mardi 8 janvier 2013

Sarah




Chapitre 1

Sarah monta l’escalier en serrant un peu plus son ourson en peluche contre elle. L’escalier lui avait toujours fait peur, surtout depuis que l’ampoule avait grillé et qu’il baignait dans l’obscurité. Mais tout en haut, il y avait sa chambre, le seul endroit où elle se sente à peu près en sécurité dans la maison.

L’escalier lui faisait surtout peur lorsqu’il grinçait sous le poids de son père, les soirs où celui-ci montait les marches pour lui mettre une raclée. Ils n’étaient pas nombreux les soirs où les marches ne grinçaient pas.

Sarah arriva en haut de l’escalier et relâcha, un peu, son étreinte sur la peluche. Elle pénétra dans sa chambre et donna un tour de clé comme elle en avait pris l’habitude. Bien sûr, cela ne la protégeait en rien des foudres de son père mais elle avait ainsi l’impression de se couper un peu du reste de la maison. De se couper de tout ce qui lui faisait peur.

Sarah s’allongea sur son lit et porta l’ourson contre sa joue. Elle tremblait. Comme tous les soirs à la même heure, quand elle se demandait si elle avait bien tout fait correctement. Son père allait bientôt rentrer et tout devait être parfait. Peut-être alors se contenterait-il de manger et de s’endormir sur le canapé, cuvant le vin de la journée. Peut-être ne penserait-il même pas à elle. Cela s’était déjà produit. Mais si rarement.

Sarah n’aimait pas le silence. Elle n’aimait pas cette maison qui lui faisait peur. Elle n’aimait pas la pénombre. Ni la nuit. Surtout, elle n’aimait pas les bruits de pas dans l’escalier. Elle avait l’impression de les entendre même quand la maison était vide.

Sarah repensa à tout ce qu’elle avait fait depuis qu’elle était rentrée de l’école. Elle avait tout nettoyé dans le salon et la cuisine, avait mis la table, préparé le repas, fait ses devoirs. Elle avait a priori pensé à tout. Mais parfois penser à tout ne suffisait pas.

La fillette sursauta soudain. Elle connaissait ce bruit par cœur. Les crissements de pneus sur les gravillons de la cour. Le moteur que l’on coupe. La portière que l’on claque. Ce n’était jamais très bon signe la portière que l’on claque. Puis le bruit de la clé dans la serrure. Le silence de la porte qui ne s’ouvre pas. Les hurlements de son père pestant sur cette serrure récalcitrante. A nouveau, les bruits de clés dans cette foutue serrure. Plus insistants. Le grincement de la porte d’entrée qui s’ouvre sous le poids d’un homme qui tient à peine debout. Le vacarme de la porte qui se referme violemment. L’homme qui hurle un prénom. Sarah. SARAH.

L’enfant tressaillit, comprenant ce que cela signifiait. Il ne s’était même pas rendu dans le salon, encore moins dans la cuisine. Il était sur le seuil et, déjà, il hurlait son nom. Et visiblement, il n’était pas disposé à attendre.

Sarah détestait la nuit et ses ténèbres mais en ce moment précis elle aurait souhaité qu’elles l’enveloppent toute entière comme une cape d’invisibilité. Mais mes souhaits ne sont pas faits pour être entendus, pensa t-elle alors qu’elle sentait les larmes lui monter aux yeux. Elle déverrouilla la porte et sortit de la chambre. Son père hurlait toujours son nom. Du haut de l’escalier, elle le vit, malgré la pénombre et cette fois, les larmes coulèrent. Elle avait vu juste, du haut de ses 7 ans et demi. Son père s’était battu et son visage était en sang. Il était affalé sur le sol, criant son nom sans relâche. SARAH, SARAH.

Jamais l’escalier n’avait semblé si abrupt à Sarah. Elle en avait d’autant plus peur que c’était tout ce qui la séparait encore de son père. De son poing. De ses cris. De ses coups. Elle descendit lentement, marche après marche, tandis que l’homme la regarda enfin. Un regard mauvais empli de haine. De violence qui ne demandait qu’à exploser.

Sarah était arrivée en bas des escaliers et elle s’avança vers lui. Le visage de la fillette avait perdu toute expressivité. Même les larmes semblaient avoir séché sur ses joues. Elle regardait, mais sans vraiment le voir, le monstre qui lui faisait face. Elle savait ce qui allait se passer. Elle allait le laisser faire. Elle finirait bien par remonter dans sa chambre. C’était ça le plus important. Retrouver sa chambre. Son ourson. Son livre des rêves. Et son amie qui ne tarderait plus.

