jeudi 17 janvier 2013

Humeurs assassines (Intégrale)




Chapitre un : Le prix de la victoire


F
red avait indiscutablement démarré très fort le match en balayant le cours de gauche à droite avec un coup droit tout bonnement hallucinant. En un peu plus de quarante minutes, il menait déjà 6-0 5-2 service à suivre. En face, je dois bien reconnaître que j’étais quelque peu sonné par ce florilège de frappes violentes qui me laissaient systématiquement un à deux mètres derrière la ligne de fond de court. Intérieurement, j’avais surtout du mal à me contenter de faire de la figuration. Mais le vent finirait bien par tourner. Il ne pouvait en être autrement.
Devant moi, Fred prenait un soin tout particulier à choisir ses balles de service. Il en prit deux, les jeta finalement au profit d’une troisième. Il arma alors son bras, lança la petite balle jaune qui, l’espace d’un instant, sembla ne faire qu’un avec le soleil qui me cramait la face, avant de retomber. Fred la frappa alors de toutes ses forces. J’eus la bonne idée de partir du bon côté malgré une lecture de trajectoire plus qu’aléatoire et je crus sincèrement que mon poignet ne supporterait pas le choc lorsque la balle sembla foudroyer ma raquette. Finalement, je réussis un retour de service tout à fait satisfaisant. En face, Fred semblait me regarder bizarrement. En fait, il semblait regarder bizarrement tout court. Il semblait figé, hagard. Il ne retourna pas la balle. Il ne retournerait d’ailleurs plus aucune balle.
Il s’écroula comme une pierre sur la terre battue tandis qu’un frémissement de surprise et d’appréhension parcourait la foule des 500 personnes entassées sur les gradins. Moi-même, j’étais sans réaction.
J’avais gagné !

Les applaudissements de rigueur lors d’une victoire de cette importance – à domicile !- furent remplacés par les cris hystériques de quelques badauds. J’étais assis sur ma chaise, attendant la remise des prix. A quelques mètres de moi, la mère de Fred pleurait toutes les larmes de son corps, sans aucune retenue, épaulée par la vieille chouette cramoisie qui lui servait de mère. Je n’ai jamais pu supporter ces gens faibles qui affichent leur douleur ou leur peine. Il devrait y avoir des pièces exprès pour ça !
Un peu plus loin, autour du corps maintenant recouvert, le maire et quelques policiers ainsi que le responsable du tournoi semblaient prendre ce que l’on appelle communément « les dispositions nécessaires ». Au bout d’un moment, n’en pouvant plus et n’ayant pas que ça à faire, j’interpellai le responsable : « Dites, cette affaire doit-elle vous faire oublier qui a gagné cette finale ? Alors, j’apprécierais d’avoir mon trophée. Et je suis également à votre disposition pour la photo pour le journal local. Entre nous, le côté gauche est mon meilleur profil ».
La mère de Fred me fixait à présent. Dans ses yeux, je voyais l’horreur mélangée à de la colère difficilement contenue.
Je lui offris alors mon plus beau sourire.

Le lendemain, j’eus du mal à ne pas exploser en ouvrant le journal. Frédéric Artois était en première page. Pour ma part, je dus me contenter d’un maigre entrefilet en page 17 où figuraient simplement le score final et la retranscription de mon mécontentement d’après match. Je parcourus l’article si rapidement que je faillis rater les propos assassins de la correspondante locale qui analysait ainsi mes performances de la semaine :
« Il est formellement hallucinant de constater à quel point Steve Rovelland a pu profiter de circonstances curieuses pour se hisser en finale. Quatre abandons ont constitué le triste record de ce tournoi qui aurait assurément gagné à avoir un vainqueur hautement plus prestigieux que celui que les responsables ont dû se résoudre à inscrire sur leurs tablettes. Il est incontestable que le regretté Frédéric Artois représente aux yeux de tous le seul véritable vainqueur de ce match, tant au niveau de la qualité de jeu produite que de celui de la sportivité. Deux vertus qui semblent faire cruellement défaut à Steve Rovelland. »
Et cette garce avait intitulé son article : « Le perdant gagnant ».
Ecœuré par ce manque de reconnaissance qui concerne tous les grands de ce monde, je décidai de prendre quelques heures de repos et m’installai paresseusement sur le lit où je ne tardai pas à m’endormir. Dans mon sommeil, la correspondante du journal local avait pris l’apparence d’une raquette de tennis. Je la tenais fermement entre mes doigts et la fracassais allègrement contre le sol dont la surface en terre battue avait fait place à un ciment du plus bel effet. Je sentais une folie douce m’envahir agréablement tandis que la raquette-correspondante-de-presse s’écrasait pour la énième fois alors que le ciment rougeoyait toujours davantage. Quelques secondes plus tard, elle gisait, morte, démembrée, au milieu du court.
Et alors, comme un enfant privé de son plus beau jouet, je me mis à hurler.

Je me mis même à hurler pour de bon lorsque le poing de mon père s’abattit sur moi pour la troisième fois. Ensuite, il me saisit par le col et me traîna ainsi sur une dizaine de mètres. Il était écarlate. Et je savais que, cette fois, il me serait extrêmement difficile de le raisonner. Il me lâcha finalement sur le fauteuil du salon. Mon nez était probablement cassé ou écrasé et du sang en coulait jusque dans ma bouche.
-Tu n’as pas pu t’en empêcher, hein ! Il a fallu que tu recommences ! Hurla-t-il. « Tu n’apprendras donc jamais ! Quel besoin avais-tu de tuer ce type ? Il te suffisait, je ne sais pas moi, de provoquer une insolation ou une entorse ! Ou plus simple, il t’aurait suffi d’apprendre à perdre, pour une fois ! »
-Ce n’était pas prémédité, rétorquai-je. Frédéric Artois n’a jamais gagné un seul tournoi dans sa putain d’existence. Il est parvenu neuf fois en finale mais n’a jamais réussi à s’imposer. Du coup, je croyais la victoire acquise mais ce crétin a lâché tous ses coups comme s’il jouait le match de sa vie. Jamais je n’aurais permis à ce loser de m’humilier plus longtemps ! Je ne voulais pas le tuer mais ma rage intérieure a décuplé mes capacités.
-Qui m’a fichu un imbécile pareil ! ! Tu en es à quatre homicides et je ne parle pas des violences diverses… et puis tiens !
Le poing de mon père s’abattit une nouvelle fois. Une brûlure me vrilla tout le côté gauche. Je fronçai les sourcils, cherchant à me concentrer mais il ne m’en laissa pas le temps. Ses mains massives enserrèrent mon visage puis pressèrent mes tempes.
Je me sentais étouffé, compressé.
-Pauvre abruti ! Dois-je te rappeler que tes petits talents n’ont aucun effet sur moi ? Que de ce côté là, je te suis et te serai toujours supérieur ?
Il relâcha son étreinte alors que ma vue commençait à se brouiller. J’étais pourtant habitué à ses accès de colère mais il n’avait jamais été aussi déchaîné. Enfin, presque.

