Chapitre un : Le prix de la victoire
F
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red avait indiscutablement démarré très fort le match en
balayant le cours de gauche à droite avec un coup droit tout bonnement
hallucinant. En un peu plus de quarante minutes, il menait déjà 6-0 5-2 service
à suivre. En face, je dois bien reconnaître que j’étais quelque peu sonné par
ce florilège de frappes violentes qui me laissaient systématiquement un à deux
mètres derrière la ligne de fond de court. Intérieurement, j’avais surtout du
mal à me contenter de faire de la figuration. Mais le vent finirait bien par
tourner. Il ne pouvait en être autrement.
Devant moi, Fred prenait un soin
tout particulier à choisir ses balles de service. Il en prit deux, les jeta
finalement au profit d’une troisième. Il arma alors son bras, lança la petite
balle jaune qui, l’espace d’un instant, sembla ne faire qu’un avec le soleil
qui me cramait la face, avant de retomber. Fred la frappa alors de toutes ses
forces. J’eus la bonne idée de partir du bon côté malgré une lecture de
trajectoire plus qu’aléatoire et je crus sincèrement que mon poignet ne
supporterait pas le choc lorsque la balle sembla foudroyer ma raquette.
Finalement, je réussis un retour de service tout à fait satisfaisant. En face,
Fred semblait me regarder bizarrement. En fait, il semblait regarder
bizarrement tout court. Il semblait figé, hagard. Il ne retourna pas la balle.
Il ne retournerait d’ailleurs plus aucune balle.
Il s’écroula comme une pierre sur
la terre battue tandis qu’un frémissement de surprise et d’appréhension
parcourait la foule des 500 personnes entassées sur les gradins. Moi-même,
j’étais sans réaction.
J’avais gagné !
Les applaudissements de rigueur
lors d’une victoire de cette importance – à domicile !- furent remplacés
par les cris hystériques de quelques badauds. J’étais assis sur ma chaise,
attendant la remise des prix. A quelques mètres de moi, la mère de Fred
pleurait toutes les larmes de son corps, sans aucune retenue, épaulée par la
vieille chouette cramoisie qui lui servait de mère. Je n’ai jamais pu supporter
ces gens faibles qui affichent leur douleur ou leur peine. Il devrait y avoir
des pièces exprès pour ça !
Un peu plus loin, autour du
corps maintenant recouvert, le maire et quelques policiers ainsi que le
responsable du tournoi semblaient prendre ce que l’on appelle communément
« les dispositions nécessaires ». Au bout d’un moment, n’en pouvant
plus et n’ayant pas que ça à faire, j’interpellai le responsable :
« Dites, cette affaire doit-elle vous faire oublier qui a gagné cette
finale ? Alors, j’apprécierais d’avoir mon trophée. Et je suis également à
votre disposition pour la photo pour le journal local. Entre nous, le côté
gauche est mon meilleur profil ».
La mère de Fred me fixait à
présent. Dans ses yeux, je voyais l’horreur mélangée à de la colère
difficilement contenue.
Je lui offris alors mon plus beau
sourire.
Le lendemain, j’eus du mal à ne
pas exploser en ouvrant le journal. Frédéric Artois était en première page.
Pour ma part, je dus me contenter d’un maigre entrefilet en page 17 où
figuraient simplement le score final et la retranscription de mon mécontentement
d’après match. Je parcourus l’article si rapidement que je faillis rater les
propos assassins de la correspondante locale qui analysait ainsi mes
performances de la semaine :
« Il est formellement
hallucinant de constater à quel point Steve Rovelland a pu profiter de
circonstances curieuses pour se hisser en finale. Quatre abandons ont constitué
le triste record de ce tournoi qui aurait assurément gagné à avoir un vainqueur
hautement plus prestigieux que celui que les responsables ont dû se résoudre à
inscrire sur leurs tablettes. Il est incontestable que le regretté Frédéric
Artois représente aux yeux de tous le seul véritable vainqueur de ce match,
tant au niveau de la qualité de jeu produite que de celui de la sportivité.
Deux vertus qui semblent faire cruellement défaut à Steve Rovelland. »
Et cette garce avait intitulé son
article : « Le perdant gagnant ».
Ecœuré par ce manque de
reconnaissance qui concerne tous les grands de ce monde, je décidai de prendre
quelques heures de repos et m’installai paresseusement sur le lit où je ne
tardai pas à m’endormir. Dans mon sommeil, la correspondante du journal local
avait pris l’apparence d’une raquette de tennis. Je la tenais fermement entre
mes doigts et la fracassais allègrement contre le sol dont la surface en terre
battue avait fait place à un ciment du plus bel effet. Je sentais une folie
douce m’envahir agréablement tandis que la raquette-correspondante-de-presse
s’écrasait pour la énième fois alors que le ciment rougeoyait toujours
davantage. Quelques secondes plus tard, elle gisait, morte, démembrée, au
milieu du court.
Et alors, comme un enfant privé
de son plus beau jouet, je me mis à hurler.
Je me mis même à hurler pour de
bon lorsque le poing de mon père s’abattit sur moi pour la troisième fois.
Ensuite, il me saisit par le col et me traîna ainsi sur une dizaine de mètres.
Il était écarlate. Et je savais que, cette fois, il me serait extrêmement
difficile de le raisonner. Il me lâcha finalement sur le fauteuil du salon. Mon
nez était probablement cassé ou écrasé et du sang en coulait jusque dans ma
bouche.
-Tu n’as pas pu t’en empêcher,
hein ! Il a fallu que tu recommences ! Hurla-t-il. « Tu
n’apprendras donc jamais ! Quel besoin avais-tu de tuer ce type ? Il
te suffisait, je ne sais pas moi, de provoquer une insolation ou une
entorse ! Ou plus simple, il t’aurait suffi d’apprendre à perdre, pour une
fois ! »
-Ce n’était pas prémédité,
rétorquai-je. Frédéric Artois n’a jamais gagné un seul tournoi dans sa putain
d’existence. Il est parvenu neuf fois en finale mais n’a jamais réussi à
s’imposer. Du coup, je croyais la victoire acquise mais ce crétin a lâché tous
ses coups comme s’il jouait le match de sa vie. Jamais je n’aurais permis à ce
loser de m’humilier plus longtemps ! Je ne voulais pas le tuer mais ma
rage intérieure a décuplé mes capacités.
-Qui m’a fichu un imbécile
pareil ! ! Tu en es à quatre homicides et je ne parle pas des
violences diverses… et puis tiens !
Le poing de mon père s’abattit
une nouvelle fois. Une brûlure me vrilla tout le côté gauche. Je fronçai les
sourcils, cherchant à me concentrer mais il ne m’en laissa pas le temps. Ses
mains massives enserrèrent mon visage puis pressèrent mes tempes.
Je me sentais étouffé, compressé.
-Pauvre abruti ! Dois-je te
rappeler que tes petits talents n’ont aucun effet sur moi ? Que de ce côté
là, je te suis et te serai toujours supérieur ?
Il relâcha son étreinte alors que
ma vue commençait à se brouiller. J’étais pourtant habitué à ses accès de
colère mais il n’avait jamais été aussi déchaîné. Enfin, presque.
Il s’était assis à présent,
bouillonnant de l’intérieur. Il s’était tu et fixait le plancher. Je ne doutais
pas de l’effort surhumain qu’il était en train de fournir pour contenir la rage
qui le minait.
On resta un long moment comme
cela, sans parler.
Puis il se leva et dit :
« Ta mère me reprochait deux choses : de boire et de te cogner
dessus. Pour la première, elle avait très certainement raison. Mais pour la
seconde, je crois qu’il n’y a que ça que tu comprends. »
Il soupira. « L’inspecteur
Fergusson est sur cette affaire et il a une sacrée réputation de fouilleur de
merde. »
Je tressaillis : « Quel
inspecteur ? Le médecin légiste a conclu à une rupture d’anévrisme !
Il ne peut pas y avoir d’enquête ! »
-Ben voyons, ricana mon père,
moi, je peux t’assurer que ce flic pose beaucoup de questions et qu’il entend
bien avoir des réponses. Et tu le sous-estimes vraiment si tu crois qu’il ne
remontera pas jusqu’à toi. Parce que dis-toi bien que ça ne manquera pas
d’arriver !