L’homme lui saisit le poignet. Sarah sentit une forte pression mais ne broncha pas.
-Tu en as mis du temps ! Tu n’entends pas quand on t’appelle ? Hurla t-il. Tu vois dans quel état je suis ? Bouge-toi bordel ! Aide moi à me lever jusqu’au canapé !
Sarah eût du mal à se maintenir debout lorsque le poids de son père sembla s’affaisser sur elle. Elle mit son bras autour de son épaule et le traîna tant bien que mal vers le salon. Au moins était-il encore conscient cette fois-ci, ce n’était pas toujours le cas. Elle serra les dents, tentant de résister au dégoût provoqué par le souffle alcoolisé de son père et par la puanteur de sa sueur. Sans oublier le sang qui suintait sur ses vêtements.

Au bout de quelques minutes qui lui parurent des heures, elle parvint enfin à allonger tant bien que mal l’homme sur le canapé. Elle jeta un regard en arrière et vit la traînée de sang que son père avait laissé dans son sillage. Elle détourna son regard et observa l’homme qui la fixait, respirant de plus en plus fort et de façon très saccadée. Il était visiblement à bout de souffle.
-Tu aimerais bien que je crève, hein ? Ce serait le pied pour toi ! Grimaça t-il. Tu n’es bonne qu’à te plaindre. Comme si la vie m’avait gâtée, moi ! Avec une pleurnicheuse accrochée à mes basques… Mais je vais m’accrocher moi aussi, va ! On n’en a pas encore fini tous les deux !

Sarah fixait son père. Cela faisait bien longtemps qu’elle ne détournait plus son regard quand il lui criait dessus. Elle savait qu’elle allait y passer de toute façon. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne reprenne des forces. Et là, il s’acharnerait sur elle. Forcément. Il venait de se prendre une raclée. Il fallait bien qu’il se défoule à son tour. C’était si facile. Tellement commode. Mais la fillette ne pensait qu’à une chose : le moment où elle retrouverait enfin sa chambre. Il n’y avait que ça qui comptait. Retrouver sa chambre. Tant pis pour le reste. Tant pis pour les coups.

L’homme avait de plus en plus de mal à respirer. Pour la première fois, Sarah eut l’impression qu’il paniquait. Il avait le regard affolé de ceux qui ne maîtrisent plus rien. Bordel, pensa t-il, je n’ai pris que quelques coups. Pourquoi est-ce si difficile alors ?
-Va me chercher de l’eau et des compresses dans la boite à pharmacie, grouille-toi ! Murmura t-il à Sarah.
La fillette l’observa. C’était la première fois qu’elle l’entendait murmurer. Bien sûr, elle ne se faisait aucune illusion. Il ne pouvait pas faire autrement, voilà tout. Mais c’était quand même une drôle sensation pour une enfant qui n’avait toute sa vie connu que les cris et les insultes comme seuls moyens d’expression.

Sarah se dirigea vers l’évier de la cuisine et remplit un bol d’eau fraîche. Puis elle prit un tabouret et ouvrit la porte supérieure du buffet. Tout au fond se trouvait la trousse de secours.
Elle en sortit un rouleau de gaze à peine entamé et quitta la cuisine avec les compresses et les ciseaux dans une main et le bol dans l’autre.

Elle posa le tout sur la table basse devant le canapé et se retourna. Son père s’était endormi. Elle trouvait étrange que l’on puisse s’endormir les yeux ouverts mais elle était surtout soulagée qu’il ne lui crie plus dessus. Elle coupa un bout de gaze qu’elle plongea dans l’eau et entreprit de nettoyer les traces de sang sur le visage de son père. Elle le fit avec une infinie application, un timide sourire éclairant son visage. Ils étaient si rares ces moments là. Pour tout dire, elle ne se souvenait pas avoir déjà ressenti ça. Une sorte de paix fragile. Pas de cris, pas de coups. Une lumière dans la nuit.

Sarah savait que les choses seraient tout autre quand il se réveillerait. Mais peut-être aurait-il faim. Ou bien serait-il fatigué. Peut-être ne penserait-il pas à la frapper ce soir. Elle pourrait alors retrouver sa chambre. L’endroit où elle était bien. L’endroit où il se passait tant de jolies choses.


Chapitre 2

Sarah avait rencontré son amie près de deux ans plus tôt. Elle s’en rappelait comme si c’était hier et pas simplement parce que son père l’avait ignorée ce soir là.
Elle était dans sa chambre depuis une paire d’heures, allongée sur son lit, les yeux rivés au plafond. Seule la lumière de la lune baignait la pièce depuis la fenêtre ouverte. Il faut dire qu’il faisait étonnamment très chaud en ce mois de mai.
Sarah essayait de ne pas s’endormir. Chaque nuit, elle priait pour ne pas s’endormir. Rester éveillée coûte que coûte. Sinon, ce serait encore les cauchemars. Ceux qui lui donnent l’impression d’être éveillée. Ceux qui font que les nuits ressemblent aux jours. Car rares étaient les nuits où son père ne la hantait pas. Les autres enfants rêvaient. Mais pas Sarah. Elle ne savait pas. Les rêves, ce n’était pas pour elle. Elle n’en faisait jamais. Les cauchemars prenaient trop de place.