Il s’était assis à présent, bouillonnant de l’intérieur. Il s’était tu et fixait le plancher. Je ne doutais pas de l’effort surhumain qu’il était en train de fournir pour contenir la rage qui le minait.
On resta un long moment comme cela, sans parler.
Puis il se leva et dit : « Ta mère me reprochait deux choses : de boire et de te cogner dessus. Pour la première, elle avait très certainement raison. Mais pour la seconde, je crois qu’il n’y a que ça que tu comprends. »
Il soupira. « L’inspecteur Fergusson est sur cette affaire et il a une sacrée réputation de fouilleur de merde. »
Je tressaillis : « Quel inspecteur ? Le médecin légiste a conclu à une rupture d’anévrisme ! Il ne peut pas y avoir d’enquête ! »
-Ben voyons, ricana mon père, moi, je peux t’assurer que ce flic pose beaucoup de questions et qu’il entend bien avoir des réponses. Et tu le sous-estimes vraiment si tu crois qu’il ne remontera pas jusqu’à toi. Parce que dis-toi bien que ça ne manquera pas d’arriver !
Je regardai mon père fixement. J’aurais voulu qu’il s’en aille à présent. Qui que soit ce prétendu inspecteur, que pourrait-il prouver ? Absolument rien ! Mon premier adversaire avait eu un torticolis aussi soudain que douloureux quelques minutes avant le début du match, le deuxième s’était brisé les parties avec un coup malencontreux de sa raquette, le troisième avait eu des diarrhées chroniques et l’avant dernier avait été expulsé après avoir uriné comme un bébé pour la troisième fois au cours de la rencontre.
Mon père se rapprocha de la porte : « Fergusson aura vite fait le lien entre cette mort et les trois précédentes. Surtout, il aura tôt fait de constater que tu étais présent à chaque fois. Et il ne te lâchera pas tant qu’il n’aura pas réuni les preuves nécessaires à ton incarcération. Le jour où ça arrivera, ne compte pas sur moi pour te tirer du guêpier. Et si tu comptes sur une victime supplémentaire, oublie cette idée. Si tu as la mort d’un représentant de l’ordre sur la conscience, je te tuerai de mes propres mains. Je pensais qu’un tel pouvoir te rendrait digne… Vois ce que tu es devenu ! »
Il ouvrit la porte, me jeta un bref regard où se mêlaient désapprobation et dégoût et s’en alla.

Après son départ, je me ruai sous la douche. Je me sentais profondément irrité et tentais de mettre de l’ordre dans mes idées. Bon ! Apparemment, le flic viendrait me rendre visite sous peu. Ensuite, il fouillerait mon passé et s’apercevrait sans nul doute que j’étais présent dans chaque ville où un crime avait eu lieu. Mais pour le reste, son enquête piétinerait lamentablement. A Limoges, le gars était mort à la sortie d’une discothèque. Il avait pris son véhicule et atteint la vitesse maximale avant de bêtement s’encastrer dans un mur. Ceci quelques heures après qu’il m’ait bousculé en boîte. Fâcheuse fatalité, non ?
La seconde victime était une vieille au volant d’une de ces voiturettes sans permis, sur une route du sud de la France. Ah ! J’avais eu beau klaxonner, pas moyen de la faire se serrer. Finalement, elle avait eu un malaise cardiaque et avait quitté la route.
La troisième était un sans-abri qui m’était tombé dessus un soir où je me promenais dans la capitale. Il avait sorti un ridicule petit canif de sa poche et tentait de me soutirer de l’argent pour payer son misérable litron de rouge. Je n’eus pas à beaucoup me concentrer avec lui. Son bras fit un arc de cercle remarquable et la lame lui trancha proprement la gorge. Je le revois encore titubant, comme aux heures de ses plus belles cuites probablement avant de s’écrouler sur son carton de misère.
Et puis, il y avait donc eu ce maudit joueur de pacotille. Et je n’étais pas peu fier du résultat. Mon père pouvait dire ce qu’il voulait. Je n’avais pas peur. Ni de lui… ni de l’inspecteur Fergusson.

J’étais prêt.

Chapitre deux : Intimes convictions


C
ette affaire me laissait perplexe mais j’étais à peu près sûr d’une chose : Steve Rovelland était la clé, quel qu’ait pu être son degré d’implication dans les multiples incidents qui avaient émaillé le tournoi de tennis. Tous les matches qu’il avait disputés avaient donné lieu à des phénomènes plus ou moins étranges mais qui, mis bout à bout, faisaient tout de même beaucoup. Et je ne croyais pas à de quelconques coïncidences.
Ce qui était sûr, c’est que les responsables du tournoi et l’ensemble du personnel ne l’appréciaient guère. Steve Rovelland passait pour être marginal, méprisant et extrêmement imbu de sa personne. Il avait notamment giflé un ramasseur de balles sous prétexte que ce dernier traînait pour lui amener une bouteille d’eau. Mais surtout, il avait choqué l’assistance en exigeant la remise officielle de la coupe du vainqueur alors qu’à moins de deux mètres, Frédéric Artois gisait encore sur le court. C’est cette réaction qui me mettait le plus mal à l’aise. Que peut-il se passer dans la tête d’un tel individu pour réagir de la sorte ?
Quoi qu’il en soit, je ne m’attendais pas à une partie facile. La culpabilité de Steve Rovelland ferait le bonheur de beaucoup de personnes, à commencer par la propre mère de la victime mais il serait très difficile de le confondre. D’ailleurs, rien ne l’accusait vraiment. Après tout, il était de l’autre côté du filet lorsque Frédéric Artois s’était écroulé et le médecin légiste avait établi que la mort était due à une rupture d’anévrisme.
Mais après 25 ans de métier, il y a une chose que j’ai appris à ne pas sous-estimer. L’intuition. Et en ce qui me concerne, elle m’a sorti de bien des guêpiers. Et pour l’instant, elle me disait clairement que Rovelland était mon homme.

Je relus le rapport d’enquête que j’avais sous les yeux. Pas celui sur l’affaire en cours, non. Plutôt une sorte de carnet de route de Rovelland. Sa vie, son œuvre, quoi !
Enfance financièrement aisée à défaut d’être heureuse. Un père américain alcoolique plusieurs fois arrêté pour violences conjugales. Une mère française qui finit par se défenestrer pour échapper aux accès de rage de son mari. Mais un suicide comme conclusion de l’enquête.
Après ça, Rovelland fils écume la France de long en large. Avec un niveau de vie plutôt élevé…hôtels, restaus, boîtes, grosses cylindrées et p’tites pépées comme on dit. Mais Rovelland ne manque pas d’argent. Son grand-père, qui jugeait son fils indigne de gérer son empire de construction automobile, a tout légué à son petit-fils. Il pensait sans doute le voir reprendre le flambeau. Mais après sa mort, Steve s’est empressé de tout revendre. Et de partir avec le pécule. Sa mère étant morte quelques semaines auparavant, rien ne le retenait plus ici.
Deux années entières à parcourir tous les endroits branchés du pays. Apparemment,
Rovelland n’avait pas cherché particulièrement à passer inaperçu. Tant mieux ; Cela me
faciliterait la tâche. Car un long et fastidieux travail d’investigation m’attendait. J’allais  devoir repasser derrière lui et voir si des incidents n’avaient pas émaillé son tour de France. Je me demandais vraiment sur quoi j’allais bien pouvoir tomber. Mais je n’étais pas optimiste. D’ailleurs, ce qui m’inquiétait n’était pas vraiment ce que je pourrais trouver mais plutôt ce que je ferais ensuite.
Car si Steve Rovelland avait, d’une façon ou d’une autre, du sang sur les mains, ça resterait difficile à prouver.
Je repensai un instant au joueur de tennis terrassé par une rupture d’anévrisme. Si c’était un meurtre… comment diable avait-il fait ?
Un frisson me parcourut l’échine. Bon sang, à qui avais-je donc affaire ?

Chapitre trois : Une douleur du passé


M
on père m’avait donc dit qu’il me tuerait de ses propres mains si je venais à m’en prendre à ce flic… ce Fergusson. Drôle de nom. J’ai comme l’impression que ce petit inspecteur a comme moi un peu de sang américain. Peu importe. Je me fous de ses origines. Mais je ne dois pas le sous-estimer. Et je vais devoir garder mes petits nerfs au chaud. Si je crève ce flic, mon père rapplique. Et s’il rapplique, je crève aussi. Parce que, face à lui, je ne peux rien. Sauf employer des méthodes « classiques » peut-être. Mais certainement pas mon « pouvoir ». Parce que là, on ne joue pas dans la même catégorie. Il est fort, très fort.
Je ne sais pas d’où nous vient ce fameux pouvoir. Mon père n’a jamais voulu en parler, sauf une fois, mais je serais surpris qu’il connaisse la réponse. Sous l’emprise de la colère ou d’une émotion forte, nous pouvons avoir des réactions très particulières, dévastatrices. Mais il nous faut aussi, quelque part, le vouloir, même inconsciemment. Ce pouvoir m’a effrayé tout d’abord. Mais pas bien longtemps. Je m’en suis vite amusé. Je ne m’en cache pas d’ailleurs. Il est la réponse à toutes mes contrariétés. Mais le dosage est délicat. Parfois, on veut juste donner une leçon à quelqu’un. Et puis on le tue. Après, soit on se morfond comme un prostré, soit on assume. Moi, j’assume pleinement. D’accord, il y a eu quelques ratés. Le gars qui m’avait heurté en boîte à qui je voulais donner une petite frayeur. J’ai un peu forcé la dose sur ce coup là. Idem pour la mamie. Je voulais lui faire perdre le contrôle de sa voiture. Finalement, elle a eu un arrêt cardiaque. Enfin, bon, dans toute expérience, il y a des cobayes et quelques échecs. Rien qui ne peut m’empêcher de dormir heureusement.
Ce pouvoir m’est apparu récemment. Mais le prix à payer a été énorme. Enorme.