Je regardai mon père fixement.
J’aurais voulu qu’il s’en aille à présent. Qui que soit ce prétendu inspecteur,
que pourrait-il prouver ? Absolument rien ! Mon premier adversaire
avait eu un torticolis aussi soudain que douloureux quelques minutes avant le
début du match, le deuxième s’était brisé les parties avec un coup
malencontreux de sa raquette, le troisième avait eu des diarrhées chroniques et
l’avant dernier avait été expulsé après avoir uriné comme un bébé pour la
troisième fois au cours de la rencontre.
Mon père se rapprocha de la
porte : « Fergusson aura vite fait le lien entre cette mort et les
trois précédentes. Surtout, il aura tôt fait de constater que tu étais présent
à chaque fois. Et il ne te lâchera pas tant qu’il n’aura pas réuni les preuves
nécessaires à ton incarcération. Le jour où ça arrivera, ne compte pas sur moi
pour te tirer du guêpier. Et si tu comptes sur une victime supplémentaire,
oublie cette idée. Si tu as la mort d’un représentant de l’ordre sur la
conscience, je te tuerai de mes propres mains. Je pensais qu’un tel pouvoir te
rendrait digne… Vois ce que tu es devenu ! »
Il ouvrit la porte, me jeta un
bref regard où se mêlaient désapprobation et dégoût et s’en alla.
Après son départ, je me ruai sous
la douche. Je me sentais profondément irrité et tentais de mettre de l’ordre
dans mes idées. Bon ! Apparemment, le flic viendrait me rendre visite sous
peu. Ensuite, il fouillerait mon passé et s’apercevrait sans nul doute que
j’étais présent dans chaque ville où un crime avait eu lieu. Mais pour le
reste, son enquête piétinerait lamentablement. A Limoges, le gars était mort à
la sortie d’une discothèque. Il avait pris son véhicule et atteint la vitesse
maximale avant de bêtement s’encastrer dans un mur. Ceci quelques heures après
qu’il m’ait bousculé en boîte. Fâcheuse fatalité, non ?
La seconde victime était une
vieille au volant d’une de ces voiturettes sans permis, sur une route du sud de
la France. Ah ! J’avais eu beau klaxonner, pas moyen de la faire se
serrer. Finalement, elle avait eu un malaise cardiaque et avait quitté la
route.
La troisième était un sans-abri
qui m’était tombé dessus un soir où je me promenais dans la capitale. Il avait
sorti un ridicule petit canif de sa poche et tentait de me soutirer de l’argent
pour payer son misérable litron de rouge. Je n’eus pas à beaucoup me concentrer
avec lui. Son bras fit un arc de cercle remarquable et la lame lui trancha
proprement la gorge. Je le revois encore titubant, comme aux heures de ses plus
belles cuites probablement avant de s’écrouler sur son carton de misère.
Et puis, il y avait donc eu ce
maudit joueur de pacotille. Et je n’étais pas peu fier du résultat. Mon père
pouvait dire ce qu’il voulait. Je n’avais pas peur. Ni de lui… ni de
l’inspecteur Fergusson.
J’étais prêt.
Chapitre deux : Intimes convictions
C
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ette affaire me laissait perplexe
mais j’étais à peu près sûr d’une chose : Steve Rovelland était la clé,
quel qu’ait pu être son degré d’implication dans les multiples incidents qui
avaient émaillé le tournoi de tennis. Tous les matches qu’il avait disputés
avaient donné lieu à des phénomènes plus ou moins étranges mais qui, mis bout à
bout, faisaient tout de même beaucoup. Et je ne croyais pas à de quelconques
coïncidences.
Ce qui était sûr, c’est que les
responsables du tournoi et l’ensemble du personnel ne l’appréciaient guère.
Steve Rovelland passait pour être marginal, méprisant et extrêmement imbu de sa
personne. Il avait notamment giflé un ramasseur de balles sous prétexte que ce
dernier traînait pour lui amener une bouteille d’eau. Mais surtout, il avait
choqué l’assistance en exigeant la remise officielle de la coupe du vainqueur
alors qu’à moins de deux mètres, Frédéric Artois gisait encore sur le court.
C’est cette réaction qui me mettait le plus mal à l’aise. Que peut-il se passer
dans la tête d’un tel individu pour réagir de la sorte ?
Quoi qu’il en soit, je ne
m’attendais pas à une partie facile. La culpabilité de Steve Rovelland ferait
le bonheur de beaucoup de personnes, à commencer par la propre mère de la
victime mais il serait très difficile de le confondre. D’ailleurs, rien ne
l’accusait vraiment. Après tout, il était de l’autre côté du filet lorsque
Frédéric Artois s’était écroulé et le médecin légiste avait établi que la mort
était due à une rupture d’anévrisme.
Mais après 25 ans de métier, il y
a une chose que j’ai appris à ne pas sous-estimer. L’intuition. Et en ce qui me
concerne, elle m’a sorti de bien des guêpiers. Et pour l’instant, elle me
disait clairement que Rovelland était mon homme.
Je relus le rapport d’enquête que
j’avais sous les yeux. Pas celui sur l’affaire en cours, non. Plutôt une sorte
de carnet de route de Rovelland. Sa vie, son œuvre, quoi !
Enfance financièrement aisée à
défaut d’être heureuse. Un père américain alcoolique plusieurs fois arrêté pour
violences conjugales. Une mère française qui finit par se défenestrer pour
échapper aux accès de rage de son mari. Mais un suicide comme conclusion de
l’enquête.
Après ça, Rovelland fils écume la
France de long en large. Avec un niveau de vie plutôt élevé…hôtels, restaus,
boîtes, grosses cylindrées et p’tites pépées comme on dit. Mais Rovelland ne
manque pas d’argent. Son grand-père, qui jugeait son fils indigne de gérer son
empire de construction automobile, a tout légué à son petit-fils. Il pensait
sans doute le voir reprendre le flambeau. Mais après sa mort, Steve s’est
empressé de tout revendre. Et de partir avec le pécule. Sa mère étant morte
quelques semaines auparavant, rien ne le retenait plus ici.
Deux années entières à parcourir tous les endroits branchés du pays.
Apparemment,
Rovelland n’avait pas cherché particulièrement à passer inaperçu. Tant
mieux ; Cela me
faciliterait la tâche. Car un
long et fastidieux travail d’investigation m’attendait. J’allais devoir repasser derrière lui et voir si des
incidents n’avaient pas émaillé son tour de France. Je me demandais vraiment
sur quoi j’allais bien pouvoir tomber. Mais je n’étais pas optimiste.
D’ailleurs, ce qui m’inquiétait n’était pas vraiment ce que je pourrais trouver
mais plutôt ce que je ferais ensuite.
Car si Steve Rovelland avait,
d’une façon ou d’une autre, du sang sur les mains, ça resterait difficile à
prouver.
Je repensai un instant au joueur
de tennis terrassé par une rupture d’anévrisme. Si c’était un meurtre… comment
diable avait-il fait ?
Un frisson me parcourut l’échine.
Bon sang, à qui avais-je donc affaire ?
Chapitre trois : Une douleur du passé
M
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on père m’avait donc dit qu’il me
tuerait de ses propres mains si je venais à m’en prendre à ce flic… ce
Fergusson. Drôle de nom. J’ai comme l’impression que ce petit inspecteur a
comme moi un peu de sang américain. Peu importe. Je me fous de ses origines.
Mais je ne dois pas le sous-estimer. Et je vais devoir garder mes petits nerfs
au chaud. Si je crève ce flic, mon père rapplique. Et s’il rapplique, je crève
aussi. Parce que, face à lui, je ne peux rien. Sauf employer des méthodes
« classiques » peut-être. Mais certainement pas mon
« pouvoir ». Parce que là, on ne joue pas dans la même catégorie. Il
est fort, très fort.
Je ne sais pas d’où nous vient ce
fameux pouvoir. Mon père n’a jamais voulu en parler, sauf une fois, mais je
serais surpris qu’il connaisse la réponse. Sous l’emprise de la colère ou d’une
émotion forte, nous pouvons avoir des réactions très particulières, dévastatrices.