Sarah était donc là, allongée, luttant pour garder les yeux ouverts. Ne tenant plus, elle se leva et se mit à la fenêtre. Une brise légère caressa son visage fatigué. Mais même debout, même avec la meilleure volonté du monde, Sarah sût qu’elle ne résisterait plus longtemps, tant elle tombait de fatigue.

Du coup, lorsqu’une lumière verte passa devant ses yeux, elle n’y prêta pas attention. Elle avait la vue tellement embrumée de toute façon. Alors une lumière de plus ou de moins, qu’elle soit verte ou d’une autre couleur…
Mais lorsque la lumière se mit à parler, Sarah retrouva toute son attention. Une voix de femme ou d’enfant, elle ne savait pas trop. Mais une voix enjouée et douce.
-Alors ma jolie Sarah, tu ne dors toujours pas ?
La fillette écarquilla les yeux et vit la luciole à quelques centimètres de son visage. Elle tendit instinctivement son bras et l’insecte luisant se posa au creux de la paume de sa main.
-Merci ma chérie, c’est vrai que j’ai un peu de mal à voler à une telle altitude. Je me suis dit que tu avais besoin d’un peu de compagnie, n’ai-je pas raison ?
Sarah sourit mais d’un sourire timide. Elle aurait dû être surprise qu’une luciole puisse parler mais elle pensait surtout à son père qui dormait au rez-de-chaussée. Elle savait ce qui se passerait si elle le réveillait. S’il l’entendait parler toute seule dans sa chambre. Comme une folle.

Mais parce que personne ne lui rendait jamais visite, et encore moins la nuit lorsque les ténèbres enveloppent la maison, elle fit tout de même entrer la luciole qu’elle posa sur le drap de son lit (Il y avait bien longtemps qu’elle en avait ôté l’édredon bleu tant il faisait chaud ce soir).
-Tu peux rester ici cette nuit si tu veux, murmura Sarah, mais il te faudra parler doucement car mon papa est en bas. Et il ne sera pas content si nous le réveillons. Pas content du tout.
-Ne t’inquiète pas ma puce, je parlerai tout bas. Dis moi plutôt ce qu’une petite fille de ton âge fait encore debout à cette heure.
Le visage de Sarah s’assombrit légèrement et la luciole sembla le percevoir immédiatement.
-Je… je ne veux pas m’endormir. Je pense trop à de vilaines choses quand je dors. Parfois, c’est pire que d’être réveillée.

Sarah s’allongea sur le ventre, son visage entre ses mains, à quelques centimètres seulement du ver luisant. Son visage était triste mais la curiosité prenait enfin le dessus. On ne rencontre tout de même pas une luciole tous les jours. Surtout une qui parle.
-Mais tu ne fais jamais de jolis rêves, avec de belles histoires ? demanda l’insecte dans un murmure, d’une voix de plus en plus douce.
-Non, répondit Sarah. Je sais que mes copines en font. Parfois, elles se les racontent à l’école. Mais moi, ça ne m’arrive jamais. Dès que je ferme les yeux, tout devient noir. Alors je garde les yeux ouverts. Mais la maîtresse n’aime pas trop me voir dormir en classe, ajouta la fillette dans un sanglot à peine étouffé.
-Dis-moi ma puce… Ce serait tout de même plus agréable si tu pouvais passer de belles nuits, non ? Plutôt que de rester éveillée la nuit et de dormir le jour à l’école.
Sarah rougit et acquiesça bien évidemment. Elle ne se rappelait plus de la dernière nuit « normale » qu’elle ait passé, ni même si cela lui était déjà arrivé. Mais elle serait tellement contente de pouvoir rêver comme les autres enfants de son âge, c’est sûr ! De pouvoir dormir sans crainte. Sans peur du noir. Ou des marches qui grincent.

Il se passa alors une chose étrange. La lumière verte qui enveloppait la luciole sembla grossir, jusqu’à progressivement s’étendre dans toute la pièce. Sarah ne distingua bientôt plus rien d’autre dans la chambre que cette lumière aveuglante. Elle se protégea les yeux en levant son bras gauche tout en essayant de les garder ouverts pour tenter de distinguer quelque chose. La lumière verte semblait l’envelopper, l’engloutir même. Puis il y eut un bruit, un peu comme une décharge électrique et tout redevint normal.

