mercredi 4 décembre 2013

Les Devoirs de Maître Christian




Sortant du métro, l’air frais de cette matinée me revigora un peu. A qui pourrai-je donc parler de ces rêves ?
Finalement, j’aurais dû la croire quand elle m’a prévenu, maintenant hélas il est trop tard. 

Vous l'aurez compris, les 1ere et dernière phrases sont imposées. Entre les deux, ben...j'ai fait ce que j'ai pu ! C'est parti ! 


Sortant du métro, l’air frais de cette matinée me revigora un peu. A qui pourrai-je donc parler de ces rêves ? Surtout, à quoi cela servirait-il ? Cesseraient-ils de revenir invariablement chaque nuit pour autant ? Je ne le pensais pas. Mais je devais m’en défaire au plus vite. Ma vie en dépendait.

-Celui de la nuit passée a encore franchi un cap dans l’escalade de la violence. Comme d’habitude, j’étais dans un endroit sombre, suintant et sale comme le serait la cellule d’isolement d’une prison perdue au fin fond de l’Amérique latine. Mes yeux peinaient à transpercer les ténèbres. Jusqu’au moment que je redoutais désormais le plus et qui me semblait arriver de plus en plus tôt : celui où la porte volait en éclat et où mon bourreau apparaissait. Un être sans visage armé d’une lourde chaîne qu’il faisait tournoyer avant de l’abattre sur moi avec une violence inouïe. Une fois, deux fois, dix fois… Je me tortillais comme un ver sur le sol humide, mains et jambes liées, tentant d’éviter les coups de mon tortionnaire, sans jamais y parvenir. Je hurlais sans m’entendre tandis que son rire, lui, pénétrait le tréfonds de mes entrailles. Au bout d’un temps qui me parut interminable, je me réveillai enfin, en sueur et en sang dans mon lit. Mes draps empestaient l’urine. J’avais mal partout et étais couvert de bleus et de plaies plus ou moins ouvertes. Comme chaque matin depuis bientôt trois semaines.

Je m’interrompis, jetant un regard vers mon ex-femme qui me regardait avec un drôle d’air. Elle semblait visiblement hésiter sur la conduite à adopter. Mais bien que nous soyons divorcés depuis bientôt deux ans, elle était celle qui me connaissait le mieux, me percevait le mieux. Dix-huit années de vie commune. Si elle ne me croyait pas, personne ne me croirait. Mais elle restait silencieuse.

-Le problème, continuai-je, est que chaque nuit, ce rêve, enfin, ce cauchemar plutôt, semble durer plus longtemps, si tant est que l’on puisse parler de temps écoulé concernant les rêves. Les coups sont plus nombreux et je me réveille chaque matin plus amoché que la veille. J’appréhende le matin où je ne me réveillerai pas. Où l’homme sans visage m’aura donné le coup de trop. Où un de mes proches s’inquiétant de ne pas me voir donner de signe de vie me retrouvera baignant dans mon sang.

Martha ne disait rien. Qu’avais-je espéré ? Je tenais un discours de taré, j’avais une tête pas possible, des cernes d’un mètre de large, des contusions partout. Alors quoi ? Elle aurait dû se montrer compatissante et avaler mes paroles ?

-Tu t’inquiètes que je puisse être l’un de ces proches ? demanda-t-elle enfin.
Je sourcillai. Je ne m’étais pas attendu à ce genre de réponse, plutôt surprenante en de telles circonstances.
-Tu t’imagines que tes silences ou tes absences puissent m’inquiéter ? continua-t-elle tandis que je me sentais de plus en plus mal à l’aise sans trop savoir pourquoi. Après ce que tu m’as fait ? Après que tu nous aies quittées, moi, les filles, la maison, du jour au lendemain pour une greluche à qui tu auras fait miroiter monts et merveilles avant qu’elle ne se lasse de tes vaines promesses. Après que tu aies tenté de revenir, la queue entre les jambes, comme le lâche que tu es ? Te croyais-tu à ce point indispensable ? Je t’ai prouvé à l’époque que tu ne l’étais pas en refusant que tu reviennes dans nos vies. Rien n’a changé depuis. Je ne serai pas ce proche qui te découvrira, Paul.

Elle se leva, prit son imperméable et se dirigea vers la porte.
-Mais… Tu me crois ?
Elle se retourna, eut un petit sourire en coin.
-Bien sûr que je te crois. Parce que tu ne m’apprends rien.
Je tressaillis. Je ne comprenais pas bien mais je n’aimais pas ce que j’entendais.
-Ne cherche pas à comprendre l’inexplicable, ajouta-t-elle comme si elle avait anticipé mes pensées. Tout a l’air si vrai et pourtant rien ne l’est. Rien de ce qui te concerne du moins. Tu n’es qu’un rêve. Le mien. Fabriqué de toutes pièces. Un rêve parfait au départ qui s’est étiolé par la suite. Un rêve désormais impossible dont je dois à présent me débarrasser. Je m’y emploie, sois en certain, mais tu ne me facilites pas la tâche. Un comble pour quelqu’un qui n’a jamais existé. Mais je ne suis pas pressée. Cela prendra le temps qu’il faudra. Savoir qu’à défaut de disparaître définitivement, tu souffres le martyre me suffit. Invariablement. Nuit après nuit. Sans pouvoir tenir infiniment. Jusqu’à te déliter complètement. Ça viendra, tu verras. Tu supplieras pour que cela arrive vite. Et tu seras alors libre comme je le serai également. Mort mais libre.

Elle avait parlé d’une voix légère, presque chantante. Elle pivota sur ses talons, fit un geste négligé de la main à mon intention, comme un adieu, et sortit. La porte se referma. J’étais seul. Sonné. K.O. debout. Je ne comprenais pas tout mais je savais déjà combien les prochaines nuits promettaient d’être traumatisantes. Alors quoi ? N’avais-je été que le fruit d’une imagination ? N’avais-je jamais vraiment existé autrement que dans l’esprit d’une femme malade ? Les fortes douleurs et courbatures sur chaque centimètre de mon corps me donnaient plutôt l’impression d’être bien réel. Me rappelaient aussi que j’étais en sursis. Jusqu’au retour de l’homme sans visage. Jusqu’à la nuit de trop. Celle où les chaînes vaincraient.


J’avais souri dans un premier temps lorsque Martha m’avait dit que je le regretterais lorsque je l’avais trompée une première fois. Finalement, j’aurais dû la croire quand elle m’a prévenu, maintenant hélas il est trop tard. 

 .

2 commentaires:

  1. Superbe, horrible, sanglant, mystérieux et captivant, ce cauchemar éveillé, ce rêve qui n'en est pas vraiment un et cette interrogation qui reste en suspension entre la vie réelle et l'imaginaire ! Du travail d'orfèvre, je ne regrette pas d'avoir attendu c'est un vrai régal ! A la lecture de chacun de tes écrits je suis de plus en plus convaincu que tu as décidément un sacré talent d'écriture ! Merci pour ce vrai moment de plaisir mon ami et bravo !

    Christian

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    1. Merci chef ! C'est un exercice plus délicat qu'il n'y paraît (sans vouloir m'envoyer des fleurs) car pour moi, un atelier d'écriture ne vaut que sur un format court, davantage encore qu'une nouvelle. Donc le but, c'est d'essayer de captiver tout en sachant que la conclusion arrivera assez tôt. Et si j'arrive un peu à surprendre ou à me renouveler un minimum, c'est la cerise sur le gâteau.

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