Mais il nous faut aussi, quelque part, le vouloir, même inconsciemment. Ce
pouvoir m’a effrayé tout d’abord. Mais pas bien longtemps. Je m’en suis vite
amusé. Je ne m’en cache pas d’ailleurs. Il est la réponse à toutes mes
contrariétés. Mais le dosage est délicat. Parfois, on veut juste donner une
leçon à quelqu’un. Et puis on le tue. Après, soit on se morfond comme un
prostré, soit on assume. Moi, j’assume pleinement. D’accord, il y a eu quelques
ratés. Le gars qui m’avait heurté en boîte à qui je voulais donner une petite
frayeur. J’ai un peu forcé la dose sur ce coup là. Idem pour la mamie. Je
voulais lui faire perdre le contrôle de sa voiture. Finalement, elle a eu un
arrêt cardiaque. Enfin, bon, dans toute expérience, il y a des cobayes et quelques
échecs. Rien qui ne peut m’empêcher de dormir heureusement.
Ce pouvoir m’est apparu récemment.
Mais le prix à payer a été énorme. Enorme.
C’était par une froide nuit automnale.
Mon père est rentré effroyablement ivre, encore plus qu’à l’accoutumée. Je
n’aurais jamais cru ça possible, qu’il puisse être toujours plus ivre à chaque
fois. Là, ça dépassait tout ce que j’avais pu voir jusqu’à présent. Débraillé,
une bouteille encore à la main, il se tenait debout devant moi. Enfin, quand je
dis debout… Il était comme fou. Ses yeux, écarquillés, étaient injectés de sang
et un horrible rictus semblait balafrer son visage sur toute la longueur. Je ne
l’avais JAMAIS vu comme ça. Pourtant, des cuites, il en avait connu quelques unes.
Dans ces cas là, il hurlait sur tout ce qui bouge et il suffisait d’attendre.
Enfin, ça, c’était le scénario idéal. Parce qu’enfant, j’avais quand même tâté
du ceinturon. Et de ses poings aussi. Ma mère s’interposait parfois. Alors il
se défoulait sur elle. Mes hurlements n’y changeaient rien. D’autres soirs,
quand il rentrait, ivre comme à son habitude, ma mère venait me rejoindre dans
mon lit, se blottissait contre moi et attendait que la tempête passe. Et priait
pour qu’il ne vienne pas à ouvrir la porte de la chambre. Quand il ne s’en
prenait pas à nous, il saccageait tout. Je me souviens que je sursautais à
chaque fois qu’il cassait quelque chose. Avec lui, j’ai appris les larmes, j’ai
appris la peur, la vraie, celle qui vous ronge de l’intérieur. Mais la vraie
peur ne tue pas malheureusement. Oh non ! Elle vous laisse en lambeaux
pour mieux revenir la fois suivante. Et elle vous ronge à nouveau. Et encore.
Et encore.
Avec le temps, mon père s’en
prenait moins à moi. Pourtant, même en grandissant, je ne peux pas dire que je
sois devenu très corpulent. Mais les coups devenaient plus rares. Il était
toujours aussi saoul, aussi souvent. Il se déchaînait contre les meubles,
laissant ma mère, résignée, brisée, pleurer dans un coin pendant qu’il
dévastait tout dans la maison. Certains soirs, cette rage était
impressionnante. Et parfois, même si cela me faisait honte, j’éprouvais presque
une sorte de fascination. Une tristesse immense vis à vis de ma mère, de sa vie
gâchée à cause de cet homme. Et une haine croissante pour mon père. Mais une
fascination quand même. De voir jusqu’à quel point l’homme pouvait aller.
Mais ce fameux soir, je
n’éprouvais aucune fascination. Juste de la peur, celle dont je parlais tout à
l’heure, qui vous broie sans vous laisser mourir. Quelque chose en lui était
différent. Il n’arrêtait pas de me fixer et de me montrer de l’index, sa
bouteille dans la même main.
-Toi ! Toi ! Sale
enfoiré ! Je vais te tuer une fois pour toutes. QU’EST CE QUE TU AS DE
PLUS QUE MOI, HEIN ? QU’EST CE QUE TU AS DE PLUS QUE MOI ???
Il hurlait à présent. Il me
serait impossible de la raisonner. Je m’attendais à une soirée vraiment
difficile. Dans ma tête, je crois que j’étais déjà mort.
-Je ne comprends pas, dis-je, de
quoi tu…
-Tais toi, fils indigne ! TAIS
TOI ! Je ne veux plus t’entendre, plus un seul mot ! Comment as-tu
osé ? COMMENT AS-TU PU FAIRE CA A TON PROPRE PERE ?
J’essayais de rassembler mes
idées mais rien ne venait. Je n’étais pas un saint, mais je ne voyais
franchement pas ce qui le rendait aussi fou de rage.
Mon père prit une chaise et
s’assit en face de moi, sa bouteille toujours à la main. Il me fixait toujours.
Il eut un rire mauvais qui ne présageait rien de bon. Il cherchait à se
contrôler mais je savais que ça ne durerait qu’un temps.
-Je suis allé voir mon père
aujourd’hui, Steve. (Mon père avait prononcé mon prénom en sifflant entre ses
dents, comme si ça lui brûlait la langue). Enfin, c’est lui qui a demandé à me
voir. Tu le connais ton grand-père, hein ? Il n’est pas le genre de personne
à attendre, n’est-ce pas ? Alors j’y suis allé.
Il s’arrêta et but quelques
gorgées de vodka. Tout en inclinant la tête vers le haut, il ne me quittait pas
du regard. Ce qui le rendait encore plus fou, comme un animal enragé.
-Tu sais ce qu’il me voulait ce
vieil imbécile ? TU SAIS CE QU’IL VOULAIT ?, hurla t-il. ME
DESHERITER ! MOI ! SON PROPRE FILS ! ! !
Sa respiration s’était accélérée.
Il ne pourrait pas se contenir bien longtemps. Je cherchai alors à fuir son
regard et je vis ma mère, en pleurs, quitter la pièce. Je ne comprenais pas.
Mais je n’eus pas le temps de me poser des questions. La main libre de mon père
me prit par les cheveux et mon regard revint aussitôt en face du sien.
-Dis ! TU M’ECOUTE,
OUI ! ! ! Dis que je t’emmerde tant que tu y es ! Ou
peut-être es-tu trop fier de m’avoir pris la place ! Parce que c’est toi,
pauvre demeuré, qu’il a choisi pour lui succéder à la tête de l’empire !
TU LE CROIS, CA ??? Le vieux, il m’a annoncé ça tout tranquillement. Et
que je n’étais pas capable, que j’étais la honte de la famille etc. etc.
Pendant une heure, j’ai du me coltiner son blabla insupportable. Mais c’est mon
père… je ne veux rien faire contre lui. Mais toi… toi, si tu n’es plus là, je
reprendrai la place que je mérite auprès de mon père. Et je serai le seul
successeur de l’entreprise familiale.
Il me fixa, le regard franchement
mauvais. Je n’arrivais pas à croire ce que j’entendais. Il était prêt à me tuer
dans la minute. Il était bourré mais je savais que je n’avais pas la moindre
chance. Je me voyais déjà mort.
Un bruit de verre brisé me tira
de ma torpeur. Mon père avait fracassé sa bouteille contre la table basse et me
menaçait maintenant avec le tesson de la bouteille.
-Désolé, fils, mais je crois que
l’on est arrivé au bout cette fois. Mon père… je ne peux pas le laisser faire,
tu comprends ?
Il se leva. Il me semblait
immense. Il leva son bras, la bouteille brisée fermement tenue entre ses
doigts. Et l’abattit.
On dit parfois que la vie ne
tient qu’à un fil. Que tout peut se jouer en un instant. Ce fut le cas
aujourd’hui. Ma vie bascula en une fraction de seconde. Elle ne fut pas la
seule.
Lorsque mon père leva son bras,
je vis quelque chose derrière lui. Ma mère, qui ne pleurait plus. Ma mère qui
était armée de la batte de base-ball de mon père, un des rares vestiges de son
passé d’américain. Elle arma son geste.