C’était par une froide nuit automnale. Mon père est rentré effroyablement ivre, encore plus qu’à l’accoutumée. Je n’aurais jamais cru ça possible, qu’il puisse être toujours plus ivre à chaque fois. Là, ça dépassait tout ce que j’avais pu voir jusqu’à présent. Débraillé, une bouteille encore à la main, il se tenait debout devant moi. Enfin, quand je dis debout… Il était comme fou. Ses yeux, écarquillés, étaient injectés de sang et un horrible rictus semblait balafrer son visage sur toute la longueur. Je ne l’avais JAMAIS vu comme ça. Pourtant, des cuites, il en avait connu quelques unes. Dans ces cas là, il hurlait sur tout ce qui bouge et il suffisait d’attendre. Enfin, ça, c’était le scénario idéal. Parce qu’enfant, j’avais quand même tâté du ceinturon. Et de ses poings aussi. Ma mère s’interposait parfois. Alors il se défoulait sur elle. Mes hurlements n’y changeaient rien. D’autres soirs, quand il rentrait, ivre comme à son habitude, ma mère venait me rejoindre dans mon lit, se blottissait contre moi et attendait que la tempête passe. Et priait pour qu’il ne vienne pas à ouvrir la porte de la chambre. Quand il ne s’en prenait pas à nous, il saccageait tout. Je me souviens que je sursautais à chaque fois qu’il cassait quelque chose. Avec lui, j’ai appris les larmes, j’ai appris la peur, la vraie, celle qui vous ronge de l’intérieur. Mais la vraie peur ne tue pas malheureusement. Oh non ! Elle vous laisse en lambeaux pour mieux revenir la fois suivante. Et elle vous ronge à nouveau. Et encore. Et encore.
Avec le temps, mon père s’en prenait moins à moi. Pourtant, même en grandissant, je ne peux pas dire que je sois devenu très corpulent. Mais les coups devenaient plus rares. Il était toujours aussi saoul, aussi souvent. Il se déchaînait contre les meubles, laissant ma mère, résignée, brisée, pleurer dans un coin pendant qu’il dévastait tout dans la maison. Certains soirs, cette rage était impressionnante. Et parfois, même si cela me faisait honte, j’éprouvais presque une sorte de fascination. Une tristesse immense vis à vis de ma mère, de sa vie gâchée à cause de cet homme. Et une haine croissante pour mon père. Mais une fascination quand même. De voir jusqu’à quel point l’homme pouvait aller.

Mais ce fameux soir, je n’éprouvais aucune fascination. Juste de la peur, celle dont je parlais tout à l’heure, qui vous broie sans vous laisser mourir. Quelque chose en lui était différent. Il n’arrêtait pas de me fixer et de me montrer de l’index, sa bouteille dans la même main.
-Toi ! Toi ! Sale enfoiré ! Je vais te tuer une fois pour toutes. QU’EST CE QUE TU AS DE PLUS QUE MOI, HEIN ? QU’EST CE QUE TU AS DE PLUS QUE MOI ???
Il hurlait à présent. Il me serait impossible de la raisonner. Je m’attendais à une soirée vraiment difficile. Dans ma tête, je crois que j’étais déjà mort.
-Je ne comprends pas, dis-je, de quoi tu…
-Tais toi, fils indigne ! TAIS TOI ! Je ne veux plus t’entendre, plus un seul mot ! Comment as-tu osé ? COMMENT AS-TU PU FAIRE CA A TON PROPRE PERE ?
J’essayais de rassembler mes idées mais rien ne venait. Je n’étais pas un saint, mais je ne voyais franchement pas ce qui le rendait aussi fou de rage.
Mon père prit une chaise et s’assit en face de moi, sa bouteille toujours à la main. Il me fixait toujours. Il eut un rire mauvais qui ne présageait rien de bon. Il cherchait à se contrôler mais je savais que ça ne durerait qu’un temps.
-Je suis allé voir mon père aujourd’hui, Steve. (Mon père avait prononcé mon prénom en sifflant entre ses dents, comme si ça lui brûlait la langue). Enfin, c’est lui qui a demandé à me voir. Tu le connais ton grand-père, hein ? Il n’est pas le genre de personne à attendre, n’est-ce pas ? Alors j’y suis allé.
Il s’arrêta et but quelques gorgées de vodka. Tout en inclinant la tête vers le haut, il ne me quittait pas du regard. Ce qui le rendait encore plus fou, comme un animal enragé.
-Tu sais ce qu’il me voulait ce vieil imbécile ? TU SAIS CE QU’IL VOULAIT ?, hurla t-il. ME DESHERITER ! MOI ! SON PROPRE FILS ! ! !
Sa respiration s’était accélérée. Il ne pourrait pas se contenir bien longtemps. Je cherchai alors à fuir son regard et je vis ma mère, en pleurs, quitter la pièce. Je ne comprenais pas. Mais je n’eus pas le temps de me poser des questions. La main libre de mon père me prit par les cheveux et mon regard revint aussitôt en face du sien.
-Dis ! TU M’ECOUTE, OUI ! ! ! Dis que je t’emmerde tant que tu y es ! Ou peut-être es-tu trop fier de m’avoir pris la place ! Parce que c’est toi, pauvre demeuré, qu’il a choisi pour lui succéder à la tête de l’empire ! TU LE CROIS, CA ??? Le vieux, il m’a annoncé ça tout tranquillement. Et que je n’étais pas capable, que j’étais la honte de la famille etc. etc. Pendant une heure, j’ai du me coltiner son blabla insupportable. Mais c’est mon père… je ne veux rien faire contre lui. Mais toi… toi, si tu n’es plus là, je reprendrai la place que je mérite auprès de mon père. Et je serai le seul successeur de l’entreprise familiale.
Il me fixa, le regard franchement mauvais. Je n’arrivais pas à croire ce que j’entendais. Il était prêt à me tuer dans la minute. Il était bourré mais je savais que je n’avais pas la moindre chance. Je me voyais déjà mort.
Un bruit de verre brisé me tira de ma torpeur. Mon père avait fracassé sa bouteille contre la table basse et me menaçait maintenant avec le tesson de la bouteille.
-Désolé, fils, mais je crois que l’on est arrivé au bout cette fois. Mon père… je ne peux pas le laisser faire, tu comprends ?
Il se leva. Il me semblait immense. Il leva son bras, la bouteille brisée fermement tenue entre ses doigts. Et l’abattit.
On dit parfois que la vie ne tient qu’à un fil. Que tout peut se jouer en un instant. Ce fut le cas aujourd’hui. Ma vie bascula en une fraction de seconde. Elle ne fut pas la seule.
Lorsque mon père leva son bras, je vis quelque chose derrière lui. Ma mère, qui ne pleurait plus. Ma mère qui était armée de la batte de base-ball de mon père, un des rares vestiges de son passé d’américain. Elle arma son geste.
Il ne l’avait pas vue mais il fut plus rapide. Son bras descendit à une vitesse folle vers moi. Je me protégeai instinctivement des deux bras en fermant les yeux et hurlai : « NOOOOOON ! ! ! ! ! »
Je ne compris pas ce qui se passa alors. Mon père fut violemment projeté à l’autre bout de la pièce. Puis il y eut un bruit de verre. J’ouvris enfin les yeux. Mon père, hagard, était étendu près de la fenêtre. La fenêtre… elle était brisée… L’esprit embué, je me ruai vers ce qu’il en restait et me penchai au dehors.
Quelques mètres plus bas, ma mère gisait sur le bitume, la batte à quelques centimètres d’elle…

