodieuses insultes envers mes congénères automobilistes inadaptés, les trajets baignés de solitude... En substance, j'aime ma caisse aussi proportionnellement que je conchie les auto-stoppeurs.

Je devais être en mode brouillard intense lorsque, pour une raison que je ne m'explique toujours pas, j'ai accepté de conduire cette nana jusqu'à Lyon.  Depuis quand un pouce levé, ça me fait de l'effet, à moi ? Il s'est passé quoi l'espace de cet instant où le "Tu peux rêver, chérie" que je m’apprêtais à siffler entre mes dents s'est mué en "Allez, c'est bon, montez !" ?

Sauf qu'il y a une chose que je supporte encore moins qu'un auto-stoppeur en bord de route, ce sont les pieds. J'ai une sainte horreur des pieds, je trouve ça d'une laideur sans nom, ça marche toute la journée, ça cloque, ça pue, ça garde la crasse entre ses petits orteils musclés, ça panarise au moindre bout d'ongle ou de peau arraché. Visuellement, c'est moche, même avec les extrémités peinturlurées. Et là, la nana, à peine cinq minutes après qu'elle ait pris ses aises, elle me les exhibe, là, comme ça, sans prévenir ou demander la permission. Elle me dégueulasse une partie du tableau de bord et du rétroviseur droit. Elle s'étale et elle est contente. Ses pieds dégueulent dans ma voiture, alors que ses seins toujours pas, et elle est contente. 

Elle me parle de tout comme de rien mais je n'écoute pas. Je ne vois que ses pieds. Beaucoup ses pieds et un peu la route quand même. Elle est peut-être canon, la donzelle, pas trop eu le temps de mater, mais putain, qu'est-ce que je hais ses pieds ! Dans MA voiture en plus ! 

J'ai joué progressivement sur les rapports jusqu'à caler. Ma panne improvisée était plus grosse qu'un immeuble de quinze étages, personne de sensé n'y aurait crû mais elle n'y a vu que du feu. J'ai attendu patiemment qu'un autre automobiliste fasse la même connerie que moi et prenne la relève mais je n'eus pas à attendre longtemps. En quelques secondes, elle et ses panards disparurent de mon champ de vision et je ressentis alors un énorme soulagement.

Je ne prendrai plus jamais d'auto-stoppeurs ! 

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