Il ne l’avait pas vue mais il fut
plus rapide. Son bras descendit à une vitesse folle vers moi. Je me protégeai
instinctivement des deux bras en fermant les yeux et hurlai : « NOOOOOON ! ! ! ! ! »
Je ne compris pas ce qui se passa
alors. Mon père fut violemment projeté à l’autre bout de la pièce. Puis il y
eut un bruit de verre. J’ouvris enfin les yeux. Mon père, hagard, était étendu
près de la fenêtre. La fenêtre… elle était brisée… L’esprit embué, je me ruai
vers ce qu’il en restait et me penchai au dehors.
Quelques mètres plus bas, ma mère
gisait sur le bitume, la batte à quelques centimètres d’elle…
Mon père me rejoignit à la
fenêtre, prit sa tête entre ses mains et étouffa quelques sanglots.
-Non… ce n’est pas possible… Pas
elle… Mon Dieu ! Mon Dieu ! Qu’avons-nous fait ?
Il paraissait désorienté.
Subitement, il semblait moins saoul, tant sa colère était retombée.
D’ailleurs, il ne me regardait
pas. Ses yeux ne pouvaient se détacher du corps de ma mère.
-Mon père… je dois l’appeler… Il
me dira quoi faire… Oui, lui saura…
Il traversa la pièce d’un pas mal
assuré et décrocha le téléphone. Pendant qu’il discutait, j’essayais de
reprendre mes esprits. Je n’arrivais pas à réaliser. Je transpirais
abondamment. De mon front perlaient de grosses gouttes. Je fixai ma mère et
subitement me ruai vers l’escalier. Se pourrait-il que… Une fois dehors, je
m’agenouillai près d’elle et lui prit la main. Mais le miracle que j’espérais
tant ne se produisit pas. Elle était bel et bien morte. La violence du choc
sans doute. Elle ne saignait pas. Son visage traduisait encore la rage qui
l’habitait lorsqu’elle avait armé le mouvement de la batte. Je refermai ses
yeux encore grand ouverts. Et je restai un long moment près d’elle, sa main
inerte contre ma joue, en pleurant doucement. Je n’aurais du penser qu’à elle
en cet instant. Mais il m’était impossible de ne pas revivre la scène. Mon père
m’aurait tué, c’est certain. Je le revois encore, au dessus de moi. La
bouteille brisée qui descend à une vitesse vertigineuse. Et mes bras qui
tentent vainement de faire barrage, mes yeux qui se ferment. Et puis… Et puis…
mes yeux qui se rouvrent. Mon père affalé à l’autre bout de la pièce… La
fenêtre brisée…et ma mère… ma mère… Je la fixe avec horreur avec présent. Je
réalise enfin. Elle est morte. Morte. Je prends sa tête dans mes mains et je la
presse contre moi. « Maman ! ». Je pleure à nouveau. Mais sans
pouvoir m’arrêter cette fois. Tandis que le lampadaire semble nous envelopper
de son faisceau lumineux.
Au bout d’un moment qui ne me
paraît pas assez long, mon père nous rejoint. Il détourne son regard à présent.
-Ton grand-père va arriver… il
dit qu’il s’occupe de tout. Je crois qu’on n’a pas à s’inquiéter.
Il resta silencieux un instant.
Puis, ne pouvant plus ignorer l’insistance de mon regard, il me fixa et
dit :
-Ce pouvoir… je me demandais si
tu l’avais, et quand il se manifesterait. Bien malgré toi, tu l’as utilisé à
bon escient aujourd’hui.
Il soupira, visiblement gêné.
-Parti comme j’étais, je t’aurais
probablement tué ce soir. Mais ce que je pourrais dire ou faire n’y changerait
rien. Je suis un ivrogne, un moins que rien… Mais je n’ai trouvé que ça pour…
Il se baissa à ma hauteur et
m’empoigna solidement, sans finir sa phrase.
-Tu dois faire très attention à
ce pouvoir. Ce n’est pas une bonne chose. Si tu n’arrives pas à le contrôler,
les pires choses pourraient arriver… Tu vas te sentir fort et être tenté d’en
abuser. Mais crois-moi, un jour, tu en paieras le prix fort. Comme moi, je le
paye aujourd’hui.
Je ne comprenais pas bien. Faut
dire que je n’avais pas les idées très claires. Aussi loin que je me rappelle,
mon père n’avait jamais usé d’un tel pouvoir. D’ailleurs, je n’aurais jamais
pensé qu’il pouvait le posséder. Mais apparemment…
-Je ne sais pas d’où me vient ce
pouvoir, continua t-il. Mais c’est une malédiction. Alors que je n’étais qu’un
jeune homme, il a coûté la vie à deux personnes. Ensuite, j’ai rencontré ta
mère. J’en étais fou amoureux. Mais je savais que je n’étais pas pour elle. Que
ce pouvoir pouvait la tuer sans que je puisse contrôler quoi que ce soit. Alors
je me suis effacé. Et j’ai sombré dans la solitude. Et l’alcoolisme. Mais un
jour, alors qu’une bande me prenait à parti et que je tentais de me concentrer
pour leur donner une leçon, je me suis rendu compte que mes pouvoirs étaient
inopérants. Que l’alcool empêchait toute concentration. Ce soir là, j’ai pris
la plus belle dérouillée de ma vie. Mais j’avais trouvé la solution à mon
problème. Enfin, pas la meilleure mais la moins pire. Alors j’ai retrouvé ta
mère, nous nous sommes mariés peu après puis nous t’avons eu. Lorsque je me
sentais d’humeur irritable, je buvais en cachette pour ne pas provoquer le
réveil de ce « pouvoir ». Au début, c’était très épisodique. Mais les
moments de doute se sont succédé. Les galères aussi. Et je buvais de plus en
plus et de plus en plus souvent. J’avais tellement peur de ne plus me
contrôler, de vous faire du mal à toi et à ta mère. Pendant ces crises, mon
pouvoir ne s’est jamais manifesté. Mais l’alcool me rendait agressif, violent.
Ta mère a tenté de te protéger. De se protéger aussi. J’aurais du lui demander
de partir. Je n’en ai jamais eu le courage. Elle a tout subi. Tout vu, tout
encaissé. Je l’aimais mais je la battais. Et toi aussi. J’avais honte, je me
sentais sale mais je ne pouvais m’en empêcher.
Et puis tu as grandi. Et moi, je
me suis détesté chaque jour un peu plus. Alors j’essayais de vous épargner. De
me défouler dans d’autres pièces. J’en ai cassé des meubles…
Mon père se tut un instant. Je le
fixai. Il sanglotait et reniflait bruyamment, les yeux toujours rougis par les
souvenirs et l’alcool. Le dégoût s’imprégnait de plus en plus en moi. Dégoût
vis à vis de mon père, de sa misérable vie, de sa violence.
Qu’espérait-il ? Du pardon ?
De la compréhension. Je crois qu’il connaissait la réponse car il
reprit :
-Je ne te demande pas de me
pardonner. Tout est de ma faute. La mort de ta mère avant tout. Mais je veux
que tu comprennes que ce pouvoir n’est pas une chance, ni une opportunité…
c’est un fardeau. Alors, ne deviens pas comme moi.
Me dire à moi que ce pouvoir
n’était pas une chance. J’eus envie de rigoler. Comment aurais-je pu prendre ce
pouvoir comme une aubaine. CE SATANE POUVOIR AVAIT TUE MA MERE, BON SANG !
MA MERE ! ! !
Mon père se redressa :
-Dorénavant, je ne veux plus
avoir de discussion sur ce sujet. Nous n’en parlerons plus. Mais fais
attention. Fais bien attention à toi.
Quelques minutes plus tard, mon
grand-père arriva, avec une ambulance et une voiture de police. Effectivement,
il s’occupa de tout. Il était extrêmement influent. L’enquête fut rapide
Et conclut à une mort par
suicide. Mon père n’eut à répondre à aucune question. Refusa la cure de
désintoxication que voulait lui imposer mon grand-père (tu m’étonnes !)
Mais la mort de ma mère l’avait
brisé. Et quelques semaines plus tard, ce fut le tour de mon grand-père de
passer de l’autre côté. A partir de ce jour, mon père resta prostré dans la
maison familiale. Il ne sortait plus. Et se faisait même livrer l’alcool dont
il avait besoin.
Moi, je n’en pouvais plus. Sitôt
l’affaire de mon grand-père revendue, et après m’être assuré que mon père ne
manquerait de rien en mon absence, je partis à mon tour. Partout en France.