Mon père me rejoignit à la fenêtre, prit sa tête entre ses mains et étouffa quelques sanglots.
-Non… ce n’est pas possible… Pas elle… Mon Dieu ! Mon Dieu ! Qu’avons-nous fait ?
Il paraissait désorienté. Subitement, il semblait moins saoul, tant sa colère était retombée.
D’ailleurs, il ne me regardait pas. Ses yeux ne pouvaient se détacher du corps de ma mère.
-Mon père… je dois l’appeler… Il me dira quoi faire… Oui, lui saura…
Il traversa la pièce d’un pas mal assuré et décrocha le téléphone. Pendant qu’il discutait, j’essayais de reprendre mes esprits. Je n’arrivais pas à réaliser. Je transpirais abondamment. De mon front perlaient de grosses gouttes. Je fixai ma mère et subitement me ruai vers l’escalier. Se pourrait-il que… Une fois dehors, je m’agenouillai près d’elle et lui prit la main. Mais le miracle que j’espérais tant ne se produisit pas. Elle était bel et bien morte. La violence du choc sans doute. Elle ne saignait pas. Son visage traduisait encore la rage qui l’habitait lorsqu’elle avait armé le mouvement de la batte. Je refermai ses yeux encore grand ouverts. Et je restai un long moment près d’elle, sa main inerte contre ma joue, en pleurant doucement. Je n’aurais du penser qu’à elle en cet instant. Mais il m’était impossible de ne pas revivre la scène. Mon père m’aurait tué, c’est certain. Je le revois encore, au dessus de moi. La bouteille brisée qui descend à une vitesse vertigineuse. Et mes bras qui tentent vainement de faire barrage, mes yeux qui se ferment. Et puis… Et puis… mes yeux qui se rouvrent. Mon père affalé à l’autre bout de la pièce… La fenêtre brisée…et ma mère… ma mère… Je la fixe avec horreur avec présent. Je réalise enfin. Elle est morte. Morte. Je prends sa tête dans mes mains et je la presse contre moi. « Maman ! ». Je pleure à nouveau. Mais sans pouvoir m’arrêter cette fois. Tandis que le lampadaire semble nous envelopper de son faisceau lumineux.
Au bout d’un moment qui ne me paraît pas assez long, mon père nous rejoint. Il détourne son regard à présent.
-Ton grand-père va arriver… il dit qu’il s’occupe de tout. Je crois qu’on n’a pas à s’inquiéter.
Il resta silencieux un instant. Puis, ne pouvant plus ignorer l’insistance de mon regard, il me fixa et dit :
-Ce pouvoir… je me demandais si tu l’avais, et quand il se manifesterait. Bien malgré toi, tu l’as utilisé à bon escient aujourd’hui.
Il soupira, visiblement gêné.
-Parti comme j’étais, je t’aurais probablement tué ce soir. Mais ce que je pourrais dire ou faire n’y changerait rien. Je suis un ivrogne, un moins que rien… Mais je n’ai trouvé que ça pour…
Il se baissa à ma hauteur et m’empoigna solidement, sans finir sa phrase.
-Tu dois faire très attention à ce pouvoir. Ce n’est pas une bonne chose. Si tu n’arrives pas à le contrôler, les pires choses pourraient arriver… Tu vas te sentir fort et être tenté d’en abuser. Mais crois-moi, un jour, tu en paieras le prix fort. Comme moi, je le paye aujourd’hui.
Je ne comprenais pas bien. Faut dire que je n’avais pas les idées très claires. Aussi loin que je me rappelle, mon père n’avait jamais usé d’un tel pouvoir. D’ailleurs, je n’aurais jamais pensé qu’il pouvait le posséder. Mais apparemment…
-Je ne sais pas d’où me vient ce pouvoir, continua t-il. Mais c’est une malédiction. Alors que je n’étais qu’un jeune homme, il a coûté la vie à deux personnes. Ensuite, j’ai rencontré ta mère. J’en étais fou amoureux. Mais je savais que je n’étais pas pour elle. Que ce pouvoir pouvait la tuer sans que je puisse contrôler quoi que ce soit. Alors je me suis effacé. Et j’ai sombré dans la solitude. Et l’alcoolisme. Mais un jour, alors qu’une bande me prenait à parti et que je tentais de me concentrer pour leur donner une leçon, je me suis rendu compte que mes pouvoirs étaient inopérants. Que l’alcool empêchait toute concentration. Ce soir là, j’ai pris la plus belle dérouillée de ma vie. Mais j’avais trouvé la solution à mon problème. Enfin, pas la meilleure mais la moins pire. Alors j’ai retrouvé ta mère, nous nous sommes mariés peu après puis nous t’avons eu. Lorsque je me sentais d’humeur irritable, je buvais en cachette pour ne pas provoquer le réveil de ce « pouvoir ». Au début, c’était très épisodique. Mais les moments de doute se sont succédé. Les galères aussi. Et je buvais de plus en plus et de plus en plus souvent. J’avais tellement peur de ne plus me contrôler, de vous faire du mal à toi et à ta mère. Pendant ces crises, mon pouvoir ne s’est jamais manifesté. Mais l’alcool me rendait agressif, violent. Ta mère a tenté de te protéger. De se protéger aussi. J’aurais du lui demander de partir. Je n’en ai jamais eu le courage. Elle a tout subi. Tout vu, tout encaissé. Je l’aimais mais je la battais. Et toi aussi. J’avais honte, je me sentais sale mais je ne pouvais m’en empêcher.
Et puis tu as grandi. Et moi, je me suis détesté chaque jour un peu plus. Alors j’essayais de vous épargner. De me défouler dans d’autres pièces. J’en ai cassé des meubles…
Mon père se tut un instant. Je le fixai. Il sanglotait et reniflait bruyamment, les yeux toujours rougis par les souvenirs et l’alcool. Le dégoût s’imprégnait de plus en plus en moi. Dégoût vis à vis de mon père, de sa misérable vie, de sa violence. Qu’espérait-il ? Du pardon ?  De la compréhension. Je crois qu’il connaissait la réponse car il reprit :
-Je ne te demande pas de me pardonner. Tout est de ma faute. La mort de ta mère avant tout. Mais je veux que tu comprennes que ce pouvoir n’est pas une chance, ni une opportunité… c’est un fardeau. Alors, ne deviens pas comme moi.
Me dire à moi que ce pouvoir n’était pas une chance. J’eus envie de rigoler. Comment aurais-je pu prendre ce pouvoir comme une aubaine. CE SATANE POUVOIR AVAIT TUE MA MERE, BON SANG ! MA MERE ! ! !
Mon père se redressa :
-Dorénavant, je ne veux plus avoir de discussion sur ce sujet. Nous n’en parlerons plus. Mais fais attention. Fais bien attention à toi.

Quelques minutes plus tard, mon grand-père arriva, avec une ambulance et une voiture de police. Effectivement, il s’occupa de tout. Il était extrêmement influent. L’enquête fut rapide
Et conclut à une mort par suicide. Mon père n’eut à répondre à aucune question. Refusa la cure de désintoxication que voulait lui imposer mon grand-père (tu m’étonnes !)
Mais la mort de ma mère l’avait brisé. Et quelques semaines plus tard, ce fut le tour de mon grand-père de passer de l’autre côté. A partir de ce jour, mon père resta prostré dans la maison familiale. Il ne sortait plus. Et se faisait même livrer l’alcool dont il avait besoin.
Moi, je n’en pouvais plus. Sitôt l’affaire de mon grand-père revendue, et après m’être assuré que mon père ne manquerait de rien en mon absence, je partis à mon tour. Partout en France. Mais pas question pour moi de tâter de la bouteille, oh non ! Ce pouvoir me fascinait. Et même s’il me faisait peur, je voulais savoir jusqu’où je pouvais aller. Ce que je fis pendant deux ans. Deux années à apprendre à maîtriser ce fameux don.