Sarah plissa les yeux. La chambre avait retrouvé son aspect habituel, seulement baignée par la lumière de la nuit et des étoiles. Sa nouvelle amie la luciole était toujours sur le drap mais elle ne brillait plus. Elle était surtout devenue silencieuse, ce qui inquiéta Sarah.
-Ca va ? demanda la fillette qui ne savait pas trop comment se comporter, tant elle trouvait déjà surréaliste de s’adresser ainsi à un insecte.
Pas un insecte, murmura une voix dans sa tête. Ton amie. Ta nouvelle amie. Celle qui veut faire de tes nuits des nuits douces.
-Oui, ça va ma puce, je te remercie, répondit la luciole au bout d’un long moment. C’est juste que je suis épuisée mais ma lumière devrait vite revenir. C’est que… ça fait bien longtemps que je n’avais plus fait quelque chose d’aussi fatiguant. Ca n’a l’air de rien comme ça mais ça décharge mes batteries en un rien de temps. Mais enfin, nous y sommes et c’est le principal ma petite Sarah !

L’enfant ne comprit pas de suite mais lorsque l’insecte tourna la tête de trois-quarts et que Sarah suivit son regard, elle vit ce qui avait échappé à son attention. Sur le petit bureau où étaient entreposés ses cahiers et autres affaires de classe, il y avait à présent, bien au centre, un épais livre rehaussé d’une reliure dorée du plus bel effet.
-Pfou ! Je n’en pondrais pas un comme ça tous les jours, soupira la luciole qui semblait déjà retrouver un peu de sa lumière verte. Vas-y, c’est pour toi ma puce.
Sarah se leva tout doucement et le ver luisant ne put s’empêcher de penser que décidément la pauvre petite était terrorisée par son père. Elle ne voulait surtout pas risquer de faire grincer le plancher. Parce que sinon ce seraient alors peut-être les marches de l’escalier qui grinceraient à leur tour.
Elle se tenait à présent devant son bureau et regardait l’ouvrage avec émerveillement, éblouie par l’aspect doré de la reliure. Elle ne se rappelait pas avoir déjà vu quelque chose d’aussi beau. Du coup, elle n’osait même pas le toucher. Et puis, c’était un cadeau de son amie la luciole. Une amie et un cadeau pour elle toute seule dans la même nuit. L’un était aussi rare que l’autre dans la vie de la petite Sarah.
-Vas-y, prends-le, insista la luciole de sa voix douce. Amène-le ici, je dois te dire deux ou trois choses sur ce livre.

Sarah souleva enfin l’épais volume et le serra dans ses bras comme un précieux trésor dont elle ne voudrait pas être dessaisie. Elle revint vers le lit, tout aussi précautionneusement qu’à l’aller, et s’allongea près de son amie qui avait retrouvé toute la chaleur de sa lumière verte.
-Tu as entre tes mains ce que l’on appelle le livre des rêves. Le soir, lorsque tu auras peur de t’endormir, peur des ténèbres et des cauchemars, il te suffira de l’ouvrir. Une page chaque soir avant de t’endormir. Pas davantage. Et je te promets qu’après ça, tu dormiras comme un bébé et que tu seras en pleine forme pour aller à l’école. Bien entendu, c’est notre petit secret à toutes les deux, personne d’autre ne doit savoir, et surtout pas tes petits camarades de classe, c’est d’accord ma puce ?

Sarah regardait le livre avec gourmandise et un beau sourire illumina son visage. Elle n’était pas sûre de tout comprendre, d’ailleurs elle était trop petite pour ça, mais elle avait retenu une chose, une chose essentielle : elle dormirait enfin et ne ferait plus de cauchemars. C’était ce que son amie lui avait dit. C’était donc vrai, elle en était persuadée. Une amie ne dirait pas de mensonges.
-Bien évidemment, continua la luciole, tu peux tout à fait parler à tes copines des rêves que tu auras faits dans la nuit. Mais pas un mot sur le livre des rêves surtout. Personne ne doit en entendre parler et personne d’autre que toi ne doit le voir. Sinon il disparaîtra et je ne pourrai pas empêcher les cauchemars de revenir.
Sarah avait resserré son étreinte sur le précieux livre mais ne quittait plus la luciole des yeux, tant elle était contente. Elle ne savait pas trop comment ça allait se passer, les rêves, tout ça, mais elle était heureuse. Quelle belle nuit !
-Bon, il est tard ma chérie, soupira son amie. Je repasserai te voir demain et tu me raconteras comment se sera passée ta nuit, d’accord ? Mais là, je dois y aller, il est déjà bien tard. Et rappelle-toi bien : une seule page par nuit, c’est bien suffisant pour avoir son lot de rêves !
Allez, au lit à présent !