Mais pas question pour moi de tâter de la bouteille, oh non ! Ce pouvoir
me fascinait. Et même s’il me faisait peur, je voulais savoir jusqu’où je
pouvais aller. Ce que je fis pendant deux ans. Deux années à apprendre à
maîtriser ce fameux don.
Et aujourd’hui, cet inspecteur
s’imaginait peut-être qu’il allait tout arrêter comme ça, sur un claquement de
doigts ?
Il n’en était pas question.
Chapitre quatre : Point mort
L
|
e décès de Frédéric Artois
remontait à deux semaines à présent. Et je n’avais rien. Rien.
Sans compter que je ne m’étais
pas encore résolu à rendre visite à Steve Rovelland. Pour lui dire quoi ?
Bien sûr, mon équipe avait été le
rencontrer à une ou deux reprises. Questions d’usage pour une enquête de
routine. En apparence. La mort « naturelle » comme conclusion du
légiste ne me convenait toujours pas. Trop de zones d’ombres. D’incohérences.
Pourtant, mes investigations
n’avaient rien donné. J’avais fait enquêter sur le fameux périple de Rovelland.
Mais rien de concret. Tout au plus quelques incidents troublants. Dont un
auquel je voulais me raccrocher à tout prix, même si je sentais que je ne
pourrais pas le confondre avec ça. Une mort mystérieuse à la sortie d’une boîte
de Limoges. Un jeune qui démarre à fond et qui s’encastre dans le premier mur au
bout d’une ligne droite. A pleine vitesse. Or, Steve Rovelland a été aperçu
dans le bâtiment. Mais c’est tout. Pas d’altercation signalée. Aucune
échauffourée. Il est resté au bar toute la soirée.
Pour accuser un homme, c’est
maigre. Très. Mais je savais que c’était lui. A part ça, quelques morts
suspectes. Un clochard et une personne âgée. Mais aucun témoin, aucune trace.
Même si Rovelland était dans les villes concernées au moment de leur mort.
Encore heureux qu’il ait séjourné à l’hôtel. Sans quoi, impossible de retrouver
sa trace ou de faire le moindre recoupement. Mais me voilà bien avancé. Des
certitudes et pas de preuves. Et une appréhension terrible à l’idée de me
trouver face à lui. Car s’il était bien le responsable de tous ces décès, ça le
rendait très dangereux. J’ignorais tout de lui. En premier lieu, ses méthodes.
Aucune trace, aucun indice. Pas de témoins directs.
Je ne pouvais pas me voiler la
face. J’avais peur. Je ne savais absolument pas ce qu’il serait capable de me
faire si je le poussais dans ses derniers retranchements. Et comment se
préparer si l’on ne sait pas à quoi s’attendre ? Je me sentais désemparé,
sans solution.
Il me restait le bluff,
l’intimidation. Mais je n’y croyais pas. Si Rovelland avait tué toutes ces
personnes, de quelque façon que ce soit, il devait avoir une grande confiance
en ses capacités.
Et le fait que je ne me sois pas
encore manifesté va sûrement le conforter dans son idée que je n’ai absolument
rien de concret contre lui. La partie s’annonçait très difficile. Et j’étais
bien loin de partir favori. Mais je jouais mon va-tout. L’affaire aurait déjà
du être classée, et j’avais obtenu un délai supplémentaire. Faut dire que ces
morts inexpliquées et ces coïncidences répétées commençaient à agacer en haut
lieu. Alors mes supérieurs m’avaient apporté leur soutien. Mais je n’avais
toujours aucun résultat.
Je me levai, pris mon imperméable
et me ruai au dehors. J’inspirai profondément puis sortis mes clés de voiture.
J’avais suffisamment traîné. Il était temps que je me bouge le cul. Que je
mérite mon insigne.
Steve Rovelland était un tueur.
Implacable. Froid. Et j’allais le prouver.
Chapitre cinq : Joute macabre
U
|
ne demi-heure plus tard,
j’arrivai devant la maison familiale des Rovelland. J’avais bien choisi mon
moment. Il y avait des trombes d’eau et sous le ciel noir, le grand bâtiment
semblait m’écraser de tout son poids. Je levai la tête et l’espace d’un
instant, lorsqu’un éclair zébra ce plafond sombre et nuageux, je crus
apercevoir un visage derrière une des fenêtres du dernier étage. La porte était
entrouverte. Pas un bruit. Pas une lumière. Je poussai le lourd battant et
entrai.
Quelque chose n’allait pas. Ce
silence, cette obscurité. Je sentis mon cœur battre plus fort, plus vite. Je
sortis mon revolver, vérifiai qu’il était bien chargé et avançai prudemment.
-Je suis l’inspecteur Fergusson…
Monsieur Rovelland, où êtes-vous ?
Pas de réponse. Je n’étais pas
rassuré. Que s’était-il passé ici ?
Un bruit assourdissant me fit
sursauter. Derrière moi, la lourde porte s’était brusquement refermée. Mes
doigts se resserrèrent un peu plus sur mon arme. Il faisait sacrément sombre et
mes yeux peinaient à s’habituer à l’obscurité. Parfois, un éclair semblait
illuminer la pièce. Puis les ténèbres l’enveloppaient à nouveau.
J’étais toujours dans le hall
d’entrée. J’avais une lampe de poche dans la voiture. Mais j’hésitais. Je
n’avais pas particulièrement envie de revenir vers la porte. Quelque chose me
persuadait d’avancer. Je sentais que je ne devais pas faire machine arrière.
Continuer à tâtons n’était pourtant pas très indiqué. Mais c’est ce que je fis
pourtant.
J’arrivai au bout de quelques
minutes qui me parurent une éternité dans une autre pièce. Un éclair me permit
de voir très brièvement ce qui me semblait être une bibliothèque. Au fond, je
parvins à distinguer une faible lueur, comme celle d’une petite lampe de
bureau. Je m’approchai, toujours à l’affût du moindre bruit. Un fauteuil me
tournait le dos. Je dus véritablement me retenir pour ne pas hurler lorsque du fauteuil
glissa un bras ballant.
Oh, mon dieu, pensai-je alors, un
mort ! Il y a un cadavre sur ce…
J’ouvris des yeux encore plus
écarquillés lorsque je vis le bras bouger subitement et la main claquer des
doigts.
La lumière apparut soudain. J’eus
l’impression d’avoir un voile devant les yeux. Puis je vis le fauteuil se
retourner brusquement.
Tranquillement assis là, Steve
Rovelland me regardait avec un sourire en coin.
-Vous me pardonnerez cette petite
mise en scène, inspecteur. Je m’en serais voulu de rater notre première
entrevue.
Je me sentis ahuri sur l’instant.
Il me fallut quelques secondes pour réaliser. Mon arme était toujours pointée
sur le fauteuil, enfin, sur Rovelland à présent. Je m’étais fait posséder. Il
menait déjà au score. Je baissai mon arme. Pourtant j’aurais volontiers vidé
mon chargeur sur lui en cet instant. J’étais intérieurement dans une rage folle
et j’avais bien du mal à me contenir.
Je m’attendais à un adversaire
difficile, retors. Effectivement, cette petite « mise en bouche »
laissait présager d’une joute magistrale. A condition, bien sûr, que je sois
moi-même à la hauteur.
-Prenez une chaise inspecteur… Je
vous proposerais bien un verre mais vu que vous êtes en service… Et faites-moi
le plaisir de ranger cette arme.
Un peu gêné, je m’exécutai. Mais
restai debout.
-Cela faisait longtemps que je
m’attendais à vous voir enfin. On peut dire que vous vous êtes fait désirer.
Alors, vos recherches ont été fructueuses ?
Rovelland me sourit, ce qui me
mit mal à l’aise. Puis il continua :
-J’ai de l’argent, Monsieur
Fergusson. Et des relations. Je n’ignore rien de l’enquête. Ni de vos équipes
qui essaient de reconstituer mes deux dernières années. Pour un peu, je
pourrais presque devenir parano. Parce que, si ce n’est pas de l’acharnement, ça !
Excédé, je l’interrompis :
-Assez, Rovelland. Pour les
autres affaires suspectes, je ne peux rien prouver, mais pour Frédéric Artois
vous…
-Vous ne pouvez rien prouver non
plus… N’est-ce pas ? N’est-ce pas inspecteur Fergusson ?