Et aujourd’hui, cet inspecteur s’imaginait peut-être qu’il allait tout arrêter comme ça, sur un claquement de doigts ?

Il n’en était pas question.

Chapitre quatre : Point mort


L
e décès de Frédéric Artois remontait à deux semaines à présent. Et je n’avais rien. Rien.
Sans compter que je ne m’étais pas encore résolu à rendre visite à Steve Rovelland. Pour lui dire quoi ?
Bien sûr, mon équipe avait été le rencontrer à une ou deux reprises. Questions d’usage pour une enquête de routine. En apparence. La mort « naturelle » comme conclusion du légiste ne me convenait toujours pas. Trop de zones d’ombres. D’incohérences.
Pourtant, mes investigations n’avaient rien donné. J’avais fait enquêter sur le fameux périple de Rovelland. Mais rien de concret. Tout au plus quelques incidents troublants. Dont un auquel je voulais me raccrocher à tout prix, même si je sentais que je ne pourrais pas le confondre avec ça. Une mort mystérieuse à la sortie d’une boîte de Limoges. Un jeune qui démarre à fond et qui s’encastre dans le premier mur au bout d’une ligne droite. A pleine vitesse. Or, Steve Rovelland a été aperçu dans le bâtiment. Mais c’est tout. Pas d’altercation signalée. Aucune échauffourée. Il est resté au bar toute la soirée.
Pour accuser un homme, c’est maigre. Très. Mais je savais que c’était lui. A part ça, quelques morts suspectes. Un clochard et une personne âgée. Mais aucun témoin, aucune trace. Même si Rovelland était dans les villes concernées au moment de leur mort. Encore heureux qu’il ait séjourné à l’hôtel. Sans quoi, impossible de retrouver sa trace ou de faire le moindre recoupement. Mais me voilà bien avancé. Des certitudes et pas de preuves. Et une appréhension terrible à l’idée de me trouver face à lui. Car s’il était bien le responsable de tous ces décès, ça le rendait très dangereux. J’ignorais tout de lui. En premier lieu, ses méthodes. Aucune trace, aucun indice. Pas de témoins directs.
Je ne pouvais pas me voiler la face. J’avais peur. Je ne savais absolument pas ce qu’il serait capable de me faire si je le poussais dans ses derniers retranchements. Et comment se préparer si l’on ne sait pas à quoi s’attendre ? Je me sentais désemparé, sans solution.
Il me restait le bluff, l’intimidation. Mais je n’y croyais pas. Si Rovelland avait tué toutes ces personnes, de quelque façon que ce soit, il devait avoir une grande confiance en ses capacités.
Et le fait que je ne me sois pas encore manifesté va sûrement le conforter dans son idée que je n’ai absolument rien de concret contre lui. La partie s’annonçait très difficile. Et j’étais bien loin de partir favori. Mais je jouais mon va-tout. L’affaire aurait déjà du être classée, et j’avais obtenu un délai supplémentaire. Faut dire que ces morts inexpliquées et ces coïncidences répétées commençaient à agacer en haut lieu. Alors mes supérieurs m’avaient apporté leur soutien. Mais je n’avais toujours aucun résultat.
Je me levai, pris mon imperméable et me ruai au dehors. J’inspirai profondément puis sortis mes clés de voiture. J’avais suffisamment traîné. Il était temps que je me bouge le cul. Que je mérite mon insigne.

Steve Rovelland était un tueur. Implacable. Froid. Et j’allais le prouver.

Chapitre cinq : Joute macabre


U
ne demi-heure plus tard, j’arrivai devant la maison familiale des Rovelland. J’avais bien choisi mon moment. Il y avait des trombes d’eau et sous le ciel noir, le grand bâtiment semblait m’écraser de tout son poids. Je levai la tête et l’espace d’un instant, lorsqu’un éclair zébra ce plafond sombre et nuageux, je crus apercevoir un visage derrière une des fenêtres du dernier étage. La porte était entrouverte. Pas un bruit. Pas une lumière. Je poussai le lourd battant et entrai.
Quelque chose n’allait pas. Ce silence, cette obscurité. Je sentis mon cœur battre plus fort, plus vite. Je sortis mon revolver, vérifiai qu’il était bien chargé et avançai prudemment.
-Je suis l’inspecteur Fergusson… Monsieur Rovelland, où êtes-vous ?
Pas de réponse. Je n’étais pas rassuré. Que s’était-il passé ici ?
Un bruit assourdissant me fit sursauter. Derrière moi, la lourde porte s’était brusquement refermée. Mes doigts se resserrèrent un peu plus sur mon arme. Il faisait sacrément sombre et mes yeux peinaient à s’habituer à l’obscurité. Parfois, un éclair semblait illuminer la pièce. Puis les ténèbres l’enveloppaient à nouveau.
J’étais toujours dans le hall d’entrée. J’avais une lampe de poche dans la voiture. Mais j’hésitais. Je n’avais pas particulièrement envie de revenir vers la porte. Quelque chose me persuadait d’avancer. Je sentais que je ne devais pas faire machine arrière. Continuer à tâtons n’était pourtant pas très indiqué. Mais c’est ce que je fis pourtant.
J’arrivai au bout de quelques minutes qui me parurent une éternité dans une autre pièce. Un éclair me permit de voir très brièvement ce qui me semblait être une bibliothèque. Au fond, je parvins à distinguer une faible lueur, comme celle d’une petite lampe de bureau. Je m’approchai, toujours à l’affût du moindre bruit. Un fauteuil me tournait le dos. Je dus véritablement me retenir pour ne pas hurler lorsque du fauteuil glissa un bras ballant.
Oh, mon dieu, pensai-je alors, un mort ! Il y a un cadavre sur ce…
J’ouvris des yeux encore plus écarquillés lorsque je vis le bras bouger subitement et la main claquer des doigts.
La lumière apparut soudain. J’eus l’impression d’avoir un voile devant les yeux. Puis je vis le fauteuil se retourner brusquement.
Tranquillement assis là, Steve Rovelland me regardait avec un sourire en coin.
-Vous me pardonnerez cette petite mise en scène, inspecteur. Je m’en serais voulu de rater notre première entrevue.

Je me sentis ahuri sur l’instant. Il me fallut quelques secondes pour réaliser. Mon arme était toujours pointée sur le fauteuil, enfin, sur Rovelland à présent. Je m’étais fait posséder. Il menait déjà au score. Je baissai mon arme. Pourtant j’aurais volontiers vidé mon chargeur sur lui en cet instant. J’étais intérieurement dans une rage folle et j’avais bien du mal à  me contenir.
Je m’attendais à un adversaire difficile, retors. Effectivement, cette petite « mise en bouche » laissait présager d’une joute magistrale. A condition, bien sûr, que je sois moi-même à la hauteur.