La luciole voleta jusqu’au rebord de la fenêtre ouverte et Sarah s’allongea dans son lit et remonta le drap. Puis elle reprit le livre des rêves entre ses mains et offrit un sourire franc et lumineux à sa nouvelle amie.
-Merci ver luisant ! Merci pour tout ! Fais bien attention à toi en rentrant surtout !
-Ne t’inquiète pas, ma chérie ! Et puis la nuit, c’est là que tout commence pour moi qui dors le jour, alors j’ai l’habitude ! Allez, j’y vais ! Je te fais de gros bisous. Dors bien !
Sarah lui répondit par un smack sonore tellement bruyant qu’elle ne put s’empêcher craintivement de dresser l’oreille mais la maison était décidément bien silencieuse. La luciole s’envola et sa lumière verte sembla prendre l’aspect d’une traînée de poudre dans le sillage de l’insecte.

L’enfant était bien réveillée à présent. Elle se sentait excitée mais n’osait pas ouvrir le livre qu’elle regardait comme une bête curieuse. Est-ce que tous ses problèmes pouvaient se régler si simplement ? Juste en ouvrant un livre ?
Au bout de quelques minutes, elle le fit enfin. Avec une infinie précaution, un peu comme si le livre des rêves pouvait tomber en poussière, elle l’entrouvrit à la première page. Il y avait une illustration qui prenait toute la place. On y voyait une mer orangée baignée par la soleil.
Sarah sourit d’émerveillement et sombra instantanément dans un profond sommeil.

Lorsqu’elle se réveilla le lendemain matin, elle s’étira paresseusement. Mais elle se sentait bien. Tellement bien. Pas comme tous ces matins où elle n’arrivait pas à émerger. Elle sourit lorsqu’elle vit le précieux livre posé sur la table de chevet, près de la lampe. Elle sourit encore plus en pensant au car de l’école qui viendrait bientôt klaxonner devant chez elle. Elle retrouverait alors ses copines et elle pourrait à son tour leur raconter ses rêves. Car pour la première fois, d’aussi loin qu’elle pouvait remonter le temps de ses souvenirs, la nuit ne l’avait pas enveloppée de ses cauchemars. Elle s’était vue nager avec des dauphins alors qu’elle n’aurait même jamais su comment faire « dans la vraie vie », courir sur une plage de sable fin, se jeter tête la première dans les vagues en riant aux éclats. Elle se souvenait même avoir parlé avec une sirène qui était très belle et qui, comme son amie la luciole, avait une voix toute douce. Elle s’était aussi vue s’allongeant dans le sable et regarder les étoiles par une nuit sans lune, le clapotis des vagues chatouillant ses pieds nus. Sarah avait l’impression d’avoir fait d’autres rêves mais qui lui semblaient plus lointains, comme la sensation d’avoir mangé une crêpe gorgée de chantilly à la terrasse de l’un de ces nombreux cafés en bord de mer. Ou d’avoir chevauché un poisson. C’est ce qui est bien avec les rêves, pensa Sarah tout sourire, c’est qu’on n’est pas dans la vraie vie alors on peut y voir des choses qui n’existent pas.

Et c’est ainsi que, grâce à une luciole sortie d’on ne sait où, par une chaude nuit de mai, Sarah apprit à rêver. Et avec les rêves vinrent les rires, les sourires. La joie de vivre malgré tout. Malgré la douloureuse réalité. Les coups. Les cris. Les marches qui grincent.

Mais Sarah finissait toujours par remonter dans sa chambre. Elle avait hâte. Il y avait deux moments qu’elle aimait plus que tout : la nuit pour les rêves, et le début de matinée, sur le chemin de l’école, pour les partager. Chaque soir, les gestes étaient les mêmes. Elle ouvrait son livre, prenait la page suivante, s’émerveillait devant la beauté de ce qu’elle découvrait et s’endormait aussitôt sans pouvoir lutter. Le sommeil l’enveloppait et l’emmenait au pays des rêves. Et elle en fit des rêves, la jolie Sarah, tout au long de ces nuits. Elle en parcourut des images, des mondes, elle en vécut de belles histoires. Une nuit, elle était princesse, et le lendemain, elle se retrouvait maîtresse d’école. Parfois elle parlait aux animaux, d’autres fois, elle volait au milieu des oies sauvages. Tantôt elle riait aux éclats avec les nombreux amis qui parsemaient ses aventures, tantôt elle observait seule et silencieuse les nuages qui formaient des êtres fantastiques dans le ciel.

Bref, depuis deux ans, Sarah rêvait. Rarement le jour où une réalité noire et sournoise reprenait ses droits. Un peu le matin quand les commentaires de ses camarades de classe lui donnaient l’impression de prolonger le voyage. Mais toujours la nuit. Elle était d’autant plus impatiente que son amie la luciole lui rendait très souvent visite. Sa meilleure amie. Celle avec la voix si douce. Et la lumière si verte.