Je me pinçai les lèvres. Si Steve
Rovelland était déterminé à compléter toutes mes répliques, je n’étais pas prêt
de sortir d’ici.
J’ouvris la bouche pour protester
mais là aussi, il fut plus rapide.
-Quelle est la vraie question,
Fergusson ? Ai-je tué ? Comment ai-je tué ? Comment prouver que
j’ai tué ? Vous venez chez moi me déranger, avec votre plaque et votre
arme et vous croyez que ça suffit ?
Rovelland refit pivoter son
fauteuil. A nouveau, il me tournait le dos.
-Revenez me voir quand vous aurez
du concret. Vous perdez votre temps et vous me faites perdre le mien.
Ce satané enfoiré continuait de
jouer avec moi. Il me prenait de haut à présent. Comme un maître qui renverrait
son chien au panier. Je n’avais rien, c’était vrai. Mais il me fallait
absolument réussir à ébranler la forteresse. Je décidai alors de jouer à quitte
ou double.
- Et votre mère, Steve ? Je
vois que vous vous êtes bien remis de sa mort. Accident, c’est ça ? Mais
peut-être pas ? Peut-être que votre putain de fric et vos multiples relations
ont maquillé un crime en suicide.
Je ne me sentais pas très
convaincant. J’allais sûrement faire chou blanc. Mais, contre toute attente,
Rovelland se leva d’un bond, se retourna et me fixa, l’œil mauvais.
-Vous êtes malade ! Ma mère
s’est suicidée ! SUICIDEE ! !
Il avait presque hurlé le mot. Je
sentis que le vernis était brusquement en train de craquer. J’avais mis le
doigt sur un point sensible. Mais je ne devais pas le lâcher. Le moindre temps
mort et il reprendrait l’avantage.
-C’est étrange tout de même
Rovelland. Ou alors vous portez sacrément la poisse. J’ai l’impression qu’il ne
fait pas bon vous fréquenter. Frédéric Artois est mort à votre contact, peu
importe la manière dont vous vous y êtes pris finalement. D’autres sont morts
dans des circonstances mystérieuses. Mais vous n’étiez jamais très loin. Et
puis, votre mère. Défenestrée. Un accident. Et vous, comme toujours, aux
premières loges.
-Taisez-vous Fergusson. Vous
jouez à un jeu dangereux. Ne m’obligez pas à ...
-A quoi ? Qu’est-ce que vous
allez faire ? Ça vous amuse que je n’arrive pas à prouver quoi que ce soit,
hein ? Et si on jouait dans l’autre sens maintenant ? Si vous me
prouviez que vous n’avez pas tué votre mère ?
-JE NE VEUX JOUER A RIEN DU
TOUT ! Et je n’ai rien à prouver, A QUI QUE CE SOIT !!! Ma mère… Ma
mère… Je l’aimais, je l’aimais tellement… Mais elle est morte maintenant et je
ne vous laisserai pas la salir !
Sa voix devint tout à coup plus
assurée, son regard plus perçant. Instinctivement, je reculai. Steve Rovelland
leva son bras vers moi et serra le poing. Une douleur aiguë me traversa le
crâne.
Je fus comme plié en deux. La
migraine était intenable. Ma tête allait éclater, ce n’était pas possible
autrement. Je reculai, manquant de trébucher. Mes jambes ne me portaient plus.
Et Rovelland s’avançait toujours,
un rictus de fou sur le visage.
-Je pourrais vous tuer vous
savez ! Vous voulez la vérité ? Je vais vous la donner, Fergusson.
Comme ça, en repartant, vous aurez assemblé les pièces du puzzle. Mais vous ne
gagnerez pas pour autant. Parce que rien de ce que je pourrai vous dire ne sera
recevable devant une cour de justice. Personne ne vous croira. Puisque parfois,
je n’y crois pas moi-même.
Je continuai à ramper sur le sol.
Je parvins à saisir mon arme. A viser Rovelland.
-Arrêtez-ça, Steve ! Ne
m’obligez pas à m’en servir.
Mais il avait l’air de tout, sauf
s’avoir peur.
-Je vais vous donner une leçon,
Fergusson. Vous donner une idée de mon don.
Je faillis hurler. Mon corps ne
m’obéissait plus. Rovelland semblait le contrôler tout entier. « Il »
me mit debout, mes jambes frôlant le sol tel un pantin désarticulé. Mes bras,
étendus le long du corps, ne réagissaient plus. Mon mal de tête, même si ça me
semblait impossible, devenait toujours plus douloureux. J’aurais voulu me tenir
la tête à deux mains. Mais je ne pouvais pas. J’avais la sensation d’être une
âme dans une coquille vide.
Rovelland relâcha la pression. Je
m’affalai alors comme une merde sur le sol. Terrorisé par ce que je venais de
subir, je ne pus me retenir plus longtemps. Une coulée visqueuse s’échappa de
ma bouche et se répandit sur l’immense tapis de la bibliothèque.
-Vous vous en remettrez
Fergusson. Après tout, c’est vous qui avez voulu savoir. Mais vous avez eu de
la chance. Je n’ai pas cherché à vous tuer, mais ce n’est pas toujours
suffisant. Après tout, je ne cherchais pas non plus à tuer Frédéric Artois.
Juste à le neutraliser momentanément. Et puis, ça l’a tué. Je n’ai jamais ôté
la vie volontairement. Même si je n’ai jamais eu le moindre remord lorsque la
situation échappait à mon contrôle.
Je me relevai péniblement. Je
n’avais plus mal. Nulle part. Je regardai Rovelland. J’avais l’impression
d’être dans une sorte de quatrième dimension. J’essayai de mettre de l’ordre
dans mon cerveau embrumé. Je ne pouvais y croire. Les réponses que je cherchais
n’avaient rien de rationnel.
Steve Rovelland s’était tu à
présent. Il était pensif.
-Et ce don ? Vous l’avez
depuis longtemps ?
-Aucune idée. Mais vous allez
rire, il s’est manifesté pour la première fois le jour de la mort de ma mère.
Rovelland avait tort. Je n’avais
absolument aucune envie de rire. Mais je sentais qu’il était prêt à déballer
son sac. Je décidai d’y aller franchement.
-Puisqu’on est sur le ton de la
confidence, que s’est-il passé ce fameux soir où votre mère a traversé la
fenêtre ?
Il ricana.
-Vous êtes bien une saleté de
flic ! Toujours à attendre des réponses. Après tout, je pourrais estimer
vous en avoir dit suffisamment. Et ça peut être dangereux de vouloir trop en
savoir, vous comprenez ?
Je tressaillis. Je ne savais pas
si je devais prendre cette petite phrase assassine comme une menace. Mais je
pensais à l’expérience traumatisante que je venais de vivre. Je n’étais plus sûr de vouloir savoir quoi
que ce soit.
-Ma mère ne s’est pas suicidée…
mais je ne l’ai pas tuée non plus. Un accident. Mon père, ivre, prêt à me
briser en deux. Ma mère qui tente de s’interposer. Mon pouvoir qui se
manifeste. Ils furent tous les deux balayés de la pièce. Mon père a été freiné
par ma mère qui se tenait juste derrière lui. Mais elle… elle a subi le choc de
plein fouet et a été éjectée par la fenêtre. J’ai détesté mon père pour ça.
Sans cette violence, rien ne serait arrivé ce soir là. Mais chez nous, les
histoires de famille sont sacrées et ne sortent pas d’ici. Alors, mon grand-père
a tout arrangé. Puis, il est lui même décédé un peu plus tard. Enfin une mort
naturelle. Il ne resta plus que mon père et moi. Et ce secret entre nous.
Steve Rovelland marqua un temps
d’arrêt puis reprit.
-Voilà. Vous savez tout. Et ça
vous avance à quoi ?
J’avais l’impression que nous
étions là comme deux cons. Je savais tout effectivement. Et après ? Aucun
moyen de prouver quoi que ce soit. Ni de rivaliser avec le fameux pouvoir de
Rovelland. D’ailleurs, confondre Steve n’était plus vraiment ma priorité. Je
devais surtout l’empêcher de continuer. Et là, c’était une autre paire de
manches.