-Prenez une chaise inspecteur… Je vous proposerais bien un verre mais vu que vous êtes en service… Et faites-moi le plaisir de ranger cette arme.
Un peu gêné, je m’exécutai. Mais restai debout.
-Cela faisait longtemps que je m’attendais à vous voir enfin. On peut dire que vous vous êtes fait désirer. Alors, vos recherches ont été fructueuses ?
Rovelland me sourit, ce qui me mit mal à l’aise. Puis il continua :
-J’ai de l’argent, Monsieur Fergusson. Et des relations. Je n’ignore rien de l’enquête. Ni de vos équipes qui essaient de reconstituer mes deux dernières années. Pour un peu, je pourrais presque devenir parano. Parce que, si ce n’est pas de l’acharnement, ça !
Excédé, je l’interrompis :
-Assez, Rovelland. Pour les autres affaires suspectes, je ne peux rien prouver, mais pour Frédéric Artois vous…
-Vous ne pouvez rien prouver non plus… N’est-ce pas ? N’est-ce pas inspecteur Fergusson ?
Je me pinçai les lèvres. Si Steve Rovelland était déterminé à compléter toutes mes répliques, je n’étais pas prêt de sortir d’ici.
J’ouvris la bouche pour protester mais là aussi, il fut plus rapide.
-Quelle est la vraie question, Fergusson ? Ai-je tué ? Comment ai-je tué ? Comment prouver que j’ai tué ? Vous venez chez moi me déranger, avec votre plaque et votre arme et vous croyez que ça suffit ?
Rovelland refit pivoter son fauteuil. A nouveau, il me tournait le dos.
-Revenez me voir quand vous aurez du concret. Vous perdez votre temps et vous me faites perdre le mien.
Ce satané enfoiré continuait de jouer avec moi. Il me prenait de haut à présent. Comme un maître qui renverrait son chien au panier. Je n’avais rien, c’était vrai. Mais il me fallait absolument réussir à ébranler la forteresse. Je décidai alors de jouer à quitte ou double.
- Et votre mère, Steve ? Je vois que vous vous êtes bien remis de sa mort. Accident, c’est ça ? Mais peut-être pas ? Peut-être que votre putain de fric et vos multiples relations ont maquillé un crime en suicide.
Je ne me sentais pas très convaincant. J’allais sûrement faire chou blanc. Mais, contre toute attente, Rovelland se leva d’un bond, se retourna et me fixa, l’œil mauvais.
-Vous êtes malade ! Ma mère s’est suicidée ! SUICIDEE ! !
Il avait presque hurlé le mot. Je sentis que le vernis était brusquement en train de craquer. J’avais mis le doigt sur un point sensible. Mais je ne devais pas le lâcher. Le moindre temps mort et il reprendrait l’avantage.
-C’est étrange tout de même Rovelland. Ou alors vous portez sacrément la poisse. J’ai l’impression qu’il ne fait pas bon vous fréquenter. Frédéric Artois est mort à votre contact, peu importe la manière dont vous vous y êtes pris finalement. D’autres sont morts dans des circonstances mystérieuses. Mais vous n’étiez jamais très loin. Et puis, votre mère. Défenestrée. Un accident. Et vous, comme toujours, aux premières loges.
-Taisez-vous Fergusson. Vous jouez à un jeu dangereux. Ne m’obligez pas à ...
-A quoi ? Qu’est-ce que vous allez faire ? Ça vous amuse que je n’arrive pas à prouver quoi que ce soit, hein ? Et si on jouait dans l’autre sens maintenant ? Si vous me prouviez que vous n’avez pas tué votre mère ?
-JE NE VEUX JOUER A RIEN DU TOUT ! Et je n’ai rien à prouver, A QUI QUE CE SOIT !!! Ma mère… Ma mère… Je l’aimais, je l’aimais tellement… Mais elle est morte maintenant et je ne vous laisserai pas la salir !

Sa voix devint tout à coup plus assurée, son regard plus perçant. Instinctivement, je reculai. Steve Rovelland leva son bras vers moi et serra le poing. Une douleur aiguë me traversa le crâne. 
Je fus comme plié en deux. La migraine était intenable. Ma tête allait éclater, ce n’était pas possible autrement. Je reculai, manquant de trébucher. Mes jambes ne me portaient plus.
Et Rovelland s’avançait toujours, un rictus de fou sur le visage.
-Je pourrais vous tuer vous savez ! Vous voulez la vérité ? Je vais vous la donner, Fergusson. Comme ça, en repartant, vous aurez assemblé les pièces du puzzle. Mais vous ne gagnerez pas pour autant. Parce que rien de ce que je pourrai vous dire ne sera recevable devant une cour de justice. Personne ne vous croira. Puisque parfois, je n’y crois pas moi-même.
Je continuai à ramper sur le sol. Je parvins à saisir mon arme. A viser Rovelland.
-Arrêtez-ça, Steve ! Ne m’obligez pas à m’en servir.
Mais il avait l’air de tout, sauf s’avoir peur.
-Je vais vous donner une leçon, Fergusson. Vous donner une idée de mon don.
Je faillis hurler. Mon corps ne m’obéissait plus. Rovelland semblait le contrôler tout entier. « Il » me mit debout, mes jambes frôlant le sol tel un pantin désarticulé. Mes bras, étendus le long du corps, ne réagissaient plus. Mon mal de tête, même si ça me semblait impossible, devenait toujours plus douloureux. J’aurais voulu me tenir la tête à deux mains. Mais je ne pouvais pas. J’avais la sensation d’être une âme dans une coquille vide.


Rovelland relâcha la pression. Je m’affalai alors comme une merde sur le sol. Terrorisé par ce que je venais de subir, je ne pus me retenir plus longtemps. Une coulée visqueuse s’échappa de ma bouche et se répandit sur l’immense tapis de la bibliothèque.
-Vous vous en remettrez Fergusson. Après tout, c’est vous qui avez voulu savoir. Mais vous avez eu de la chance. Je n’ai pas cherché à vous tuer, mais ce n’est pas toujours suffisant. Après tout, je ne cherchais pas non plus à tuer Frédéric Artois. Juste à le neutraliser momentanément. Et puis, ça l’a tué. Je n’ai jamais ôté la vie volontairement. Même si je n’ai jamais eu le moindre remord lorsque la situation échappait à mon contrôle.
Je me relevai péniblement. Je n’avais plus mal. Nulle part. Je regardai Rovelland. J’avais l’impression d’être dans une sorte de quatrième dimension. J’essayai de mettre de l’ordre dans mon cerveau embrumé. Je ne pouvais y croire. Les réponses que je cherchais n’avaient rien de rationnel.
Steve Rovelland s’était tu à présent. Il était pensif.
-Et ce don ? Vous l’avez depuis longtemps ?
-Aucune idée. Mais vous allez rire, il s’est manifesté pour la première fois le jour de la mort de ma mère.
Rovelland avait tort. Je n’avais absolument aucune envie de rire. Mais je sentais qu’il était prêt à déballer son sac. Je décidai d’y aller franchement.
-Puisqu’on est sur le ton de la confidence, que s’est-il passé ce fameux soir où votre mère a traversé la fenêtre ?
Il ricana.
-Vous êtes bien une saleté de flic ! Toujours à attendre des réponses. Après tout, je pourrais estimer vous en avoir dit suffisamment. Et ça peut être dangereux de vouloir trop en savoir, vous comprenez ?
Je tressaillis. Je ne savais pas si je devais prendre cette petite phrase assassine comme une menace. Mais je pensais à l’expérience traumatisante que je venais de vivre.  Je n’étais plus sûr de vouloir savoir quoi que ce soit.
-Ma mère ne s’est pas suicidée… mais je ne l’ai pas tuée non plus. Un accident. Mon père, ivre, prêt à me briser en deux. Ma mère qui tente de s’interposer. Mon pouvoir qui se manifeste. Ils furent tous les deux balayés de la pièce. Mon père a été freiné par ma mère qui se tenait juste derrière lui. Mais elle… elle a subi le choc de plein fouet et a été éjectée par la fenêtre. J’ai détesté mon père pour ça. Sans cette violence, rien ne serait arrivé ce soir là. Mais chez nous, les histoires de famille sont sacrées et ne sortent pas d’ici. Alors, mon grand-père a tout arrangé. Puis, il est lui même décédé un peu plus tard. Enfin une mort naturelle. Il ne resta plus que mon père et moi. Et ce secret entre nous.
Steve Rovelland marqua un temps d’arrêt puis reprit.
-Voilà. Vous savez tout. Et ça vous avance à quoi ?
J’avais l’impression que nous étions là comme deux cons. Je savais tout effectivement. Et après ? Aucun moyen de prouver quoi que ce soit. Ni de rivaliser avec le fameux pouvoir de Rovelland. D’ailleurs, confondre Steve n’était plus vraiment ma priorité. Je devais surtout l’empêcher de continuer. Et là, c’était une autre paire de manches.
Je décidai de prendre congé. Il fallait absolument que je sorte d’ici, que je prenne une bonne bouffée d’air frais. Je me sentais sale, mal fichu. J’avais eu mon lot d’émotions fortes pour la journée. Demain serait un autre jour. Et j’y verrais sans doute plus clair.