Sarah était pressée d’aller se coucher. Son père, affalé sur le canapé, ne bougeait toujours pas. Elle hésitait. Elle voyait bien qu’elle ne lui servait plus à rien maintenant qu’il dormait, toujours avec ses yeux étrangement ouverts. Mais quand même. Et s’il venait à se réveiller. S’il venait encore, comme un leitmotiv entêtant, à crier son nom. Sarah, Sarah, SARAH !
Alors elle resta prostrée au pied du canapé. Attendant sans savoir trop quoi ni surtout combien de temps. Et redoutant, comme tant de fois auparavant, de s’endormir et de laisser les ténèbres l’engloutir. Car sans le livre des rêves, sans son amie la luciole, elle se savait à leur merci.


Chapitre 3

Sarah était finalement remontée dans sa chambre alors que la petite aiguille de l’horloge du salon était sur deux et la grande sur six. Elle était épuisée et sûrement se serait-elle écroulée si elle n’avait pas eu à ce point peur des cauchemars. Elle avait frénétiquement feuilleté les pages de son livre des rêves jusqu’à arriver à la page du jour. Elle était si lasse qu’elle ne s’émerveilla même pas devant l’image qu’elle avait devant elle, un paysage de montagne enneigé où des enfants joyeux jouaient à se jeter des boules de neige. Elle sombra instantanément.

Le lendemain, dans le car qui la menait à l’école, Sarah était silencieuse et avait le masque des mauvais jours. Certes, la nuit au pays des rêves s’était bien déroulée avec son lot de rires et de souvenirs inoubliables mais au matin Sarah avait de nouveau trouvé son père sur le canapé, toujours les yeux grands ouverts et elle n’était pas tranquille.
-Au moins, tant qu’il est là-bas, il ne te crie pas dessus, murmura une voix dans sa tête
Sarah fit un geste d’agacement de la main, comme pour la chasser, mais en vain :
-Finis les cris, les coups, les marches de l’escalier qui grincent, continua la voix
-Mais laisse-moi tranquille, cria soudain Sarah sous les regards médusés de ses copines.
Le reste du trajet se passa dans le silence. Pour la première fois depuis deux ans, elle n’avait pas ri avec ses amies en leur racontant ses rêves. Elle avait l’impression que quelque chose n’allait pas. Pourquoi son père n’était-il pas encore réveillé ?

Ce n’est qu’au bout de trois jours lorsque Sarah osa enfin faire part de ses inquiétudes à sa maîtresse « parce que papa ne s’est pas réveillé depuis lundi soir » qu’une assistante sociale l’accompagna chez elle et constata le décès.
La fillette n’avait pas de famille. On expliqua à Sarah qu’on allait devoir lui trouver de nouveaux parents et qu’elle ne pourrait sans doute pas rester ici. Elle devrait probablement changer d’école aussi. Sarah écoutait mais peinait à se concentrer. La maison ne lui manquerait pas, non. Elle était si sombre et les marches si grinçantes. Mais quitter sa chambre l’effrayait un peu. Est-ce que son amie la luciole la suivrait dans sa nouvelle maison ? Le livre des rêves pouvait-il marcher ailleurs qu’ici ?

Sarah allait être confiée à une famille d’accueil en attendant d’être adoptée. L’assistante sociale la ramena chez elle, histoire de prendre quelques affaires en attendant mieux. La fillette avait entendu au détour d’une conversation entre grandes personnes que la maison allait être mise en vente mais que cela suffirait sans doute à peine à combler les dettes contractées par son père. Elle ne comprenait pas trop ce que cela signifiait mais elle avait retenu une chose : la maison allait être vendue et elle ne pourrait plus y retourner. Ce n’était pas une mauvaise chose en soi, pour sûr, mais Sarah voulait être sûre de ne rien oublier avant de partir.