Je décidai de prendre congé. Il
fallait absolument que je sorte d’ici, que je prenne une bonne bouffée d’air
frais. Je me sentais sale, mal fichu. J’avais eu mon lot d’émotions fortes pour
la journée. Demain serait un autre jour. Et j’y verrais sans doute plus clair.
Mais certains jours, rien ne se
passe comme on le voudrait.
-Je crois que vous ne m’avez pas
bien compris inspecteur. Dans la famille, les secrets sont bien gardés. Vous
avez voulu savoir et j’ai respecté votre décision. Mais ce que vous avez appris
ne sortira pas d’ici.
Steve Rovelland soupira. Puis
reprit :
-Je vais devoir vous tuer.
Ironique, non ? La seule mort vraiment volontaire, ce sera la vôtre.
Je vous ai pourtant prévenu du
danger de vouloir toujours tout savoir, tout comprendre. Préparez-vous à en
payer le prix.
Je décidai de réagir vite cette
fois, sachant que, sinon, j’étais condamné. Je sortis mon arme. Mais la pensée
fut plus rapide. Steve Rovelland fut en moi en une fraction de seconde. Il prit
une nouvelle fois possession de mon corps. Avec horreur, je vis ma main droite,
celle qui tenait le revolver, remonter vers mes tempes sans que je ne puisse
rien faire. Un sentiment de terreur pure m’envahit. Je voulus hurler. Mais
Rovelland ne m’y autorisa même pas. Je ne pouvais plus rien faire. Mon corps ne
m’appartenait plus. Des larmes perlèrent sur mes joues. Je me mis à uriner puis
je fus secoué de tremblements. Mais ma main droite ne bougeait plus elle.
L’arme était contre ma tempe, si enfoncée qu’une douleur me vrilla la tête. Je
sentis les doigts appuyer lentement sur la gâchette.
On dit souvent que les héros s’en
sortent toujours. Je ne devais pas avoir le profil. Quelques images défilèrent
dans ma tête. J’étais mort.
Les doigts pressèrent un peu plus
sur la gâchette. C’était la fin.
BLAMM
Chapitre six : L’homme brisé
S
|
teve Rovelland s’écroula. Je ne
compris pas tout de suite. Je sentis que j’étais en train de récupérer le
contrôle de mon corps. Mes doigts encore crispés sur la crosse de mon arme se
détendirent soudain. Mon revolver tomba à terre.
Steve avait pris une balle entre
les deux yeux. Propre. Net. Imparable. Je me retournai alors et vit une forme
qui se tenait là, à l’entrée de la bibliothèque. Arme fumante encore au poing.
Ce visage… c’était celui que j’avais cru voir derrière la fenêtre, à l’étage,
en arrivant. Visage que j’avais déjà vu dans le dossier sur mon bureau. Celui
de Rovelland père. Jack Rovelland.
J’étais vivant mais toujours dans
un état second. Je n’avais plus les idées claires, je n’arrivais plus à
raisonner. Pourquoi diable avait-il tiré sur son propre fils ?
Jack se tenait toujours debout,
droit. Il dégageait une présence, une force incroyable. Son arme toujours
pointée devant lui. Il l’abaissa enfin.
-J’avais prévenu Steve de ce qui
arriverait s’il dépassait certaines limites. Ce n’était plus mon fils. Juste un
monstre, grisé par le pouvoir. Un monstre. Tout comme moi lorsque je buvais et
que je tabassais sa mère. Et lui aussi d’ailleurs. Je ne lui ai pas rendu la
vie facile. Et puis sa mère est morte. Mais il vous a déjà raconté. Il parle
d’un accident. Mais je ne suis pas d’accord. J’ai tué sa mère. Je l’ai tuée à
partir du jour où j’ai commencé à lui taper dessus. A partir de là, je l’ai
brisée. Elle et ses espoirs.
Toujours KO, je pris une chaise.
Jack s’avança vers moi, me tendit l’arme puis s’assit en face de moi. Son
regard s’était embué et il n’avait plus cette prestance qu’il avait eue en
entrant. Il faisait vieux, vidé, las.
-J’aimais ma femme.
Passionnément. Je… je ne buvais pas avant de la rencontrer. Et je m’imaginais
vivre heureux, avec elle. Mais ce pouvoir est apparu. Très vite, j’ai pris
conscience que ce don était un vrai fardeau, une malédiction. Je ne pouvais pas
le lui imposer. Alors je suis parti. Et j’ai bu, de plus en plus. Jusqu’au jour
où je me suis rendu compte que l’alcool annihilait ce pouvoir. Là, j’ai fait
l’erreur de ma vie. J’ai pensé que j’avais trouvé la solution. Et je suis revenu
vers elle. Mais je n’avais pas trouvé la solution. J’avais juste remplacé un
fléau par un autre encore pire. Et je suis devenu un monstre. Comme Steve.
Je n’étais pas de nature
compatissante en général. Mais rien que d’essayer d’imaginer ce qu’avait pu
endurer Jack me faisait froid dans le dos. Une vie de souffrances, de peurs,
d’errances.
-Je n’ai jamais désiré ce
pouvoir. Je n’ai jamais essayé d’en jouer, ni d’en profiter. Je le hais plus
que tout. J’ai même essayé d’en finir plusieurs fois. Mais impossible. J’ai
parfois l’impression que ce pouvoir est vivant, tant il échappe complètement à
mon contrôle en certaines occasions.
J’ai d’abord voulu me tuer par
balles. Ma main a refusé de m’obéir. Je n’ai jamais pu saisir l’arme. Une autre
fois, j’ai voulu me jeter sous un camion. Il a fait une embardée terrible. J’ai
même tenté le tout pour le tout. Un soir, j’ai bu comme jamais. Un soir où,
heureusement, personne d’autre n’était à la maison. Mais il fallait tellement
d’alcool pour neutraliser ce pouvoir qu’à la fin, je n’étais plus en état de
faire quoi que ce soit. Et encore moins de tenir une arme et d’appuyer sur la
détente. C’est ça, le plus rageant. Enfin, bref, je ne compte plus les fois où
j’aurais souhaité abréger toutes mes souffrances. Ca fait sans doute partie des
zones d’ombres de ce don, des mystères dont je n’aurai jamais les clés. Je peux
tuer n’importe qui, sauf moi.
Steve, lui, adorait ce don et les
possibilités immenses qui lui étaient offertes. Oh, bien sûr, il en a pris
conscience dans des conditions dramatiques et il est passé par une phase de
peur bien légitime. Mais ça n’a pas duré. Ce don lui conférait une puissance,
une force incroyable. Steve voulait absolument savoir jusqu’où il pouvait
aller. Il s’en amusait comme d’un jouet. Pendant deux ans, je sais qu’il a fait
des choses pas très recommandables. Jusqu’à ce fameux tournoi de tennis. Alors
je l’ai mis en garde. Je crois qu’il craignait ma propre force, et qu’il m’a
peut-être pris au sérieux. Mais ça ne l’a pas arrêté. Il vous aurait tué ce
soir. Je ne l’aurais pas supporté.
Il baissa les yeux et regarda le
sol, un peu sonné. Cet homme avait souffert toute sa vie. Jusqu’à devoir tuer
son propre fils.
-Vous étiez là depuis
longtemps ? , demandai-je.
-Je vous ai vu arriver. J’ai attendu
que Steve en finisse avec sa pitoyable mise en scène d’accueil. Puis je suis
descendu… Mais je sais à quoi vous pensez. Que j’aurais pu intervenir plus tôt.
J’ai bien conscience que vous avez vécu des expériences traumatisantes, ce
soir. Mais c’est mon fils, vous comprenez. Je devais être sûr avant de… avant
de…
Jack ne put finir sa phrase.
Quant à moi, j’allais appeler mes collègues. Il fallait nettoyer tout ça. Et
trouver une version qui tienne la route. Personne n’accréditerait la thèse d’un
pouvoir mystérieux dévastateur. De plus, Jack était une victime. Et m’avait
sauvé. C’était de la légitime défense. Je ne pouvais pas le laisser être
condamné.
-Tuez-moi, inspecteur.
Je tressaillis. Non, tout mais
pas ça. Je comprenais. Mais pas à moi. Il ne pouvait pas me demander ça à moi.
-C’est la seule façon d’en finir.