Mais certains jours, rien ne se passe comme on le voudrait.
-Je crois que vous ne m’avez pas bien compris inspecteur. Dans la famille, les secrets sont bien gardés. Vous avez voulu savoir et j’ai respecté votre décision. Mais ce que vous avez appris ne sortira pas d’ici.
Steve Rovelland soupira. Puis reprit :
-Je vais devoir vous tuer. Ironique, non ? La seule mort vraiment volontaire, ce sera la vôtre.
Je vous ai pourtant prévenu du danger de vouloir toujours tout savoir, tout comprendre. Préparez-vous à en payer le prix.

Je décidai de réagir vite cette fois, sachant que, sinon, j’étais condamné. Je sortis mon arme. Mais la pensée fut plus rapide. Steve Rovelland fut en moi en une fraction de seconde. Il prit une nouvelle fois possession de mon corps. Avec horreur, je vis ma main droite, celle qui tenait le revolver, remonter vers mes tempes sans que je ne puisse rien faire. Un sentiment de terreur pure m’envahit. Je voulus hurler. Mais Rovelland ne m’y autorisa même pas. Je ne pouvais plus rien faire. Mon corps ne m’appartenait plus. Des larmes perlèrent sur mes joues. Je me mis à uriner puis je fus secoué de tremblements. Mais ma main droite ne bougeait plus elle. L’arme était contre ma tempe, si enfoncée qu’une douleur me vrilla la tête. Je sentis les doigts appuyer lentement sur la gâchette.
On dit souvent que les héros s’en sortent toujours. Je ne devais pas avoir le profil. Quelques images défilèrent dans ma tête. J’étais mort.
Les doigts pressèrent un peu plus sur la gâchette. C’était la fin.

BLAMM


Chapitre six : L’homme brisé


S
teve Rovelland s’écroula. Je ne compris pas tout de suite. Je sentis que j’étais en train de récupérer le contrôle de mon corps. Mes doigts encore crispés sur la crosse de mon arme se détendirent soudain. Mon revolver tomba à terre.
Steve avait pris une balle entre les deux yeux. Propre. Net. Imparable. Je me retournai alors et vit une forme qui se tenait là, à l’entrée de la bibliothèque. Arme fumante encore au poing. Ce visage… c’était celui que j’avais cru voir derrière la fenêtre, à l’étage, en arrivant. Visage que j’avais déjà vu dans le dossier sur mon bureau. Celui de Rovelland père. Jack Rovelland.
J’étais vivant mais toujours dans un état second. Je n’avais plus les idées claires, je n’arrivais plus à raisonner. Pourquoi diable avait-il tiré sur son propre fils ?
Jack se tenait toujours debout, droit. Il dégageait une présence, une force incroyable. Son arme toujours pointée devant lui. Il l’abaissa enfin.
-J’avais prévenu Steve de ce qui arriverait s’il dépassait certaines limites. Ce n’était plus mon fils. Juste un monstre, grisé par le pouvoir. Un monstre. Tout comme moi lorsque je buvais et que je tabassais sa mère. Et lui aussi d’ailleurs. Je ne lui ai pas rendu la vie facile. Et puis sa mère est morte. Mais il vous a déjà raconté. Il parle d’un accident. Mais je ne suis pas d’accord. J’ai tué sa mère. Je l’ai tuée à partir du jour où j’ai commencé à lui taper dessus. A partir de là, je l’ai brisée. Elle et ses espoirs.
Toujours KO, je pris une chaise. Jack s’avança vers moi, me tendit l’arme puis s’assit en face de moi. Son regard s’était embué et il n’avait plus cette prestance qu’il avait eue en entrant. Il faisait vieux, vidé, las.
-J’aimais ma femme. Passionnément. Je… je ne buvais pas avant de la rencontrer. Et je m’imaginais vivre heureux, avec elle. Mais ce pouvoir est apparu. Très vite, j’ai pris conscience que ce don était un vrai fardeau, une malédiction. Je ne pouvais pas le lui imposer. Alors je suis parti. Et j’ai bu, de plus en plus. Jusqu’au jour où je me suis rendu compte que l’alcool annihilait ce pouvoir. Là, j’ai fait l’erreur de ma vie. J’ai pensé que j’avais trouvé la solution. Et je suis revenu vers elle. Mais je n’avais pas trouvé la solution. J’avais juste remplacé un fléau par un autre encore pire. Et je suis devenu un monstre. Comme Steve.

Je n’étais pas de nature compatissante en général. Mais rien que d’essayer d’imaginer ce qu’avait pu endurer Jack me faisait froid dans le dos. Une vie de souffrances, de peurs, d’errances.
-Je n’ai jamais désiré ce pouvoir. Je n’ai jamais essayé d’en jouer, ni d’en profiter. Je le hais plus que tout. J’ai même essayé d’en finir plusieurs fois. Mais impossible. J’ai parfois l’impression que ce pouvoir est vivant, tant il échappe complètement à mon contrôle en certaines occasions.
J’ai d’abord voulu me tuer par balles. Ma main a refusé de m’obéir. Je n’ai jamais pu saisir l’arme. Une autre fois, j’ai voulu me jeter sous un camion. Il a fait une embardée terrible. J’ai même tenté le tout pour le tout. Un soir, j’ai bu comme jamais. Un soir où, heureusement, personne d’autre n’était à la maison. Mais il fallait tellement d’alcool pour neutraliser ce pouvoir qu’à la fin, je n’étais plus en état de faire quoi que ce soit. Et encore moins de tenir une arme et d’appuyer sur la détente. C’est ça, le plus rageant. Enfin, bref, je ne compte plus les fois où j’aurais souhaité abréger toutes mes souffrances. Ca fait sans doute partie des zones d’ombres de ce don, des mystères dont je n’aurai jamais les clés. Je peux tuer n’importe qui, sauf moi.
Steve, lui, adorait ce don et les possibilités immenses qui lui étaient offertes. Oh, bien sûr, il en a pris conscience dans des conditions dramatiques et il est passé par une phase de peur bien légitime. Mais ça n’a pas duré. Ce don lui conférait une puissance, une force incroyable. Steve voulait absolument savoir jusqu’où il pouvait aller. Il s’en amusait comme d’un jouet. Pendant deux ans, je sais qu’il a fait des choses pas très recommandables. Jusqu’à ce fameux tournoi de tennis. Alors je l’ai mis en garde. Je crois qu’il craignait ma propre force, et qu’il m’a peut-être pris au sérieux. Mais ça ne l’a pas arrêté. Il vous aurait tué ce soir. Je ne l’aurais pas supporté.