A peine l’assistante sociale eut-elle ouvert la porte que Sarah se rua dans les escaliers, jetant juste au passage un très bref regard vers le salon et le canapé (Sarah, SARAH !). Elle s’engouffra dans la chambre et referma la porte derrière elle. Elle prit une poche et y jeta pêle-mêle les trop rares poupées qu’elle possédait, du temps où sa mère était encore vivante et dont elle n’avait presque aucun souvenir. Elle ne voulait surtout pas partir sans son livre des rêves. Elle ouvrit la fenêtre sur l’obscurité naissante, espérant que son amie la luciole viendrait peut-être la voir un peu plus tôt mais en vain. Très vite, elle ne pensa plus à la luciole d’ailleurs. Car elle ne parvenait pas à mettre la main sur le précieux livre et commençait à sentir une sorte de panique l’envahir.
-Zut ! Où l’ai-je mis ? Où EST-IL ?
Sarah fouilla la chambre de fond en comble, ce qui n’était pas très difficile vu le peu d’objet qu’elle possédait et l’étroitesse de la pièce. Mais rien n’y fit. Pas trace du livre des rêves. Ni sous le lit où elle le planquait d’habitude, ni sur son bureau. Ni où que ce soit.
La fillette sentit les larmes lui monter aux yeux alors que l’assistante sociale entrait dans la chambre a son tour.
-Que se passe t-il Sarah ?
-Je ne trouve plus mon livre des rêves, sanglota l’enfant, je l’avais pourtant rangé sous le lit comme tous les soirs mais il a disparu.
-Allons ma puce, ne te mets pas dans des états pareils pour un livre. Je comprends que tu y sois attachée mais ce n’est pas bien grave. Il y a aussi de beaux livres là où je t’emmène.
Non, tu ne comprends rien, pensa Sarah dont le regard virait au noir. Comment aurait-elle pu comprendre ? Comment pouvait-elle savoir que ce livre était magique et la faisait rêver ?
Sarah reprit sa fouille méthodique sous le regard médusé de la jeune femme. En vain. Et les larmes n’y changèrent rien, il fallut bien, au bout d’un moment, se résoudre à partir. Une fois dehors, les yeux embués, Sarah se retourna et scruta une dernière fois la maison sombre. Celle avec les cris, les coups, les marches qui grincent. Celle avec le livre des rêves. Celle avec son amie la luciole. Avec son père sur le canapé. Dormant les yeux ouverts.
L’enfant frissonna puis s’engouffra dans la voiture. Elle était triste. Elle ne comprenait pas ce qui avait pu se passer. Peut-être que son amie avait repris le livre… Mais pourquoi ?


Ils étaient tous bien gentils avec elle. Et Isa, la maîtresse de maison, était bonne cuisinière. Elle reprit donc du cake aux légumes et mangea avec appétit. Son mari était bien gentil aussi. Il souriait tout le tout et ça lui faisait du bien à Sarah, de voir les gens lui sourire.
Le couple avait deux enfants avec lesquels elle joua après avoir dîné. Mais même s’ils étaient adorables avec elle, Sarah n’y était pas vraiment. Elle pensait à son livre, de plus en plus d’ailleurs au fur et à mesure que l’heure du coucher approchait. Sans son livre, elle ne pourrait pas empêcher les cauchemars de l’engloutir. Elle devrait, encore et encore, lutter pour ne pas fermer les yeux. Pour repousser les ténèbres. Pour empêcher son père de revenir. Sarah ! SARAH !

Elle était tellement jolie la chambre qu’on lui avait réservée. C’était celle d’Enéa, la petite fille d’Isa et de Laurent et elle était belle comme tout. Il y avait une étagère avec plein de poupées et de douces peluches sur le lit. Tout le monde vint l’embrasser une fois qu’elle se fût allongée dans le lit. On lui laissa même la lumière pour qu’elle puisse dormir plus facilement mais Sarah savait bien que cela ne suffirait pas à repousser les ombres.

Dès qu’elle fût seule, Sarah fondit en larmes, sanglotant aussi silencieusement qu’elle le pouvait. Elle avait été si bien accueillie, ils s’étaient montrés si gentils tous. Tout aurait été si parfait si elle n’avait pas égaré son cher livre des rêves. Pourquoi de si beaux instants de bonheur devaient-ils se terminer comme ça ? Par des nuits de ténèbres et de cauchemars.
Sarah lutta longtemps, scrutant le ciel étoilé à travers la fenêtre ouverte. La nuit était fraîche pourtant, mais la fillette ne voulait pas risquer de rater son amie la luciole. Mais elle ne vint pas, d’ailleurs comment aurait-elle su où la trouver, pensa Sarah. Epuisée, elle finit néanmoins par sombrer dans un profond sommeil vers deux heures du matin.

Elle fut réveillée vers onze heures le lendemain matin par les deux enfants, Enéa et Léon, qui firent irruption dans la chambre, accompagnés d’Isa.
-Bonjour Sarah ! Tu dormais si bien que je n’ai pas eu à cœur de te réveiller plus tôt ! Et tu as eu de la chance, j’ai réfréné les ardeurs de ces deux petits monstres qui t’auraient fait lever bien plus tôt si je les avais écoutés. Léon voulait à tout prix te montrer ce qu’il savait faire avec la paire de cymbales qu’il a eue pour son anniversaire. Crois-moi, tu as raté quelque chose !
Sarah sourit. Elle se sentait extraordinairement bien. La fenêtre, toujours ouverte, laissait entrer une chaude lumière qui baignait la pièce. Elle s’étira paresseusement, souriant toujours. Elle regarda Léon qui était tout sourire aussi puis Enéa qui faisait la moue (C’est vrai quoi, je ne suis pas un monstre, devait-elle se dire) et elle éclata de rire.
-Prends le temps de te réveiller, je t’ai préparé de quoi tenir jusqu’au repas de midi. Allez, les enfants, on laisse notre amie émerger.
Isa sortit et les enfants lui emboîtèrent le pas, Enéa boudant toujours en refermant la porte.