C’est prétentieux… parce que j’ai aussi fait beaucoup de mal. Mais je crois
avoir mérité de mourir à présent. Mais il faut que vous m’aidiez.
Il se leva, se dirigea vers le
bureau, en ouvrit l’un des tiroirs, prit l’arme qui s’y trouvait et revint
s’asseoir.
-C’est l’arme de Steve. Utilisez-là ! Ensuite, vous n’aurez
qu’à essuyer vos empreintes et mettre le revolver dans sa main. Vous aurez
ainsi une version toute trouvée : vous êtes venu nous interroger et vous
avez trouvé les cadavres d’un père et de son fils qui se sont entretués.
Certaines personnes seront peut-être sceptiques mais personne ne posera de
question. Les meurtres « mystérieux » de mon fils ont déjà fait
couler beaucoup d’encre et tout le monde sera bien trop content de clore enfin
le dossier.
J’hallucinais là. Il ne
comprenait pas. Il me demandait de commettre un meurtre. Un
meurtre ! ! !
-Je sais ce que je vous demande.
A vous en plus. Un représentant de l’ordre. Mais réfléchissez : c’est le
seul moyen. Tant que ce pouvoir sera en moi, je serai un électron libre. Une
menace. Pour moi. Pour les autres. Il faut que ça s’arrête. Je vais vous dire,
Fergusson : si j’en avais le pouvoir, je vous y obligerais. A me tuer. Mais
comme je vous l’ai dit, mon « don » ne vous contrôlera pas s’il sait
que c’est une action dirigée contre lui. Il faut donc que ça vienne de vous. Et
de vous seul. Vous avez une dette envers moi. Ma femme est morte. Mon fils est
mort. Mon père aussi. Et je suis un danger permanent à l’extérieur. Alors
aidez-moi à en finir. Je vous en prie.
En une fraction de seconde, je
saisis l’arme qu’il me tendait et fit feu. Parce que si j’avais réfléchi
davantage, je n’aurais jamais pu tirer. Jamais. Jack Rovelland me sourit, toujours
avachi sur son fauteuil. Il semblait apaisé. Une dernière lueur passa dans ses
yeux et il mourut. J’avais visé en plein cœur.
Je me sentais mal. Mais je
n’éprouvais pas de remords. Jack Rovelland avait raison. Il n’y avait qu’une
chose à faire pour que tout s’arrête. Et pour que je paye ma dette envers lui.
Subitement, le poids de cette
pièce, de cette maison, fut trop lourd pour moi. Il me fallait sortir. Tout de
suite. J’effaçai mes empreintes de l’arme de Steve puis me pencha vers lui et
mit le revolver dans sa main. Il y avait bien sûr d’autres empreintes de moi
dans la maison. Mais ça n’avait pas d’importance puisque que j’avais découvert
les corps. La scène était horrible et je n’avais pas pu m’empêcher de vomir en
découvrant le spectacle.
J’utilisai mon portable pour
appeler des renforts et une ambulance. Puis je sortis précipitamment.
La nuit était noire à présent,
seulement éclairée par le lampadaire devant l’imposant bâtiment..
En tout cas, Steve Rovelland
avait vu juste au moins sur un point. Tous les secrets, quels qu’ils soient, ne
sortiraient pas de cette maison.
Puisque mon avis a été requis je vais m'employer à être celui qui d'un côté offre des bombons et de l'autre assène les coups de bâtons.
RépondreSupprimerJ'ai eu le plaisir en 24heures de lire deux nouvelles si complaisamment offertes à mes yeux par l'ami Franck.
Il semblerait que je l’ordre de mes lectures ne soit pas le bon, j'ai commencé par "Blanche" et poursuivi par la présente "Humeurs assassines". Cette inversion n'a pas de conséquences puisque les deux récits, bien qu'ils se complètent, peuvent être lus indépendamment l'un de l'autre.
Un premier constat : Franck, tu as une capacité remarquable pour inventer des intrigues et les mener à bien. Que dès le départ tu ne saches pas toi même où tu vas en venir n'a pas l'air de poser de problèmes. Le sujet est prenant, il donne envie d'aller au bout de l'histoire.
Pour ma part j'aime beaucoup les phrases courtes, elles donnent du rythme au récit. Mais elles ont un inconvénient, c'est ce que j'ai constaté lorsque j'ai écrit mon ouvrage, elles donnent l'impression que l'auteur veut arriver au plus vite au dénouement. Ce n'est bien sur pas le cas, alors une technique consiste à insérer des passages plus longs, pour décrire le contexte, la pièce etc.
Certains parleront du style, je pense qu'avant de se conformer à un style bien particulier il faut être soi même. L'expérience, bonne ou mauvaise, fait le reste. Paris ne s'est pas fait en un jour.
Le foisonnement d'idées que tu couches sur le papier m'amène à croire qu'un développement du sujet ferait un livre appréciable.
La pommade c'est terminé, passons aux coups de bâton en place publique.
Malheureusement pour toi je suis un ancien flic, ben oui quoi tout le monde commet des erreurs!!
La partie enquêteur de ce métier est bien figée dans mes réflexes.
Un évènement surnaturel ne peut se produire qu'au sein d'un milieu naturel, si ce n'était pas le cas on n'en parlerait pas en ces termes. Puisque l'intrigue se déroule dans notre milieu naturel ce qui se passe autour doit l'être aussi. Pour que notre cher Inspecteur puisse avoir un doute il lui faut un indice, aussi léger soit-il l'intuition est réellement un bon début pour un enquêteur, mais il en faut un peu plus au point de vue d'une enquête. Un lecteur averti, ceux qui sont passionnés d'intrigues policières comme les vrais enquêteurs, se rattachent toujours à un détail. Le plus difficile pour l'auteur est de présenter ce détail dans une foule d'autres renseignements ou constats.
Pour rester dans la crédibilité, la partie non surnaturelle, il ne faut pas s'éloigner du domaine de la réalité, de ce qui est vraisemblable.
Deux exemples :
Un type qui conduit en état d'ébriété (en France) ne fera jamais l'objet d'un relevé d'empreintes (cf BLANCHE), nombreux sont les lecteurs qui ont eu à souffler dans l’alcootest pour le savoir.
Ici l'inspecteur Fergusson essuie le pistolet qu'il remets dans les mains de Steve. C'est bien l'idée est bonne et même c'est un fait courant en réalité, seulement un Inspecteur sait qu'une enquête ne se termine pas sur ses simples déclarations. Il faut faire tirer l'arme dans les mains de Steve pour qu'il y ait un dépôt de poudre décelable, au cas ou...
Au final c'est vraiment pas mal et mes suggestions ne sont là que pour t’inciter à aller plus loin.
Merci pour cette brillante thèse ;-) à laquelle je vais tenter de répondre partiellement. Concernant le potentiel effectif ou non de certaines de mes nouvelles en un format plus long, la question s'est sérieusement posée un temps avec Humeurs Assassines, notamment "poussé" par mon beau-frère qui trouvait qu'il y avait matière à faire. Je pense que Sarah s'y prêterait éventuellement, Piccolo aussi mais sous une autre structuration de l'ensemble. Mais j'ai tellement envie de créer de l'inédit en ce moment (frustration de la page blanche) que je n'y pense pas vraiment.
SupprimerConcernant les points qui "posent problème", je suis bien d'accord et heureux d'apprendre des choses de la part d'un professionnel qui est bien placé pour dire ce qu'il en est. Même si ma technique de l'écriture "en live" sans relecture ni préparation m'expose forcément à ce risque d'erreurs. Voilà en tout cas des erreurs que je ne reproduirai pas, merci à toi ! Et franchement, l'histoire du dépôt de poudre, je la connaissais à force d'avoir regardé Arabesque à la télé (entre autres choses) et ça ne m'a pas empêché de faire cette erreur grossière, snif ! Merci pour ton apport forcément constructif sur mon travail en tout cas !
CONSTRUCTIF, tu as lâché le mot. C'est tout l'intérêt des échanges, quel que soit le sujet.
SupprimerTrop de blogs ou de pages sur les réseaux sociaux sont déviés de leur mission première, la communication dans le respect.
Ensuite nous avons tous à apprendre les uns des autres, personne ne peut se targuer de tout connaître ou de tout savoir.
On se retrouve sur "Cheminement dans l'écriture : part 2"