Il baissa les yeux et regarda le sol, un peu sonné. Cet homme avait souffert toute sa vie. Jusqu’à devoir tuer son propre fils.
-Vous étiez là depuis longtemps ? , demandai-je.
-Je vous ai vu arriver. J’ai attendu que Steve en finisse avec sa pitoyable mise en scène d’accueil. Puis je suis descendu… Mais je sais à quoi vous pensez. Que j’aurais pu intervenir plus tôt. J’ai bien conscience que vous avez vécu des expériences traumatisantes, ce soir. Mais c’est mon fils, vous comprenez. Je devais être sûr avant de… avant de…
Jack ne put finir sa phrase. Quant à moi, j’allais appeler mes collègues. Il fallait nettoyer tout ça. Et trouver une version qui tienne la route. Personne n’accréditerait la thèse d’un pouvoir mystérieux dévastateur. De plus, Jack était une victime. Et m’avait sauvé. C’était de la légitime défense. Je ne pouvais pas le laisser être condamné.
-Tuez-moi, inspecteur.
Je tressaillis. Non, tout mais pas ça. Je comprenais. Mais pas à moi. Il ne pouvait pas me demander ça à moi.
-C’est la seule façon d’en finir. C’est prétentieux… parce que j’ai aussi fait beaucoup de mal. Mais je crois avoir mérité de mourir à présent. Mais il faut que vous m’aidiez.
Il se leva, se dirigea vers le bureau, en ouvrit l’un des tiroirs, prit l’arme qui s’y trouvait et revint s’asseoir.
-C’est l’arme de Steve. Utilisez-là ! Ensuite, vous n’aurez qu’à essuyer vos empreintes et mettre le revolver dans sa main. Vous aurez ainsi une version toute trouvée : vous êtes venu nous interroger et vous avez trouvé les cadavres d’un père et de son fils qui se sont entretués. Certaines personnes seront peut-être sceptiques mais personne ne posera de question. Les meurtres « mystérieux » de mon fils ont déjà fait couler beaucoup d’encre et tout le monde sera bien trop content de clore enfin le dossier.
J’hallucinais là. Il ne comprenait pas. Il me demandait de commettre un meurtre. Un meurtre ! ! !
-Je sais ce que je vous demande. A vous en plus. Un représentant de l’ordre. Mais réfléchissez : c’est le seul moyen. Tant que ce pouvoir sera en moi, je serai un électron libre. Une menace. Pour moi. Pour les autres. Il faut que ça s’arrête. Je vais vous dire, Fergusson : si j’en avais le pouvoir, je vous y obligerais. A me tuer. Mais comme je vous l’ai dit, mon « don » ne vous contrôlera pas s’il sait que c’est une action dirigée contre lui. Il faut donc que ça vienne de vous. Et de vous seul. Vous avez une dette envers moi. Ma femme est morte. Mon fils est mort. Mon père aussi. Et je suis un danger permanent à l’extérieur. Alors aidez-moi à en finir. Je vous en prie.
En une fraction de seconde, je saisis l’arme qu’il me tendait et fit feu. Parce que si j’avais réfléchi davantage, je n’aurais jamais pu tirer. Jamais. Jack Rovelland me sourit, toujours avachi sur son fauteuil. Il semblait apaisé. Une dernière lueur passa dans ses yeux et il mourut. J’avais visé en plein cœur.
Je me sentais mal. Mais je n’éprouvais pas de remords. Jack Rovelland avait raison. Il n’y avait qu’une chose à faire pour que tout s’arrête. Et pour que je paye ma dette envers lui.
Subitement, le poids de cette pièce, de cette maison, fut trop lourd pour moi. Il me fallait sortir. Tout de suite. J’effaçai mes empreintes de l’arme de Steve puis me pencha vers lui et mit le revolver dans sa main. Il y avait bien sûr d’autres empreintes de moi dans la maison. Mais ça n’avait pas d’importance puisque que j’avais découvert les corps. La scène était horrible et je n’avais pas pu m’empêcher de vomir en découvrant le spectacle.
J’utilisai mon portable pour appeler des renforts et une ambulance. Puis je sortis précipitamment.
La nuit était noire à présent, seulement éclairée par le lampadaire devant l’imposant bâtiment..
En tout cas, Steve Rovelland avait vu juste au moins sur un point. Tous les secrets, quels qu’ils soient, ne sortiraient pas de cette maison.

FIN



3 commentaires:

  1. Puisque mon avis a été requis je vais m'employer à être celui qui d'un côté offre des bombons et de l'autre assène les coups de bâtons.
    J'ai eu le plaisir en 24heures de lire deux nouvelles si complaisamment offertes à mes yeux par l'ami Franck.
    Il semblerait que je l’ordre de mes lectures ne soit pas le bon, j'ai commencé par "Blanche" et poursuivi par la présente "Humeurs assassines". Cette inversion n'a pas de conséquences puisque les deux récits, bien qu'ils se complètent, peuvent être lus indépendamment l'un de l'autre.
    Un premier constat : Franck, tu as une capacité remarquable pour inventer des intrigues et les mener à bien. Que dès le départ tu ne saches pas toi même où tu vas en venir n'a pas l'air de poser de problèmes. Le sujet est prenant, il donne envie d'aller au bout de l'histoire.
    Pour ma part j'aime beaucoup les phrases courtes, elles donnent du rythme au récit. Mais elles ont un inconvénient, c'est ce que j'ai constaté lorsque j'ai écrit mon ouvrage, elles donnent l'impression que l'auteur veut arriver au plus vite au dénouement. Ce n'est bien sur pas le cas, alors une technique consiste à insérer des passages plus longs, pour décrire le contexte, la pièce etc.
    Certains parleront du style, je pense qu'avant de se conformer à un style bien particulier il faut être soi même. L'expérience, bonne ou mauvaise, fait le reste. Paris ne s'est pas fait en un jour.
    Le foisonnement d'idées que tu couches sur le papier m'amène à croire qu'un développement du sujet ferait un livre appréciable.

    La pommade c'est terminé, passons aux coups de bâton en place publique.

    Malheureusement pour toi je suis un ancien flic, ben oui quoi tout le monde commet des erreurs!!
    La partie enquêteur de ce métier est bien figée dans mes réflexes.
    Un évènement surnaturel ne peut se produire qu'au sein d'un milieu naturel, si ce n'était pas le cas on n'en parlerait pas en ces termes. Puisque l'intrigue se déroule dans notre milieu naturel ce qui se passe autour doit l'être aussi. Pour que notre cher Inspecteur puisse avoir un doute il lui faut un indice, aussi léger soit-il l'intuition est réellement un bon début pour un enquêteur, mais il en faut un peu plus au point de vue d'une enquête. Un lecteur averti, ceux qui sont passionnés d'intrigues policières comme les vrais enquêteurs, se rattachent toujours à un détail. Le plus difficile pour l'auteur est de présenter ce détail dans une foule d'autres renseignements ou constats.
    Pour rester dans la crédibilité, la partie non surnaturelle, il ne faut pas s'éloigner du domaine de la réalité, de ce qui est vraisemblable.
    Deux exemples :
    Un type qui conduit en état d'ébriété (en France) ne fera jamais l'objet d'un relevé d'empreintes (cf BLANCHE), nombreux sont les lecteurs qui ont eu à souffler dans l’alcootest pour le savoir.
    Ici l'inspecteur Fergusson essuie le pistolet qu'il remets dans les mains de Steve. C'est bien l'idée est bonne et même c'est un fait courant en réalité, seulement un Inspecteur sait qu'une enquête ne se termine pas sur ses simples déclarations. Il faut faire tirer l'arme dans les mains de Steve pour qu'il y ait un dépôt de poudre décelable, au cas ou...
    Au final c'est vraiment pas mal et mes suggestions ne sont là que pour t’inciter à aller plus loin.




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    1. Merci pour cette brillante thèse ;-) à laquelle je vais tenter de répondre partiellement. Concernant le potentiel effectif ou non de certaines de mes nouvelles en un format plus long, la question s'est sérieusement posée un temps avec Humeurs Assassines, notamment "poussé" par mon beau-frère qui trouvait qu'il y avait matière à faire. Je pense que Sarah s'y prêterait éventuellement, Piccolo aussi mais sous une autre structuration de l'ensemble. Mais j'ai tellement envie de créer de l'inédit en ce moment (frustration de la page blanche) que je n'y pense pas vraiment.
      Concernant les points qui "posent problème", je suis bien d'accord et heureux d'apprendre des choses de la part d'un professionnel qui est bien placé pour dire ce qu'il en est. Même si ma technique de l'écriture "en live" sans relecture ni préparation m'expose forcément à ce risque d'erreurs. Voilà en tout cas des erreurs que je ne reproduirai pas, merci à toi ! Et franchement, l'histoire du dépôt de poudre, je la connaissais à force d'avoir regardé Arabesque à la télé (entre autres choses) et ça ne m'a pas empêché de faire cette erreur grossière, snif ! Merci pour ton apport forcément constructif sur mon travail en tout cas !

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    2. CONSTRUCTIF, tu as lâché le mot. C'est tout l'intérêt des échanges, quel que soit le sujet.
      Trop de blogs ou de pages sur les réseaux sociaux sont déviés de leur mission première, la communication dans le respect.
      Ensuite nous avons tous à apprendre les uns des autres, personne ne peut se targuer de tout connaître ou de tout savoir.
      On se retrouve sur "Cheminement dans l'écriture : part 2"

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