Sarah était heureuse. Mais pas seulement à cause de ses nouveaux amis, ni du soleil qui réchauffait la chambre. Elle était heureuse car elle n’avait pas fait de cauchemars. Mieux, elle avait rêvé. D’une foule de choses. Si elle avait su, elle n’aurait jamais tant lutté pour éviter de s’endormir. Quelle belle nuit finalement !
Sarah se leva, enfila sa robe de chambre et se dirigea vers la fenêtre. L’air était quand même frais malgré le soleil déjà haut dans le ciel et elle frissonna. Elle s’apprêta à la refermer lorsqu’elle entendit soudain une voix familière :
-Bonjour jolie Sarah ! Tu me laisses entrer, tu veux bien ? C’est qu’il fait un peu frisquet dehors !
Sarah faillit crier puis mit ses deux mains à sa bouche, les yeux écarquillés. Elle fronça les sourcils et aperçut enfin au bout d’interminables secondes son amie la luciole. Il faut dire qu’en plein jour elle avait du mal à distinguer sa lumière verte. La fillette la prit dans le creux de sa main et ferma la fenêtre de l’autre, laissant juste passer un filet de lumière entre les battants. Dans la pénombre, le halo vert entourant son amie était redevenu bien vif et lumineux.
-Merci ma chérie ! Il fait quand même un peu meilleur ici, murmura l’insecte. Je voulais passer te voir plus tôt mais j’ai eu un peu de mal à te trouver. Et puis la nuit, les embouteillages entre lucioles, c’est terrible !
-Le livre des rêves a disparu, coupa Sarah dont la mine s’était assombrie.
-Oui, je sais Sarah, et c’est tout à fait normal.

L’enfant regarda son amie comme une bête curieuse (En même temps, c’était un peu ce qu’elle était, non ?). La luciole ne semblait pas du tout surprise d’apprendre que l’ouvrage s’était volatilisé.
-Dis-moi Sarah, à quoi devait te servir ce livre ?
La fillette hésita un instant, tant la réponse lui semblait évidente.
-Eh bien… A rêver. A empêcher les cauchemars de me faire du mal
-Mais cette nuit, tu as bien rêvé toute seule, non ? dit la luciole de sa voix douce
-Oui mais…
Sarah s’interrompit un instant comme si elle comprenait enfin l’évidence.
-Tu n’as plus besoin du livre des rêves Sarah ! Parce que tu sais rêver toute seule ! Parce qu’il te suffira de vivre de belles choses pour que les rêves viennent. Tu n’as plus à avoir peur des cauchemars, tu n’as plus à lutter contre le sommeil lorsque la nuit tombe. Et tu n’as plus besoin de moi non plus ma grande !

La dernière phrase attrista Sarah qui comprit alors plus ou moins consciemment qu’elle ne reverrait plus son amie la luciole.
-Le livre des rêves a disparu à partir du moment où il a estimé que tu pouvais rêver par toi-même ! C’est donc une très bonne chose qu’il ne soit plus là ! Maintenant c’est une nouvelle vie qui s’ouvre à toi. Je ne te dis pas pour autant que tout sera parfait, que tout sera toujours rose. Tu comprends ça ?
-Je crois, oui, chuchota Sarah, fixant la luciole toujours tapie dans le creux de sa main. Plein de sentiments contraires s’entrechoquaient dans sa tête. Heureuse de ne plus avoir besoin d’un livre pour s’endormir ou pour avoir de belles images dans la tête. Heureuse de connaître Isa et sa petite famille, même si elle savait que ça ne durerait qu’un temps. Mais triste à l’idée de ne plus voir son amie qui avait été là pour elle tant de fois depuis deux ans. Elle allait lui manquer. Oh que oui !
-Toi aussi tu vas me manquer, murmura la luciole comme si elle avait lu dans son esprit. Mais si tu n’as plus besoin de moi, d’autres ont des problèmes que je dois résoudre. D’autres doivent apprendre à vivre et à rêver. Mais je ne t’oublierai jamais, ma petite Sarah, sois en bien sûre surtout !
Les larmes montèrent aux yeux de Sarah. La luciole quitta alors la paume de la main de la fillette et voleta jusqu’au rebord de la fenêtre.
-Prends soin de toi et profite bien de la vie surtout !
Sarah fit un signe de la main et son « toi aussi » s’étrangla entre deux sanglots. Puis la lumière verte de la luciole s’intensifia un bref instant, irradiant la pièce, avant que l’insecte ne s’envole par le fin trait de lumière entre les volets et ne disparaisse définitivement.

Sarah se retrouva seule. Elle rouvrit les volets et la chaleur du soleil réchauffa instantanément son visage, séchant ses larmes. Alors elle sourit, enfin heureuse, puis quitta la chambre en riant, courant pour retrouver au plus vite ses tout nouveaux amis.

 .

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire