Le Tueur est une série scénarisée par Matz et dessinée par Luc Jacamon que j'ai découverte un peu par hasard puisque le tome 1 était offert lors de je ne sais plus quelle opération promotionnelle, à choisir parmi une dizaine d'autres ouvrages. Bonne pioche car la série est d'une qualité assez incroyable malgré quelques réserves toutes personnelles et sur lesquelles je reviendrai.
On suit le quotidien d'un tueur à gages froid et implacable. Et comme l'homme n'est pas très bavard, on le découvre au travers de ses états d'âmes même si le terme est assez impropre puisqu'il n'en a guère lorsqu'il mène à bien ses contrats. On découvre ses motivations mais aussi le regard qu'il porte sur ce monde corrompu qui l'enrichit. Le premier tome pose admirablement les bases de l'histoire, découpée en plusieurs cycles de 5 tomes, à travers une mise en scène de haute volée et un scénario visiblement très bien documenté.
Personnellement, le premier cycle est de loin le meilleur. On est clairement dans un polar brut et froid où les métaphores (celle du crocodile étant la plus parlante) font mouche. L'atmosphère est oppressante car on suit le tueur dans l'exécution de ses contrats comme si on y était. L'adrénaline du tueur. La peur de ses victimes. L'absence de regret ou de la moindre compassion. Un tueur qui ne veut rien savoir des personnes qu'il doit abattre ni de ses commanditaires. Il est payé pour un travail et il s'acquitte de sa tâche, point.
A partir du deuxième cycle, on glisse peu à peu du polar vers la géopolitique. Le tueur reprend du service après quatre années sabbatiques, voyage de plus en plus mais les considérations sur la drogue ou le pétrole rendent l'ensemble moins passionnant, moins noir, moins oppressant. Et si le tueur exécute toujours personnellement ses missions, il n'est plus vraiment seul. Il sympathise, toutes proportions gardées, avec certains de ses commanditaires et se retrouve embarqué dans des missions où l'aspect "tueur à gages" est un peu noyé au milieu d'autres considérations. Et les réflexions de notre tueur sur chaque fléau de notre société ne fonctionnent que si elles sont parfaitement intégrées. Souvent le cas. Pas toujours. Le tueur, à défaut de beaucoup parler, pense énormément. Or, est-il normal qu'un être froid et sans état d'âme ait tant d'avis sur tout ? N'est-ce pas contradictoire avec le peu d'intérêt qu'il dit ressentir sur toute personne ou toute chose ? Pour moi, la série perd de son essence lors de ce deuxième cycle.
Malgré tout, le cycle 3 (en cours) semble relancer de belle manière la franchise car la machine se grippe et les quelques grains de sable constatés sur les deux premiers tomes sont prometteurs pour la suite. Le tueur ne sait plus trop à qui se fier dans son "propre camp" et le tome 2 du troisième cycle (le T12 donc) s'achève sur un dommage collatéral des plus dramatiques. Et à la vitesse où les deux comparses enquillent les volumes, le T13 devrait répondre à une partie de ces interrogations fin 2014.
Après, si l'on peut, comme moi, émettre quelques réserves sur l'évolution de la série, elle n'en reste pas moins de belle facture. Le scénario est brillant, les dialogues ne sont pas en reste et l'ensemble est pertinemment documenté. Je ne sais si Matz a autant voyagé que le tueur mais à chaque fois le dépaysement est assuré. Il doit y avoir un boulot colossal derrière toute cette mine d'informations. Et que dire du dessin de Luc Jacamon ? C'est splendide, la mise en scène est terrible hormis (et c'est là encore un avis tout personnel) lors des scènes de fusillades en voiture. A ce titre, la double page du T4 où Jacamon a clairement voulu dynamiser l'ensemble m'a fait l'effet d'un pétard mouillé noyé dans une surenchère d'effets de mise en scène. La scène des motos, quelques tomes plus loin, ne m'a pas davantage convaincu. Enfin, certaines pleines pages ne se justifient pas (quel intérêt de voir en pleine page le train d'un avion lors de l'atterrissage sur la piste ?) Mais sinon, c'est que du bonheur, Jacamon a un sacré talent et c'est un vrai coup de coeur que le trait de cet artiste que je ne connaissais absolument pas.
En bref...
J'aime :
-Le personnage du tueur, sa solitude intrinsèque et la métaphore avec le crocodile
-Le caractère fouillé et documenté des intrigues
-Le dessin de Jacamon et l'excellence générale de sa mise en scène et des couleurs
-Les bases du troisième cycle si elles confirment leur potentiel
J'aime pas :
-Le polar qui glisse vers l'oeuvre géopolitique / action
-Le tueur, trop entouré donc moins solitaire
-La surenchère de certains effets et les choix de découpage dans les scènes d'action
-Certaines informations moins pertinemment intégrées à l'intrigue
PS : Les illustrations glanées sur le net sont là pour vous montrer quelques planches de la série mais ne sont pas forcément un reflet des textes qui les accompagnent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire